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Parlez-vous le Zerhouni ?

Le ministre vu de l’intérieur

samedi 28 février 2004, par nassim

Depuis quelques mois, Nouredine Yazid Zerhouni est devenu, de facto, le porte-parole du pouvoir et le “directeur de campagne” du Président-candidat. Nous l’avons suivi tout au long des dernières sorties de Bouteflika. Portrait du ministre le plus controversé de la République.

Si côté cour, Bouteflika charme les foules et accapare les sunlights, côté jardin, c’est incontestablement son ministre de l’Intérieur qui pèse dans les coulisses, lui qui ravit la vedette au Président à chacune de ses sorties, par ses conférences de presse qui sont, à chaque fois, le clou de la visite, et qu’attendent les confrères en se disant malicieusement, le sourire en coin, sur un air de réclame publicitaire : “Avec Zerhouni, la une est garantie !”

Le regard sec, la mine patibulaire, le port altier, la démarche martiale, quelque chose de crispé, d’austère dans le visage, Zerhouni sera l’incarnation physique et métonymique du régime ; un régime que tout le monde s’accorde à qualifier de “policier”. Le mot est lâché. Sa gestion ratée du dossier de la Kabylie scellera définitivement cette épithète, achevant de confondre l’homme avec la flicaille ; avec le versant musclé du système.

La star du “cabinet ambulant”
De tout le “cabinet ambulant” de Bouteflika, que ce dernier déplace à volonté à chacune de ses visites de terrain, et dont les figures récurrentes (les “titulaires”, dirions-nous) ont pour nom (dans le désordre) : Saïd Barkat (Agriculture), Chakib Khelil (Énergie), Mohammed-Nadir Hamimid (Habitat), Rachid Harraoubia (Enseignement supérieur), ou encore Abdelmalek Sellal (ministre des Transports jusqu’à sa nomination directeur de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika), Zerhouni est, sans doute aucun, “Le” personnage à ne pas manquer, et les observateurs le créditent d’un poids auprès du Président supérieur à tous ses autres hommes de main ; un poids que ne lui disputerait pas même le très médiatique Ahmed Ouyahia. On en voudra pour preuve les libertés que se donne le ministre à chacune de ses déclarations. Ne se contentant pas d’ânonner doctement les longs et interminables chiffres censés traduire dans l’esprit de l’orateur les “glorieuses réalisations” accomplies sous la “ouhda oula” (premier mandat) de Abdelaziz Bouteflika, le ministre de l’Intérieur se prête allègrement au jeu qui consiste à aborder avec la presse nationale tout le spectre des questions brûlantes qui agitent l’actualité. Si bien que Zerhouni a fini par se poser de facto comme le porte-parole du gouvernement pour ne pas dire du Président.

Au fil des sorties de Bouteflika, Zerhouni a fini par dévoiler, chichement mais sûrement, quelques pans de sa nébuleuse personnalité. À 66 ans (il est né en 1938 à Tabarka, en Tunise, selon l’index biographique du livre de Benchicou, Bouteflika, une imposture algérienne), Noureddine Zerhouni, dit Yazid, garde pleinement la forme.

Il se lâche peu, il est peu loquace et garde des réflexes quasi militaires. Sa bouille fait à chacune de ses apparitions le bonheur des photographes qui ne se lassent pas de happer chacune de ses moues, plus enclines à se renfrogner qu’à sourire. Pourtant, derrière ce visage impassible, flegmatique, presque dénué de sentiment, se cache un homme avenant et un papa gâteau, assurent ceux qui ont une certaine connaissance de l’homme. Pour sacrifier à la caricature, disons que l’homme sort réprimer le matin, prononce quelques déclarations maladroites et rentre, tranquille, le soir arroser ses plantes, s’occuper de ses chiens ou lire un roman... policier.

Militaire jusqu’au bout des ongles, lui, l’ancien malgache (du Malg), et qui, après l’indépendance, était le numéro deux de la toute puissante Sécurité militaire, juste derrière le défunt Kasdi Merbah, il dort peu et se lève tôt. La première chose qu’il fait, raconte un de ceux qui l’ont approché, c’est la lecture des journaux, exercice auquel il s’adonne aux aurores, passant au crible tous les titres de la presse nationale.

