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Peur sur l’Europe

Le Vieux Continent découvre, à son tour, l’horreur version Ben Laden

lundi 15 mars 2004, par Hassiba

Il ne restait plus que l’Europe. Al-Qaïda que son fondateur Oussama ben Laden appelle “Front islamique international pour mener le jihad contre les croisés et les juifs” avait frappé en Amérique avec les Twins Towers, en Afrique avec les ambassades américaines de Nairobi et de Dar Es-Salaam, en Asie avec le paradis touristique de Bali (Indonésie) et surtout dans le monde arabe avec le Yémen, le Maroc, l’Arabie Saoudite et l’Algérie (qu’on continue d’ignorer pour d’obscures raisons).

Avec le massacre de Madrid et l’abandon de la piste basque de l’ETA, que le gouvernement espagnol a voulu privilégier avec sans doute l’espoir de lui faire traverser le dimanche électoral, l’Europe est frappée au cœur et a tout de suite pris la mesure des risques encourus. “Cela signifierait une nouvelle dimension du terrorisme islamiste en Europe”, a prévenu l’Allemagne par la bouche de son ministre de l’Intérieur Otto Schilly qui a appelé à une réunion d’urgence des ministres de l’Intérieur de l’Union européenne pour échanger les informations et coordonner leurs actions après les attentats. “Je vais adresser à la présidence irlandaise la demande de réunir les ministres (de l’Intérieur) des pays membres de l’UE pour une conférence d’urgence avec les chefs des services de sécurité et de police respectifs”, a-t-il précisé. Auparavant, le chancelier Gerhard Schröder avait convoqué le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer, le ministre de l’Intérieur ainsi que les chefs des services secrets allemands (BND), de la Police criminelle (BKA) et des renseignements intérieurs (Office de protection de la Constitution).

Le but de ce conseil était d’échanger rapidement et directement des informations entre ministres concernant la sécurité intérieure et à l’étranger, ainsi que de définir la politique à suivre. Il faut une information claire et exhaustive sur tous les indices pouvant expliquer ces attentats afin de parvenir à une “évaluation commune” de la situation et “coordonner les façons de répondre” aux dangers éventuels, a précisé le ministre allemand. M. Schily a dit espérer réaliser “aussi vite que possible”, le cas échéant “dès cette semaine, une réunion informelle” avec ses homologues européens.

De son côté, le haut représentant de l’UE pour la politique étrangère, l’Espagnol Javier Solana, va proposer, mercredi, aux Quinze de renforcer la lutte contre le terrorisme en Europe en nommant un expert chargé de “coordonner” leur action. Cette proposition entre dans le cadre de la stratégie de sécurité de l’Union européenne, définie par M. Solana et entérinée au sommet de Bruxelles, de décembre dernier, qui vise à faire face aux nouvelles menaces comme les armes de destruction massive, le terrorisme ou les crises régionales. M. Solana doit détailler son projet dans un document interne sur les efforts européens pour combattre le terrorisme, qui sera soumis aux ambassadeurs des États membres de l’UE “pour un premier débat d’orientation” lors de leur réunion mercredi à Bruxelles.

Le haut représentant devrait souligner, dans ce document, la nécessité d’arriver à “plus d’efficacité” en la matière et proposer à cette fin la nomination d’un “coordinateur” au sein des structures “internes” de l’Union.
Ce M. Terrorisme, placé sous l’autorité de Javier Solana, ne sera “pas un politique mais un expert connaissant les dossiers”, souligne-t-on dans l’entourage du haut représentant. Deux jours après le massacre de Madrid, M. Solana a estimé, samedi, sur la radio publique France Inter, que l’Europe allait “souffrir” du terrorisme. Il l’a appelée à ne pas s’y préparer “seulement de manière psychologique”, mais aussi “par la coopération”. Actuellement, la lutte contre le terrorisme au sein de l’UE se fait encore avant tout à l’échelle nationale. Mais le traumatisme des attentats du 11 septembre 2001, aux États-Unis a amené les Européens à développer leurs activités d’échange d’informations. En l’espèce, le principal “instrument” de coopération au sein de l’Union reste la “liste noire” européenne des organisations terroristes, mise en place en décembre 2001, et régulièrement révisée depuis par un groupe d’experts des États membres.

Par ailleurs, le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt, a écrit à son homologue irlandais Bertie Ahern, président en exercice de l’Union européenne, pour lui demander de mettre la lutte antiterroriste dans l’agenda du sommet de Bruxelles des 25 et 26 mars. En tout cas, les inquiétudes sont là et l’on s’interroge déjà sur la prochaine cible de Ben Laden d’autant que nombre de pays comptent parmi les alliés des États-Unis dans leur guerre en Irak.
Pour autant, ceux qui, comme la France, l’Allemagne ou la Russie, se sont opposés au conflit ne sont pas nécessairement épargnés par le danger. Dans une lettre, M. Verhofstadt remet sur la table l’idée de créer un “centre de renseignement de l’Union européenne”, avancée le mois dernier par l’Autriche, mais fraîchement accueillie à l’époque par la plupart des Quinze et la présidence irlandaise.

