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Mehdi kidnappé et torturé

dimanche 12 décembre 2004, par Hassiba

Le jeune Mehdi a été enlevé dans la soirée de mercredi dernier par un groupe d’individus, dont certains résident au complexe de Moretti. Il a été torturé dans la résidence d’État avant d’être abandonné, laissé pour mort sur la route Alger-Zéralda. L’affaire est actuellement entre les mains de la Gendarmerie nationale et de la justice.

Réputée pour être l’un des lieux les plus sécurisés de la capitale, la résidence d’État du Sahel (Moretti) est devenue l’espace d’une nuit une véritable zone de non-droit où les pires ignominies ont été commises au nez des gendarmes disséminés dans son enceinte. Mercredi dans la soirée, un de ses pavillons a abrité ce qui a tout l’air d’une séance de torture en bonne et due forme, orchestrée par une dizaine de jeunes au sadisme avéré. Des épées, des couteaux de boucher et un pistolet électrique ont constitué leur arsenal. Pour en finir avec leur victime, ils l’ont jetée du grenier de la villa, d’une hauteur de six mètres, l’ont mise dans le coffre d’une voiture et l’ont larguée dans un buisson quelque part sur la route de Ouled Fayet où ils l’ont laissée pour morte.

Mais qui est donc la victime et qu’a-t-elle fait pour mériter un traitement aussi barbare ?

Dans son fauteuil roulant, le bras plâtré et le visage tuméfié par les contusions, Mehdi Sari ne comprend pas. À l’hôpital de Béni Messous où nous l’avons rencontré hier, le jeune homme de 19 ans est encore dans son cauchemar. Le film de cette nuit effroyable où il a failli perdre la vie se déroule devant ses yeux clos par les ecchymoses. Rien dans la vie de cet étudiant en commerce ne prédisait une telle damnation. Quand il avait quitté la maison familiale, sise à Dély Ibrahim, ce mercredi fatidique, Mehdi ne se doutait pas l’ombre d’un instant qu’il se rendait en enfer. Et pour cause, son accompagnateur, celui qu’il désigne aujourd’hui comme l’un des deux principaux commanditaires de son supplice, n’est autre que son ami, un ancien camarade de classe, le dénommé Amine Melzi, fils du directeur de l’Établissement de gestion touristique du Sahel. Une ancienne brouille, aggravée par une tentative d’agression en été, avait certes effiloché les liens entre les deux amis. Mais en faveur d’une récente réconciliation tout semblait rentrer dans l’ordre. Mehdi pouvait aller faire une balade avec son copain d’enfance sans craindre pour sa vie. En tout cas, il ne s’y attendait pas quand à 19 heures précises, il prend place dans sa voiture, une Audi A4, avec vitres fumées, précise le frère aîné de la victime. La trame de cette tragédie hitchcockienne relève effectivement des scénarios les plus invraisemblables.

Récit de la victime et de sa famille

“Mehdi était dans le garage de la maison occupé à réparer sa moto en compagnie d’un mécanicien lorsque Amine Melzi a déboulé. Il a prétexté une affaire urgente pour l’emmener avec lui. Mehdi a d’abord refusé avant de le suivre”, raconte le frère. Il apprendra la suite des évènements de la bouche de son cadet sur son lit d’hôpital à minuit. Pendant un peu plus de quatre heures, celui-ci endure “la gégène”, seul contre une horde sauvage. Tout était calculé, prémédité, Mehdi l’atteste. Sa famille martèle ce qu’elle considère comme l’unique vérité, la véritable version des faits. “Arrivé à un niveau de l’autoroute menant vers la côte ouest, le fils Melzi a arrêté subitement sa voiture et fait mine d’aller uriner. Alors qu’il s’est éclipsé, deux grands gaillards font irruption dans l’Audi. Mehdi croyait être victime d’une agression, comme il est de coutume sur les voies rapides. Les inconnus se mettent sur la banquette arrière. Ils sont armés d’épées. L’un d’eux tend ses mains vers son cou et l’étrangle. Mon frère s’évanouit. À son réveil, il est surpris de voir Amine Melzi au volant. Lui est à l’arrière, coincé entre ses agresseurs. Le véhicule roule en direction de Moretti. À chaque cri qu’il pousse, mon frère reçoit des coups de couteau. Melzi l’assure qu’il va payer”, relate l’aîné des Sari.