Peu enclin au sourire, disions-nous, mais ne dégage aucune animosité non plus. Incolore, inodore, aurait-on dit. Il a moins de bagou qu’un Ouyahia par exemple, et certainement moins d’humour qu’un Sellal, le blagueur attitré de l’Exécutif, et qui s’amuse avec les journalistes comme leur copain. Pourtant, tous ceux qui ont pris l’habitude de le suivre ont relevé que l’homme a fait d’énormes progrès en matière de communication, à croire qu’il a pris des cours de marketing politique. Depuis six mois maintenant, il a pris sur lui d’organiser des points de presse, tant en marge des sorties de Bouteflika qu’à certains rendez-vous cruciaux. Au tout début, il était lourd et “martial” dans son style de communication, au point que ses maladresses successives lui vaudront un sobriquet révélateur (que l’on doit à Hakim Laâlam) : Nounou La Gaffe.

On se rappelle particulièrement d’une “bourde” mémorable qui lui vaudra les foudres des émeutiers kabyles, lorsqu’il avait traité le jeune Guermah Massinissa de “voyou”. Nous l’avons côtoyé à Adrar, à Tamanrasset, à Illizi, et, tout récemment, à Ouargla. Au fil des jours, Zerhouni est devenu pour nous une figure familière, et un début de sympathie a même commencé à se tisser entre le ministre et la presse, cette même presse qu’il menace de faire passer sous les fourches caudines de la justice sitôt revêtant l’habit du “premier flic”.

Avec un fort accent de l’Ouest (les Zerhouni sont une grande famille de Nedroma au même titre que les Benachenhou), Zerhouni a passé une partie de sa jeunesse au Maroc. Fâché avec les chiffres et la langue arabe, lorsque ces deux handicaps viennent à s’associer, c’est la catastrophe. Il bégaye, bafouille, se trompe de zéros, mais dès qu’il passe à la langue française, c’est un autre homme qui parle. Il est en terrain conquis. Pour ceux qui ne le savent pas, l’homme a une parfaite maîtrise de l’anglais. N’oublions pas que Zerhouni a occupé le poste d’ambassadeur à Washington.

“Soutenance” à Tamanrasset
Lors de la visite de Tamanrasset que Bouteflika a effectuée le 15 février dernier, Zerhouni a fait une conférence de presse impeccable, et ce, de l’avis de tous les confrères, à telle enseigne que l’un d’eux a eu cette boutade à la bouche : “Avant, Zerhouni ne faisait qu’apprendre l’art de répondre aux journalistes. Aujourd’hui, il a fait sa soutenance. Il est fin prêt pour une ouhda thania.” Ce jour-là, la question-phare tournait autour du livre-événement de Mohamed Benchicou. La campagne policière contre le pamphlet du directeur du Matin n’avait pas encore commencé.

Un journaliste de Sawt Al Ahrar l’interpelle sur les accusations contenues dans le bouquin, et faisant état d’un commerce de voitures de marque Mercedes auquel le ministre se serait adonné du temps où il occupait le poste d’ambassadeur à Mexico. Zerhouni qualifie les propos tenus à son encontre dans Bouteflika, une imposture algérienne de “graves accusations” et promet de saisir la justice. Mais ce n’est pas là le hic. Le hic, c’est la raideur et la froideur de l’ancien numéro deux de la Sécurité militaire. Froid : voilà sans doute le mot-clé pour définir le tempérament de Zerhouni. Rien ne semble l’agacer, et pourtant... ce jour-là donc, à Tamanrasset, il a bien fini par manifester de l’irritation.

C’était à la fin de la conférence de presse. Le journaliste qui l’avait interrogé au sujet de l’accusation de trafic de voitures de luxe dirigée contre lui l’accule une seconde et une troisième fois, respectivement au sujet de sa responsabilité dans la torture de jeunes émeutiers dans les locaux de la police lors des évènements de Kabylie, ensuite à l’occasion d’une question sur son droit d’afficher, en sa qualité de premier responsable de l’administration, et donc premier garant de sa neutralité en prévision de la très proche consultation électorale, ses préférences électorales en faveur de qui l’on sait, Zerhouni tance vertement le journaliste en question et lui lance dans un aparté pour le moins cocasse : “Mennek walla men ouadnik ?” (Les questions étaient vraiment les vôtres ou bien on vous les a soufflées ?).

Pour mettre la boutade du ministre dans son contexte, le sous-entendu est que le journal pour qui travaille notre confrère est pro-Benflis, et Zerhouni, en bon redresseur (de torts) qu’il est, croyait avoir saisi une attaque en règle contre son clan. En tout cas, prononcée dans la bouche d’un personnage aussi pesant, aussi enveloppé de mystère et de solennité, la réplique avait quelque chose de... surréaliste.