Les attentats de Madrid sont “un message au nom d’Al-Qaïda, adressé au monde entier”, avait affirmé, vendredi, Omar Bakri, chef spirituel du groupe Al-Mouhadjiroun, soupçonné de liens avec le dirigeant présumé du réseau en Europe, Abou Qatada, rédacteur au sein d’El Ansar l’ancienne publication du GIA éditée à Londres. Il avait laissé entendre qu’après les “trains de la mort” à Madrid, l’Italie pourrait être la prochaine cible d’une opération “fumée noire de la mort”, avant une autre attaque “vent de la mort” aux États-Unis. À Rome, le ministre de l’Intérieur, Giuseppe Pisanu, a convoqué, hier, une réunion extraordinaire des responsables de la sécurité pour analyser les informations disponibles sur les attentats de Madrid avec l’objectif “d’examiner les éléments et les informations que les autorités italiennes, en contact permanent avec leurs homologues espagnoles, ont reçus sur les développements des enquêtes sur les attentats du 11 mars”. Un groupe inter-forces, spécialiste de l’antiterrorisme, est déjà opérationnel 24 heures sur 24, ont assuré les dirigeants italiens.
Rome représente une cible potentielle, pas seulement en raison de son alliance avec les États-unis, mais aussi en raison de la présence du Vatican qui en fait la capitale du christianisme.

Quelques heures après les attentats de Madrid, le gouvernement avait envoyé une directive à tous les préfets de police, les invitant à porter une attention particulière à la prévention et surtout à renforcer les contrôles.
La France, frappée en 1995 par le GIA, ne se sent pas à l’abri malgré sa position contre la guerre en Irak. La récente adoption d’une loi interdisant le port du voile à l’école l’a mise dans le collimateur du réseau terroriste international.

Par précaution, la France a élevé le niveau d’alerte. Partout, la peur est alimentée par le développement du terrorisme qui ne choisit plus de cibles symboliques ou stratégiques. Désormais, tout le monde est dans sa ligne de mire.

Enquête sur le carnage de Madrid

Des Marocains comme premiers suspects

L’enquête préliminaire menée sur les auteurs des attentats meurtriers du 11 mars à Madrid plaide, jusque-là, pour l’implication des islamistes marocains sous la bannière du réseau transnational Al-Qaïda. Des ressortissants de Sa Majesté le roi Mohammed VI figurent parmi d’autres suspects dans le rapport du ministre de l’Intérieur espagnol. Le compte-rendu des services de police espagnols évoque cinq arrestations annoncées avant-hier. Trois des personnes interpellées, résidents permanents en terre ibérique, sont d’origine marocaine, et les deux autres indiens.
Adoptant un discours marqué de circonspection, le ministre de l’Intérieur, Angel Acebes, a, néanmoins, indiqué qu’il était prématuré de se prononcer. Sans pour autant nier en bloc l’existence de liens entre l’intégrisme marocain et l’organisation transnationale de Oussama Ben Laden, le représentant du gouvernement de Aznar a confié, hier, que “certains pourraient avoir des relations avec des groupes extrémistes marocains”. Et d’ajouter encore : “Ces interpellations ouvrent une voie très importante pour avancer dans l’enquête.”

Cette prudence du ministre espagnol dans les accusations proférées contre des marocains serait-elle motivée par la crainte d’un vote sanction contre son parti (parti populaire) par les électeurs sachant que d’autres révélations plaident pour la piste marocaine ? L’aveu est fait par un porte-parole militaire présumé d’Al-Qaïda dans le cadre d’une deuxième revendication dont l’enregistrement sonore a trahi, selon Acebes, “un accent marocain”. Les thèses retenues jusque-là dans l’enquête du carnage de Madrid, qui ont fait 200 morts, sont vraisemblablement orientées vers l’intégrisme islamique et Al-Qaïda.

Pour rappel, des marocains avaient été déjà accusés d’appartenir au réseau d’Oussama Ben Laden et arrêtés après les attentats terroristes de Djeddah (Arabie saoudite) perpétrés le 20 mai 2003, soit quatre jours après ceux de Casablanca. Les attentats suicides perpétrés dans la capitale économique du royaume chérifien, et qui ont fait 45 morts dont deux espagnols, ont donné lieu, rappelons-le, à de vastes opérations policières et des dizaines de procès et de condamnations.

Cependant, les enquêtes de Rabat n’ont pas pour autant fourni des éclairages sur les liens internationaux des organisations intégristes marocaines mises en cause, notamment la Salafia Jihadia et Assirat Al-Mostquim. La liste des suspects ressortissants de ce pays, les impliquant dans des actions terroristes, s’allonge encore avec les auteurs des attentats du 11 septembre 2001. Le marocain Mounir El-Motassadek, 28 ans, avait été condamné à 15 ans de réclusion criminelle par un tribunal de Hambourg (Allemagne) au terme d’un procès qui vient d’être remis en cause par la cour de cassation allemande. Il avait été le premier condamné dans l’affaire des tours jumelles du World Trade Center.

Cela étant, l’administration de Rabat s’efforce, à présent, de soigner son image de marque “négative”.
Les autorités de Rabat ont exprimé, hier, leur volonté de collaborer dans l’enquête menée par les autorités de Madrid. Le porte-parole du gouvernement marocain a révélé les identités des trois hommes concernés et a annoncé le départ pour la capitale espagnole de responsables marocains chargés de la sécurité.

Des observateurs internationaux se demandent si la disponibilité du royaume chérifien ne vient pas “à point nommé” pour disculper et éliminer la thèse d’une implication de citoyens marocains dans le carnage de Madrid. Ces questions seront vraisemblablement élucidées à l’issue du scrutin législatif du pays ibérique.

Yacine Kenzy, Liberté