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Regroupement de Juifs constantinois à Jérusalem

mardi 5 avril 2005, par Hassiba

Quelque deux mille Juifs, originaires de la ville de Constantine, se sont rassemblés, une semaine durant, à l’hôtel Hilton de Jérusalem à l’initiative de la synagogue des Tournelles, sise dans le onzième arrondissement de Paris.

Préparée depuis près d’un an, cette manifestation, la première du genre, vouée au souvenir et à la réactivation d’une « mémoire constantinoise », aura été d’abord marquée par une participation significative de « seniors » ayant effectivement connu et vécu la ville des Ponts et par une absence relevée des personnalités scientifiques, politiques -à la notable exception de la secrétaire d’Etat Nicole Guedj- ou artistiques issues de Constantine à l’exemple du Pr Cohen Tanudji, prix Nobel de physique.

Sur fond d’exposition de photos ou de diapos de la ville, les deux moments forts du regroupement auront été constitués par la communication, présentée dans un silence remarquable, par l’historien Benjamin Stora -sans doute le plus familier de Constantine qu’il retrouve à termes réguliers depuis plus de vingt ans- et par le concert donné, à l’occasion, par le chanteur Enrico Macias.

Ce rassemblement, eut-il été sans doute un peu écrasé par le poids de l’actualité -notamment l’agonie du pape Jean-Paul II- n’est en rien anodin et s’inscrit, dans sa forme comme dans son ambition collective, en rupture avec les rapports traditionnellement construits avec la terre d’origine et longtemps portés, à Paris notamment, par les lieux de mémoire de Belleville ou de la rue François-Miron comme « Chez Pinhas » ou encore l’ancien « le Maroc » où s’était régulièrement produit le défunt Sylvain Ghrenassia.

Constantine, un passage obligé
Tout semble alors se passer comme si Constantine devait être une manière de passage obligé pour replacer dans les espaces publics croisés algérien et français la question forcément lancinante du destin du judaïsme algérien et de l’ordre de ses rapports, passés ou à venir, avec la terre des origines. Cela tient, sans doute, d’une part, d’une proximité longtemps supputée entre la médina constantinoise et Jérusalem, d’autre part, aux mythes élémentaires qui ont situé à Constantine la plus forte concentration de Juifs algériens ; le chiffre hasardeux de cinquante mille personnes a même été avancé. Sur ces aspects, le travail de référence du grand rabbin Eisenbeth permet de situer la réalité des faits et le chiffre communément relevé est celui de quelque douze mille Juifs constantinois en 1941, alors que Benjamin Stora estime à quelque cent treize mille la population juive algérienne à la veille de l’indépendance. La référence constantinoise peut-elle aussi mieux s’entendre en relation avec des inflexions nouvelles et porteuses d’enjeux. Le fait est, en effet, que c’est à partir de cette ville que le président algérien, rompant avec un silence et une occultation officiels sur cette dimension de l’identité algérienne, avait, avec clarté et une certaine émotion, réhabilité la place et le rôle des Juifs algériens dans la longue histoire de l’Algérie et le discours qu’il y prononça le 6 juillet 1999 peut être tenu pour l’un des plus importants de son mandat dans le sens précis où, au-delà même du rappel à la mémoire du judaïsme algérien, s’y esquissait un effort nouveau et significatif de réappropriation du long passé algérien.

La conditionnalité palestinienne
L’épisode, somme toute malencontreux, de l’invitation lancée à Macias de venir chanter dans sa ville puis de son annulation, sous des arguments ostensiblement fallacieux, témoigne moins -comme cela avait été un peu facilement assené par des médias avides d’images fortes et simples- de résistances d’islamistes alors en perte de vitesse ou d’un néo-conservatisme presque suspect d’antisémitisme, que de la réelle difficulté, autant pour les pouvoirs publics que pour la société, de convoquer de manière informée l’une des dimensions refoulées du passé algérien et de le découpler de la chronique tragique du conflit israélo-palestinien. On se rappellera alors le véritable coup de gueule du chef de l’Etat algérien -fait rare lancé depuis Tunis- à la suite de la visite en Israël d’un groupe de journalistes algériens et la puissance de la campagne de stigmatisation de ce déplacement par les médias publics qui confirme, si besoin était, la conditionnalité de fait de la situation de la Palestine pour une réactivation apaisée de mémoires partagées, aient-elles été profondément et durablement affectées par les réalités de la guerre d’indépendance. Dans son ouvrage Vérités sur la révolution algérienne, opportunément réédité par l’ANEP (1), Mohamed Lebjaoui publie le texte, finalement assez peu connu, de l’appel du FLN à la communauté juive algérienne, qui souligne en particulier que « c’est parce que le FLN considère que les Israélites algériens comme fils de notre patrie qu’il espère que les dirigeants de la communauté juive auront la sagesse de contribuer à l’édification d’une Algérie libre et véritablement fraternelle ».