Mehdi était redevable de quoi ? Selon les révélations de son frère, une histoire de fille est à l’origine de cette affaire scabreuse. “Le complice de Amine Melzi est Sofiane Zabour. C’est aussi un ancien camarade de classe de Mehdi. Depuis peu, ce Zabour fréquentait une jeune fille qu’il maltraitait. Cette dernière s’en plaignait à mon frère. Elle l’appelait souvent”, dit encore l’aîné de Mehdi. Mélangée à d’anciennes rancunes, la jalousie a poussé son auteur et ses compagnons au pire. Suite du film. “Il est presque 20 heures quand le véhicule de Melzi franchit le barrage de la gendarmerie érigé à l’entrée de la résidence de Moretti. Comme les vitres sont fumées, les brigadiers ne se rendent compte de rien. Ils connaissent de toute façon le fils du directeur et le laisse passer”, confient les Sari. Livrant son témoignage par bribes, Mehdi soutient qu’il a ensuite été emmené dans le fameux pavillon. Il est conduit dans le grenier. Sur les lieux, il découvre le reste de ses tortionnaires. Mehdi est mis debout contre le mur. Une épée est posée sur son cou pour l’empêcher de se retourner et de gigoter. Aussitôt, les coups pleuvent sur son visage. Il perd connaissance à plusieurs reprises. “Pour le maintenir éveillé, ses agresseurs mouillent son tee-shirt et le piquent avec un pistolet à électrodes”, révèle son frère.

Brûlures et défenestration

Des parties du corps de la victime portent les traces de brûlures. Finalement, il aura tout supporté sauf la tentative de viol dont il allait faire l’objet. Lorsque ses bourreaux tentent de lui faire baisser le pantalon, Mehdi se précipite vers une fenêtre avec l’intention de se jeter dans le vide. “Je n’ai pas eu le temps de le faire. Ils m’ont poussé”, raconte-t-il. Mehdi fait une chute douloureuse. Son bras gauche est fracturé. Il a mal mais il étouffe ses hurlements. Pour ses agresseurs, Mehdi Sari est mort. Ils entreprennent alors de faire disparaître le corps. Mis dans le coffre d’un véhicule, il est abandonné quelques kilomètres plus loin dans un buisson, sur la route de Ouled Fayet. “À moitié nu, il trouve le courage de ramper jusqu’à une maison où il frappe à la porte. Les propriétaires le recueillent et nous appellent. Nous l’évacuons aussitôt dans une clinique de Chéraga”, conclut le frère. Durant trois jours, Mehdi est gardé en réanimation. Hier, il s’est rendu à l’hôpital de Béni Messous pour des examens.

Les certificats des médecins légistes sont incontestables. Il s’agit bel et bien d’une tentative de meurtre. Après un week-end long pour la famille, durant lequel les différentes brigades de gendarmerie concernées de près ou de loin par cette affaire ont fait preuve de cafouillage, le procureur de la République près le tribunal de Chéraga a diligenté une enquête. Entendu pendant toute la journée d’hier par la section judiciaire de la brigade de Bouchaoui, Amine Melzi a été maintenu en garde à vue.

Pourtant aux yeux de son père, il est totalement innocent. Joint par téléphone, le directeur de l’EGT Sahel récuse les accusations de Mehdi Sari et de sa famille. “Mercredi à 17h30, en me rendant à ma partie de belote, j’ai laissé mon fils à la maison. À 23h, un cousin des Sari m’appelle et me dit que mon fils est impliqué dans l’agression de son neveu. Je me rends immédiatement à la clinique. J’y suis resté jusqu’à 2h. Le gamin était conscient. Le lendemain, j’ai informé le procureur et la gendarmerie des accusations portées contre mon fils. Et c’est moi-même qui l’ai emmené ce matin à la brigade de Bouchaoui”, certifie notre interlocuteur. À ses yeux, l’affaire Sari relève d’un règlement de compte. “Il paraît que c’est un escroc”, croit-il savoir.

Par Samia Lokmane, liberte-algerie.com