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Robert Ménard s’exprime sur l’état de la presse Algérienne

lundi 3 mai 2004, par nassim

Dans cet entretien, Robert Ménard, le SG de Reporters sans frontières dénonce le maintien d’une législation oppressante. Néanmoins, les titres de la presse algérienne privée se distinguent selon lui, par une liberté de ton, qui ouvre la voie à des “dépassements”.

Liberté : Le 3 mai, célèbre en Algérie la consécration de la liberté d’expression et du pluralisme médiatique par la Constitution de 1989. Quel bilan faites- vous de cette ouverture ?
Robert Ménard : Le bilan est positif. Comparativement au Maroc et à la Tunisie, c’est la nuit et le jour. Il existe en Algérie une presse remuante, d’opinion et d’information, une presse qui fait son boulot, qui offre des choix à ses lecteurs.
En Tunisie, la presse est la voix de son maître alors que chez vous, les médias ne se gênent pas pour critiquer le président de la République.
Au Maroc, c’est pire, parce qu’il y a de véritables interdits, des sujets tabous comme le Sahara occidental, l’armée et les affaires du roi, car il s’agit de la personne la plus riche du royaume. L’affaire Ali Lemrabet illustre parfaitement cette situation.
Ceci dit, il y a de vrais problèmes en Algérie.

Votre ONG consacre habituellement un chapitre à l’Algérie dans ses rapports annuels sur l’état des médias dans le monde. En est-il de même dans l’exposé pour 2004 ?
Bien sûr. Il y a 9 pages sur l’Algérie. Ce qui s’est passé durant la campagne électorale - pour la présidentielle - montre que le président Bouteflika a une attitude d’hostilité vis-à-vis de la presse. Ses petites phrases sont de nature à donner lieu à un véritable harcèlement judiciaire. L’existence d’un cadre législatif liberticide favorise ces tentatives de musellement. Bouteflika aime la presse, mais la presse aux ordres. Ce n’est pas la télévision d’État, par exemple, qui va le mettre en colère, mais les médias privés. Le problème des correspondants régionaux qui vivent sous la pression des notables et des potentats locaux pose un autre problème d’une extrême gravité.

Les pouvoirs publics justifient leurs tentatives de verrouillage par ce qu’ils appellent “dérives de la presse” particulièrement la diffamation. Partagez-vous ces reproches ?
Les presses de tous les pays font des bêtises. L’essentiel est de reconnaître ses erreurs. Or, la marge de transparence dans la presse algérienne est réduite. On ne peut pas demander aux autorités de faire acte de transparence alors que de nombreux journaux s’abstiennent de rendre publics les chiffres des tirages et des ventes. Par ailleurs, un certain nombre de titres algériens ont, dans la critique, dépassé les limites dans le respect de la vie privée. Il y a des dépassements et des attaques au-dessous de la ceinture. Ce n’est pas acceptable. Je ne fais pas de reproches à la presse algérienne dans son ensemble mais à tel ou tel titre qui diffuse des informations du ressort de la vie privée. Je leur reproche aussi un ton polémique qui peut dépasser la mesure. Il y a des limites à tout. Cependant, tout cela ne justifie en aucune manière les harcèlements et le recours à des mesures de rétorsion.

Pour avoir soutenu Ali Benflis, des titres de la presse privée craignent des représailles. Qu’en pensez-vous ?
Nous partageons leurs appréhensions, mais nous allons peut-être nous tromper. Jusqu’à maintenant, le président a montré qu’il n’est pas prêt à accepter la règle du jeu démocratique. Mais il le doit dans la mesure où les instances internationales exigent la dépénalisation du délit de presse. Je reste donc optimiste quant à une réforme du code pénal.

Que pensez-vous du traitement de la dernière présidentielle par les médias ?
La télévision et la radio sont des médias étatiques. La télévision a fait quelques efforts dans le respect du temps de parole des candidats, mais ils restent dérisoires.
Ce n’est pas pour rien que les Algériens regardent les chaînes satellitaires.
Quant aux titres de la presse privée, certains se sont lancés avec armes et bagages pour Benflis. La presse n’a pas à être équilibrée. Je vois mal le journal L’Humanité soutenir Chirac. Néanmoins, le soutien à tel ou tel candidat doit se faire dans le respect des règles du professionnalisme, choisir son camp sans noircir de manière exagérée le camp opposé.

Dans quelle catégorie classez-vous l’Algérie en matière de liberté de la presse ?
Des progrès restent à accomplir. Le secteur audiovisuel est toujours sous la coupe de l’État. Il y a un cadre législatif liberticide. Les journalistes font l’objet de harcèlements. Il y a de véritables menaces sur les correspondants. On est loin des pays ou la liberté de la presse est respectée.

source : Liberté