Une communauté aux choix contrastés
Dans sa contribution intitulée « L’impossible neutralité des Juifs d’Algérie » (2), Bennjamin Stora relève la « fin de non-recevoir » que reçoit l’initiative du front et cite à ce propos la « phrase lapidaire » de Me Narbonni : « Vous nous demandez de trahir une patrie dont nous sommes citoyens, la France, pour une patrie qui n’existe pas encore. Nous entendons rester fidèles à la France, aux idéaux de justice et de démocratie. » Ce choix de la France, sans nul doute majoritaire, a-t-il aussi longtemps et commodément occulté l’engagement de Juifs algériens dans les rangs du front dont le témoignage pathétique d’un

Daniel Timsit (3) rend compte avec émotion. Ces postions contrastées se sont aussi exprimées, entre autres lieux, à Constantine où des militants juifs ont apporté aide aux réseaux locaux du FLN ou pris attache avec ses dirigeants -comme peuvent en attester des correspondances inédites de Si Messaoud Boudjeriou, commandant de la mintaka 5 de Constantine, qui recommandait en particulier de « maintenir le contact »- alors que la mémoire collective locale porte, quant à elle, les stigmates du 13 mai 1956 qui vit, à la suite d’un attentat contre un bar de la rue de France, des milices juives armées se livrer à une authentique ratonnade et attaquer, à l’instigation d’un dénommé Denden, dans les ruelles de la médina, cafés maures, salons de coiffure, laissant derrière elles un grand nombre de victimes dont le souvenir est aujourd’hui rappelé, sur les lieux mêmes des faits, par une stèle commémorative. La communauté juive algérienne, y compris constantinoise, n’était, ainsi, pas homogène, ni socialement ni politiquement, comme le note Daniel Timsit : « A Alger, ils étaient libéraux. La communauté juive souhaitait la paix, le rapprochement ; à Constantine, ils étaient extrémistes et ont fourni des éléments très virulents à l’OAS. A l’intérieur du pays, ils étaient souvent pro-FLN. Ils cotisaient au FLN. » (4) Dans ce même témoignage, l’auteur rapporte la part prise par les Juifs constantinois dans la résistance opposée au siège de la ville par les armées françaises, épisode bien moins mis en avant dans la littérature que ce qu’il est convenu de désigner comme le « pogrome d’août 1934 ». Il est constant que ceux qui ont écrit ou évoqué ces événements -tragiques aussi pour la communauté musulmane- ne se réfèrent quasiment pas aux témoignages de musulmans et encore moins aux sources de la langue arabe et la plus indiquée d’entre elles demeure le récit que donne Abdelhamid Benbadis -heureusement repris il y a quelques années par la revue Promesse, éditée par le ministère de l’Information et de la Culture- sur la chronologie des actes et sur les efforts déployés par lui-même et par le Dr Bendjelloul auprès des autorités pour garantir la sécurité des populations musulmanes.

Des frères retrouvés
« Tout l’enjeu aujourd’hui en France est de décloisonner la question des mémoires et d’essayer d’entrer dans la souffrance des autres. Si on construit des mémoires communautarisées par des mises en accusation réciproques, on ne s’en sortira pas », note Benjamin Stora dans un récent entretien accordé au quotidien France Soir et faut-il rapporter le regroupement des Juifs constantinois de la semaine dernière moins dans la perspective, somme toute limitée et peut-être même perverse d’opportunes révélations sur des activités du Mossad israélien à Constantine durant la guerre d’indépendance, que dans celle de plus longue durée et de plus forte portée humaine de d’une réactivation, en France, de mémoires algériennes encouragée par le nouveau cours des relations entre les deux pays. D’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, le Traité d’amitié entre l’Algérie et la France, projeté pour cette année, ne peut s’envisager avec le poids des hypothèques du passé, celui des demi-vérités, du refus de reconnaissance des responsabilités dans les drames collectifs endurés, en particulier celui d’une communauté musulmane stigmatisée, humiliée, réprimée ; souffrances que la communauté juive, plus que toute autre sans doute, peut et doit entendre. Il reste la question de savoir si les chemins les plus courts vers la terre des ancêtres doivent passer impérativement par Jérusalem, divisée, occupée ?

Le sommet d’Alger -la concordance des événements peut être relevée- a réaffirmé avec force et clarté les options arabes en faveur de la paix et qui plus est le déplacement collectif vers Constantine a déjà un notable précédent puisqu’en 1978, une forte délégation de Juifs constantinois s’était rendue en pèlerinage sur la tombe du rabbin Sidi Fredj Halimi. Faut-il alors mettre à l’actif de cette profusion de signes l’accord signifié par la municipalité de Constantine aux responsables de la synagogue des Tournelles qui l’avaient saisie d’une demande de construction d’un mur de soutien pour le cimetière juif de la ville ? Dans un numéro spécial consacré au vingtième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie -qui marquait aussi un premier retour symbolique des Juifs algériens à leur pays d’origine- la revue l’Arche proposait à ses lecteurs cette adresse qui conclut l’ouvrage qu’Henri Chemouili avait intitulé les Juifs d’Algérie, une diaspora méconnue. Propos sans doute encore d’actualité : « Mais ne vous permettez jamais de porter sur les Algériens un jugement qui ne serait pas fraternel. Nous fûmes Algériens et nous le sommes encore. L’oubli ne viendra qu’avec vos enfants. J’irai plus loin, connaissant le destin du peuple juif : si, un jour, une nouvelle menace se profilait à l’horizon européen, je suis certain que les Algériens vous recevraient comme on reçoit des frères retrouvés. » (5)

C. B.


 Lebjaoui Mohamed : Vérités sur la révolution algérienne, ANEP Editions, Alger 2005
 Stora Benjamin : « L’impossible neutralité des Juifs d’Algérie » in La guerre d’Algérie, Ed. Robert Laffont, Paris 2004
 Daniel Timsit : Algérie, récit anachronique Ed. Bouchène, Alger 1998
 Daniel Timsit : op. cité
 Henri Chemouili : Les Juifs d’Algérie, une diaspora méconnue, Paris 1978.