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Pr Kacha : « La baisse du pouvoir d’achat en Algérie est un facteur aggravant »

mercredi 2 juin 2004, par Hassiba

Le Dr Farid Kacha est professeur de psychiatrie à l’université d’Alger, chef de service à l’EHS universitaire de Chéraga, président du Comité pédagogique national de psychiatrie et président de la Société algérienne de psychiatrie.

Ayant enseigné à Genève, en Suisse, il a été membre du comité exécutif du Congrès mondial de psychiatrie sociale, membre fondateur de l’Association franco-maghrébine de psychiatrie et expert de l’OMS. Auteur de plusieurs publications, le Pr Kacha est détenteur du prix maghrébin de médecine pour le Manuel du praticien maghrébin (Masson 1987) dont il est coauteur. Dans cet entretien, il nous livre l’état des lieux des pathologies mentales qui touchent, selon l’OMS, 5 % de la population algérienne dont 1% en ce qui concerne les maladies graves comme la schizophrénie. « Un taux acceptable et répondant aux normes universelles », selon le Pr Kacha.

Nos rues regorgent de malades mentaux et leur nombre ne cesse de s’accroître. Pourquoi une telle situation ?
Je dirais qu’il s’agit d’un problème qui ne se limite pas uniquement à l’aspect médical. Le côté social se pose avec acuité. Les malades qui sont dans la rue ne sont plus intégrés dans leur famille. Ils ont largué les amarres. Et là, la responsabilité de la famille n’est pas entièrement engagée dans la mesure où les temps sont durs et que la précarité s’installe. Avec la baisse du pouvoir d’achat et la cherté du médicament, il y a comme une espèce d’abandon forcé de la part de la famille du malade. Les prix du médicament ont augmenté de 10 fois, voire 15 fois en seulement une décennie. D’où l’incapacité de la famille de prendre en charge son malade, ou ses malades dans certains cas. Cela dit, un travail énorme devra être fait en direction de cette population (de malades) par le biais de la société civile.

Et l’Etat ?
L’Etat est certes présent, mais il ne faut pas trop compter sur lui. On ne peut pas lui demander de résoudre tout. L’Etat, c’est lent. C’est le budget, c’est l’introduction de telle dépense pour tel chapitre. Alors qu’une association est plus souple dans ses mouvements. Une sortie aérée peut, par exemple, se décider en 24 heures. Il suffit de réunir l’argent à droite et à gauche, de sensibiliser un sponsor et l’affaire est réglée. Comme je disais tout à l’heure, la société civile, notamment le mouvement associatif, a un grand rôle à jouer. Son implication sur le terrain résoudrait énormément de problèmes. Les difficultés du quotidien que subissent les familles. Pour le seul EHS de Chéraga, six associations activent déjà depuis des années. Nous avons
La Ruche qui soutient les enfants autistes, l’APAMM dont l’effort est orienté vers l’action de proximité (résoudre les problèmes de la sécurité sociale, assistance juridique, etc.) ou encore une autre qui s’occupe des thérapies familiales. Je voudrais aussi attirer l’attention sur le rôle que pourrait jouer l’APC de par sa proximité avec cette population. La loi oblige les collectivités locales à s’impliquer dans ce domaine. Malheureusement, les communes sont quasi absentes sur le terrain.

Vous préconisez donc la multiplication de ces ONG...
Tout à fait. Ces associations doivent investir le terrain, notamment dans les régions rurales et le sud du pays. Je ne dis pas qu’elles doivent se substituer à l’Etat mais leur apport en matière d’aide et d’assistance allégerait de beaucoup la souffrance des malades et de leur famille. Le suicide prend des proportions alarmantes ces dernières années.

Pensez-vous que la psychiatrie est à même de le « traiter » ?
Tout d’abord, on ne peut pas dire que le suicide a augmenté ou régressé pour la simple raison qu’il a toujours existé. Aujourd’hui, si on en parle, c’est parce que la presse, avec ses innombrables titres, le relate systématiquement. Il est passé du stade de silence à celui de la médiatisation. Personne ne peut prouver que le chiffre est à la hausse. Il n’y a pas de recueil qui se fait d’année en année. Pourtant, les moyens existent, sachant que chaque suicide fait l’objet d’une enquête de police en plus du fait qu’il est enregistré chez la médecine légale. Les pouvoirs publics devraient envisager de faire un travail scientifique. Cela dit, la psychiatrie n’y peut rien quand le maheureux passe à l’acte, c’est évident. Le travail doit se faire bien avant la perception de la tentative suicidaire. Faire preuve d’une attention particulière aux gens qui mettent leur vie en péril. Chercher à savoir les raisons qui les poussent à un tel acte. En somme, faire dans la prévention.

La maladie mentale est-elle acceptée aujourd’hui ?
Elle reste un tabou. L’évolution se fait très lente concernant, pourtant, une maladie comme les autres. Il s’agit d’un dysfonctionnement du cerveau qui est une partie du corps humain. C’est une maladie à prendre en charge comme le diabète ou l’insuffisance cardiaque. Elle dispose de structures dans les CHU, les établissements spécialisés, et le médicament est efficace.
Et là je parle de la schizophrénie qui touche 1 % de la population, un taux qui reste dans les normes universelles. Peut-être avons-nous mal communiqué, mal informé concernant les maladies du cerveau. Il faut sensibiliser la société sur le fait qu’il ne faut pas isoler le malade. Les malades ont besoin de parler, leur famille a besoin également d’être écoutée, afin de « dire la maladie » sans aucune contrainte.

Par Djamel Zerrouk, El Watan