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Que reste-t-il de l’idéal Boudiaf ?

mardi 29 juin 2004, par Hassiba

Boudiaf s’invite au souvenir des Algériens. Mais, au-delà de la traditionnelle cérémonie organisée par ses proches au pied de la tombe, dans le Carré des martyrs d’El-Alia, que reste-t-il de son idéal ?

Mohamed Boudiaf, un des pères fondateurs du FLN originel, a été assassiné le 29 juin 1992 à Annaba, dans la Maison de la culture, sous le regard tétanisé de téléspectateurs de l’Unique. Nous sommes au début de la guerre déclenchée par la sédition islamiste, sous le regard compatissant de -pratiquement- tous les partenaires de l’Algérie, en Occident, qui s’est généreusement ouvert aux réseaux de soutien du terrorisme. Dans le monde arabo-musulman, d’où pleuvassaient fetwas assassines, pétrodollars et mercenaires du projet théocratique. Six mois plus tôt, Boudiaf était revenu en Algérie à l’instigation de ceux, que, lui-même, désignait sous le vocable de “décideurs”. Une expression, qu’il a empruntée à Hocine Aït Ahmed, un compagnon de guerre, de prison, d’exil et autres infortunes d’une révolution dévoreuse de son idéal et de ses leaders rebelles à ses déviations.
Inconnu pour la majorité des jeunes algériens, du fait de la culture de l’oubli inséminée par le système qui s’est arrogé le pouvoir, au sortir de la guerre de libération nationale, Boudiaf va tout de suite cristalliser l’opinion. Son pedigree, incontestable et irréprochable, ravit la jeunesse en manque de repères et totalement désenchantée par des gouvernants, qui n’excellent que dans leur reproduction. C’est, non seulement, un nationaliste, un vrai historique, mais aussi et surtout un homme sobre, dont le style de vie et de communication se juxtapose parfaitement à l’image idéale que quêtent les Algériens pour leur chefferie. Boudiaf avait les traits du père de la nation, pour rester dans le schéma, certes, éculé, mais opérationnel dans des situations de grandes fragilités et où tout est à recontextualiser. Malgré de longues années d’exil, en France puis au Maroc où il s’était établi à la tête d’une petite entreprise familiale, Boudiaf ne s’était pas écarté de sa filiation du 1er Novembre 1954.
Il avait gardé intactes sa combativité et sa conception de la justice sociale et de la démocratie. Son retour a levé le voile sur la Révolution, tronquée et chloroformée, enseignée par une école, qu’il avait - en personne - décrétée de sinistrée. Fondateur du FLN à sa création, combattant de l’indépendance, Boudiaf sera vite de ceux qui exprimeront leur désaccord avec la ligne du système, qui avait fait une OPA sur l’Algérie : richesse et peuple.
Comme Aït Ahmed, il créa un parti d’opposition clandestin, dont le nom est symptomatique du destin qu’il nourrissait pour le peuple algérien : le Parti de la révolution socialiste. Faisant irruption dans les moments décisifs de la tragédie algérienne, Boudiaf s’oppose fermement au FIS. Comme il s’opposait à la corruption et, partant, au système qui nourrit le phénomène, Boudiaf introduit dans le lexique politique algérien le concept de “mafia polico-financière”.
Tout un programme. Présidant le Haut-Comité d’État installé le 14 janvier 1992 (après la démission du président Chadli) par le Haut-Conseil de sécurité, Boudiaf prend son bâton de pèlerin pour susciter un mouvement populaire.
Pour battre définitivement l’islamisme politique et faire avancer l’Algérie vers une nouvelle révolution, celle-là démocratique. Le fondateur du FLN, analysant les contradictions qui ont miné le pays, avait même suggéré de mettre le parti de la Révolution dans le placard de l’histoire pour faire repartir l’Algérie sur de bonnes bases, qui collent aux réalités et au temps nouveau. Son assassin ne lui laissera pas le temps. Boudiaf est abattu 3 semaines après avoir lancé un appel à la création d’un Rassemblement populaire national. Auparavant, il a instauré l’État d’urgence et le FIS a été dissous par le tribunal d’Alger.
L’Algérie s’enfonce dans les années de plomb... Pour Boudiaf, l’islamisme s’est nourri dans l’arriération cultuelle, le chômage, la malvie, le désœuvrement et l’inaptitude du régime à rompre avec les méthodes surannées du passé. 12 années plus tard, force est de constater que ces ingrédients n’ont toujours pas disparu.

Par Djamel Bouatta, Liberté