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Rachid Mokhtari, journaliste au Matin : Fait inédit

lundi 9 août 2004, par Hassiba

Fait inédit dans l’histoire de la presse qui a amorcé un autre âge de son indépendance : un éditeur de presse est incarcéré pour des motifs qui cachent mal leur soubassement politique.

Mais est-ce seulement un éditeur de presse ? un journaliste ? Un défenseur invétéré du mouvement citoyen ? L’ami incorrigible des opprimés ? Il y en a heureusement beaucoup parmi ceux-là qui ont traversé des années autrement plus noires ou rouges, qui ont fait de la prison pour leurs idées et leur combat, qui ont été torturés et ne se sont pas relevés des souffrances et des brimades. En quoi Benchicou ferait-il exception ? Voilà une élite sociale qui n’a de cesse de forcer le journalisme à se débarrasser des mièvreries anecdotiques pour une information juste, au-delà même du politique, voilà un producteur du sens toujours à l’affût de ses ratés mais aussi de ses réussites, voilà l’homme, le formateur, le pédagogue des sources journalistiques, le quêteur du mot juste et justicier, voilà... le prisonnier, ce journaliste qui...

Fait inédit dans l’histoire récente de la presse indépendante : un journaliste écrit une biographie sur le parcours politique du président de la République alors qu’il était sous contrôle judiciaire pour un délit fictif. Un livre qui serait sans doute passé inaperçu là ou des milliers d’ouvrages de ce genre font partie du paysage médiatique sans que les personnalités auxquelles on s’intéresse, décédées ou vivantes ne crient à la diffamation. Quant elles le font, elles ont recours à la justice pour le temps que leur plainte prendra.
Fait inédit dans l’histoire de la presse indépendante : ce même journaliste, alors sous contrôle judiciaire et malade, s’est épuisé à chercher de la documentation, entre articles de presse et ouvrages ayant trait à l’histoire de la guerre de Libération nationale pour, sans insulte, sans aucune ligne qui fut inventée ou mensongère, écrire cet ouvrage. À sa sortie, d’autres “biographies” étaient déjà sur les étals et leurs auteurs multipliaient les sorties médiatiques. Mais c’était celle de Benchicou qui, pour avoir pris le temps et le ton à la hauteur du personnage, a fait mouche. Des milliers d’exemplaires vendus de par le monde, des centaines d’émissions radio l’ont consacré best-seller de l’année 2004 dans ce genre d’écrit.

Fait inédit dans l’histoire récente de la presse indépendante : le livre, comme son auteur, a subi toute sorte de pression, d’intimidations, de harcèlements. Mais le bouquin a eu plus de chance que son auteur. Il a pu déjouer les manœuvres et se vendre là où les pièges lui étaient tendus, là où ses nombreux lecteurs étaient interpellés : à Alger comme à Paris au 19e siècle Les fleurs du mal de Baudelaire. Son auteur, Mohamed Benchicou, n’a pas eu besoin de gloire, il la hait même. Tant par ses écrits au quotidien que dans sa conception innovante de pratiquer un journalisme libéré de la tutelle extra-journalistique. Son livre a pris des ailes et les siennes furent enchaînées et jetées en prison. Le prétexte était tout trouvé. Il fallait traîner dans la boue l’auteur pour discréditer le livre. Il fallait à ses détracteurs faire croire qu’il n’est qu’un malfrat et que, ce faisant, sa plume ne pouvait être que scélérate. Mais, rien n’y fit.

Les milliers d’Algériens ou d’étrangers n’ont pas découvert Benchicou dans ces pages, ni dans ses chroniques, ni même dans ses éditos, ni encore même à travers Le Matin. Ils l’ont adopté comme l’enfant terrible de la jeune presse indépendante car il est tout cela à la fois, sans barrière, sans cet esprit hautain, ouvert à tous les journaux y compris ceux qui ne le portaient pas dans leurs manchettes.

Fait inédit dans l’histoire récente d’une presse qui doit son indépendance encore en maturation pour des hommes de sa trempe, les libertés qu’elle a portées, défendues, clamées et écrites souvent d’une manière intempestive, dans l’urgence, sous la traque et la trique, sont maquillées de vomissures, huées aussi fort que cet Albatros de Baudelaire. Tant il est vrai que le temps n’est à l’heure de la censure mais de la sensure (la castration du sens) de la société algérienne, de ses producteurs d’idées au profit des “richesses rentières”. La presse, sans les idées de Benchicou, sans le combat des patriotes contre l’intégrisme, sans l’émergence du mouvement citoyen devenu national pour dénoncer l’impunité, sans ce nouveau citoyen qui a appris la culture de la protesta, que serait-elle ? Un canard qui aurait barboté sur les rives d’un lac dormant. Mais, en ce mois d’août 2004, aucune prison émeutière ne peut avoir raison des idées et des hommes qui les sèment. Mohamed Benchicou est de ceux-là.

Par Rachid Mokhtari