À Ouargla, le même Zerhouni retrouve le même journaliste, cette fois dans la foulée de l’inauguration d’une cité universitaire. Zerhouni accueille avec un large sourire mâtiné d’espièglerie le jeune reporter qui va à sa rencontre. Si Yazid ayant reconnu en lui son “enquiquineur” de l’autre jour, lui fait : “Wach wassawek al youm ?” (De quoi on t’a chargé aujourd’hui ?). Puis, reprenant un air contenu : “Non, c’était juste pour te taquiner !” Zerhouni taquiner un journaliste !! Qui l’eût cru ?! Dans sa dernière conférence de presse, tenue le 24 février dernier à Ouargla, en dépit d’un climat sous haute tension marqué par de violentes émeutes, Zerhouni est de marbre et garde tout son calme.

Désormais, il a gagné une telle confiance en lui qu’il va de lui-même provoquer les journalistes. Prenant de l’assurance, c’est lui-même qui invite à présent les confrères à poser leurs questions, toutes leurs questions. À Ouargla, quand la presse avait cessé de le harceler, il n’était pas pressé de quitter la salle de conférences. “Oui, d’autres questions ? Oui, là-bas, non ?”, nous titille-t-il. Il s’essaye même à l’humour. À un journaliste qui a le bob éternellement vissé sur la tête : “Vous pouvez enlever votre chapeau, il n’y a pas de soleil dans la salle !”, ironise-t-il. Indéniablement, Zerhouni a fait du chemin. En matière de communication médiatique s’entend. Pour le reste...

Ministre ou directeur de campagne ?
L’administration est au centre de tirs croisés depuis que la scène électorale s’est décantée, de la part des candidats à l’élection du 8 avril prochain.
D’une voix unique, les 9-1 ne cessent de dénoncer le flagrant parti pris du département de Si Yazid. Loin d’apporter de quoi atténuer ces accusations, Zerhouni ne fait que les conforter, même si dans le verbe, il ne cesse de prêcher à qui veut bien le croire : “L’administration sera neutre et l’élection transparente.”

En guise de préambule à chacune de ses conférences de presse couronnant telle ou telle visite du Président, il s’attarde à souligner les “indjazate al-adhima” avec toujours cette même déclaration liminaire qui revient en boucle : “Ces visites de terrain entrent dans le cadre des choix stratégiques du président de la République qui a accordé une place importante au développement local dans son programme de relance économique.” À Ouargla, en réponse à un confrère d’El Watan qui lui pose la question de savoir si la prodigalité dont fait preuve Bouteflika n’était pas l’effet d’une conjoncture pétrolière favorable plutôt que d’une gestion judicieuse, Zerhouni défend bec et ongles son chef : “Non, c’est un choix stratégique basé sur la priorité au développement local. Au cours des quatre dernières années, nous avons créé plus de un million de postes d’emploi. Nous voyons là la perspicacité de ce choix. Ce n’est pas l’embellie pétrolière qui est à louer. Vous savez que les budgets de l’État sont établis sur la base d’un prix de pétrole de 19 dollars le baril”, devait-il argumenter.

À Ghardaïa, il abat carrément ses cartes en avouant publiquement : “Je serai le premier à voter pour le Président.” Plus tard, il justifiera cette déclaration par une pathétique homélie du style : “Je suis citoyen et j’ai le droit d’avoir mon opinion.” Redoublant de dérapages, il défend comme personne les redresseurs contre Benflis exactement comme l’aurait fait un militant basique d’une chapelle politique. Il n’hésite pas à donner la réplique et provoquer la polémique, par médias interposés, avec ses adversaires du moment, entendre ceux du Président bien sûr, qu’ils s’appellent Nezzar, Hamrouche ou Taleb, mais il lui reste encore à affiner son arsenal rhétorique au lieu des rigides et rébarbatifs “qu’ils apportent des preuves !” ou encore “nous allons saisir la justice”, ses éternels leitmotive.

Quand il estime utile de le faire, il n’hésite pas à marteler haut et fort ses convictions avec ce qu’il croit s’apparenter à de la fermeté. Dans le cas du livre de Benchicou, il a justifié sans ambages l’opération de police qui a été déclenchée pour saisir le pamphlet en se couvrant de légalisme, avec force : “Toutes nos actions se font dans le respect de la loi.” Il en sera de même quand il s’est agi d’exprimer sa solidarité avec son collègue du gouvernement Ghoulamallah dans le bras de fer imams-presse, allant même jusqu’à proférer des menaces de poursuites judiciaires contre Ali Dilem et Liberté.

Mais le plus grand exploit de Zerhouni est ailleurs : celui d’être encore là. Il a miraculeusement survécu à son impopularité. Comme tout ministre de l’Intérieur d’une démocratie policière qui se respecte...

Mustapha Benfodil, Liberté