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Sétif revient hanter la France coloniale

samedi 7 mai 2005, par Stanislas

Le massacre, le 8 mai 1945, de milliers d’Algériens par des Français est commémoré alors que l’événement demeure largement occulté.

Retour du refoulé ? La France a longtemps évité d’affronter son passé colonial. Il lui revient aujourd’hui à la figure. Deux manifestations sont organisées ce week-end qui entendent le lui rappeler. La date n’a pas été choisie par hasard. Elle correspond au soixantième anniversaire de la répression sanglante par les forces françaises des manifestations pro-indépendantistes de mai 1945 dans la région de Sétif, en Algérie. Ce samedi, la Ligue des droits de l’homme (LDH) organise un colloque sur ce massacre largement occulté par l’historiographie nationale. Dimanche, les promoteurs de l’appel « Nous sommes les indigènes de la République » commémoreront l’événement en marchant à Paris de la place de la République à Château-Rouge. « Nous souhaitons faire de cette date le symbole du joug colonial tel qu’il s’est exercé au nom de la république », expliquent-ils.

La LDH et le collectif des Indigènes de la République ne se contentent pas du seul rappel du passé. Mais interrogent l’impact de cette occultation sur le présent. Parmi les thèmes abordés lors du colloque de la LDH : « Les liens entre l’impensé colonial et les problèmes de la société française d’aujourd’hui. » Du côté des Indigènes, on ne questionne pas, on accuse : « La France reste un Etat colonial », quitte à amalgamer n’importe quoi. Ainsi : l’indigénisation des populations des quartiers relégués aux marges de la société, le retour des mécanismes coloniaux de la gestion de l’islam avec la création du Conseil français du culte musulman sous l’égide du ministère de l’Intérieur, les relents coloniaux de la loi antifoulard qualifiée de loi d’exception, le règne du « mépris du suffrage universel » en Nouvelle-Calédonie, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Polynésie, la politique de domination menée par la France dans ses anciennes colonies telles la Côte-d’Ivoire où l’armée se conduit « comme en pays conquis »...

« Contrevérités ». Dès sa publication, en janvier, sur le site musulman oumma.com, l’appel des Indigènes fait polémique. « C’est un coup de gueule, il y a des outrances, mais on l’assume parce qu’il y a un vrai ras-le-bol, les gens sont sur le point d’exploser », se justifie Karim Azouz, membre du Collectif des musulmans de France (proche de Tariq Ramadan) et du collectif Une école pour tous-tes, à l’origine de l’appel. Jugeant les accusations portées contre la France « excessives » ou « trop simplistes », les organisations antiracistes prennent leurs distances : « Nous regrettons certaines contrevérités. Résumer la présence de la France en Côte-d’Ivoire comme coloniale est un peu court », explique Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme. Et pour Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) : « Le fond est légitime, mais il y a des choses auxquelles nous ne pouvons nous associer, par exemple le fait d’estimer racistes ceux qui soutiennent la loi interdisant les signes religieux à l’école. » Aucun syndicat ni parti n’a signé l’appel. Dans un premier temps, la CGT avait accepté de prêter la Bourse du travail de Paris aux Indigènes, pour l’organisation d’Assises de l’anticolonialisme post-colonial prévues ce samedi. Jugeant finalement le texte « dangereux car aujourd’hui il faut plutôt se rassembler pour lutter contre les discriminations et non se diviser selon les origines », elle est revenue sur sa décision. Les assises devraient se tenir le dernier week-end de juin.

Cette réappropriation de leur histoire par les jeunes issus de l’immigration était inévitable. Depuis des années, le lobby pied-noir mène sa guerre de la mémoire. Ces derniers temps, il a multiplié les offensives. La plus spectaculaire : le vote d’un amendement à la loi du 23 février 2005 en faveur des rapatriés, demandant aux programmes scolaires de reconnaître « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord ». De son côté, le gouvernement français semble prêt à affronter son impensé colonial. Le 27 février, Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie, a qualifié les massacres du 8 mai 1945 de « tragédie inexcusable » (lire ci-contre). Dans une interview au journal algérien El-Watan à paraître samedi, Michel Barnier reprend à son compte cette expression, et rappelle l’importance du travail de mémoire.

Traité. Lors de sa visite en 2003, Jacques Chirac s’était engagé à construire avec l’Algérie une relation nouvelle sereine et durable, qui se concrétisera dans les prochains mois par la signature d’un traité d’amitié. La reconnaissance officielle de ce passé en fait sans doute partie.

Par Catherine COROLLER, liberation.fr

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