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Mohamed Benchicou condamné à deux ans de prison ferme

mardi 15 juin 2004, par Hassiba

Mohamed Benchicou a été condamné, hier, à deux années de prison ferme avec mandat de dépôt et une amende de deux milliards de centimes. C’est le verdict.

Le tribunal a décidé ainsi d’emprisonner le directeur du quotidien
Le Matin après que le procureur de la République a requis une peine de 5 années de prison ferme accompagnée de mandat de dépôt. C’est le couronnement de la cabale juridico-policière fomentée par le ministre de l’Intérieur depuis le 23 août dernier, date de la découverte de 13 bons de caisse d’épargne dans son porte-documents à l’aéroport Houari-Boumediène alors qu’il rentrait de Paris. L’annonce du verdict a choqué tous les présents ; citoyens, journalistes, familles victimes du terrorisme et avocats ont répliqué par des slogans hostiles au Pouvoir : « Pouvoir assassin », « Etat terroriste », « Justice aux ordres », « Madani Mezrag (chef terroriste de l’AIS) honoré, Benchicou en prison ».

Face à la colère des présents qui devenait ingérable, la présidente de la cour quitte les lieux, alors que le prévenu encerclé par les policiers adresse un dernier regard à l’assistance, levant la main et les doigts en V de la victoire. L’image est bouleversante. Troublée, Mme Zouani, la mère d’Amel, assassinée à Sidi Moussa par les acolytes de Antar Zouabri, « émir » du GIA, s’évanouit. Les frères du directeur du Matin n’arrivent pas à contenir leur colère s’en prenant aux magistrats qu’ils qualifient « de corrompus, de serviteurs de la dictature de Bouteflika ». A côté de ces derniers, Me Zaïdi ne mâche pas ses mots pour signaler que « le verdict est dicté par le Président Bouteflika et son ministre de l’Intérieur Zerhouni ». Le fait était prévisible : quelques minutes avant le retour de la présidente de la cour des délibérations, les policiers en civil ont été instruits d’occuper les travers de la salle d’audience afin d’éviter tout débordement lorsque le verdict sera prononcé. Les présents ne doutent point : « Benchicou va être emprisonné. » Le pressentiment ne tarda pas à se confirmer.

Le prétexte idéal, pour reprendre les déclarations du collectif de la défense, est trouvé par les instigateurs du cercle présidentiel pour écrouer le journaliste. Pourtant, l’accusation « de port de bons d’épargne lors des déplacements de personnes à l’étranger ne constitue nullement une infraction à la réglementation des changes », ont expliqué les avocats du prévenu. Pas moins de huit robes noires se sont succédé à la barre pour affirmer, documents, dispositions légales et notes du règlement intérieur de la Banque d’Algérie à l’appui, que les faits reprochés à M. Benchicou « sont tous frappés de nullité ». La raison évoquée : les bons d’épargne ne sont pas négociables à l’étranger puisque l’argent dont il est fait mention se trouve en Algérie. Me Benarbia indiquera à ce propos qu’un tel délit peut être constaté si l’argent transféré à l’extérieur du pays servait à financer une activité commerciale ou économique. Chose qui est loin de ressembler au cas de M. Benchicou. L’avocat fera remarquer à ce propos que « si le prévenu avait l’intention d’investir à l’étranger, il aurait pu faire le change de son argent au marché parallèle pour faire ce qu’il veut ». Prendra le relais par la suite Me Miloud Brahimi. Celui-ci étayera les arguments de son prédécesseur en insistant sur l’écrit envoyé par le directeur général des douanes au Chef du gouvernement et au général major Mohamed Mediène, responsable du Département de renseignement et de sécurité. Dans ce document le patron de la douane a signalé que ses services n’ont constaté aucune infraction à la réglementation des changes par M. Benchicou et que seules les structures de l’institution sont habilitées à constater une telle transgression. Un fait appuyé par le syndicat des douanes qui, dans une déclaration couronnant les travaux de son dernier congrès, a réaffirmé que le directeur du Matin est innocent de toutes les accusations que lui a portées la police sur instruction du patron du département de l’Intérieur.

Sur le plan de la procédure, une bataille sans merci est engagée entre le collectif de la défense et la partie civile, soutenue, faut-il le souligner, par un parti pris flagrant de la présidente de la cour et du procureur général. Les avis divergeaient, en effet, sur la constitution du ministère des Finances comme partie civile. Se basant sur le code de procédure pénale, la défense a affirmé que « l’institution concernée ne peut pas prendre part au procès pour la simple raison que l’amende prévue par les textes de loi revêt un caractère pénal qui va alimenter le Trésor public ». Chose qui a poussé Me Benarbia à relever que « le ministère des Finances est automatiquement disqualifié puisqu’il ne peut pas demander plus que ne prévoit la réglementation en la matière ». Concernant l’arrestation de M. Benchicou à l’aéroport Houari-Boumediène, les policiers, au nombre de quatre, convoqués pour apporter la version des faits, ont tous signalé qu’ils avaient agi dans un cadre de contrôle routinier et non pas sur instruction du ministre de l’Intérieur. Ces policiers ont nié même le fait « de connaître physiquement M. Benchicou ».

En procédant de la sorte, les policiers tentaient de faire savoir qu’« il n’y a aucun complot ou cabale qui visait Benchicou ». L’objectif est clair : démentir l’information selon laquelle les agents de la police des frontières ont agi sur ordre du ministre de l’Intérieur qui avait juré que le directeur du Matin paierait le fait d’avoir publié le témoignage d’un citoyen l’accusant d’avoir exercé la torture, alors qu’il était responsable à la Sécurité militaire dans les années 1970. Piégés par les questions du collectif des avocats, ces derniers ont fini par refuser de répondre aux questions posées. D’autres irrégularités qui ont entaché ce procès au niveau de l’instruction ont été présentées par les avocats pour affirmer que les poursuites judiciaires que subit le directeur du Matin sont d’ordre politique qui tendent à faire taire le journaliste et son journal. Le collectif a fait part à ce propos de l’inexistence du procès-verbal du 23 août sur lequel s’est basée l’instruction, alors qu’il n’y a qu’un seul daté du 27 août 2003. Ce procès-verbal de la police qui devait atterrir sur le bureau du ministre des Finances a été adressé, contre toutes les dispositions de la procédure pénale, au procureur de la République, lequel procureur a accédé à la demande de la police judiciaire de prononcer la mise sous contrôle judiciaire.

Avant de conclure, Me Berghal a indiqué que ce procès « est le procès de l’Algérie qui avance et que si Benchicou est aujourd’hui en face de la cour, c’est parce qu’il paie le fait d’ouvrir son journal aux mouvements citoyens de Kabylie, du Sud, des Aurès. Au moment où les partis d’opposition ont disparu, son journal est devenu la voix de la véritable opposition ».

Par Nadir Benseba, Le Matin