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Terrorisme : La réconciliation sans tabous (1re partie)

mardi 14 décembre 2004, par Hassiba

En affirmant son attachement à une réconciliation nationale globale, le Président Bouteflika ne surprend personne. Se faisant, il donne un sens à son deuxième mandat. Son action gagne en cohérence.

Cependant, la réconciliation nationale soulève une multitude de questions dispersées dans différents fichiers. Nous les survolerons ici.

Les traiter plus méthodiquement dans la sérénité nous fera accomplir une authentique révolution culturelle tranquille en nous offrant l’opportunité d’esquisser notre futur. Pour cela, deux conditions sont à satisfaire par l’initiateur. La première commande que le caractère éminemment politique que revêt la réconciliation soit assumé. La seconde est relative à l’aptitude dont fera preuve le pouvoir politique à se débarrasser de cette fâcheuse propension de nos gouvernants qui consiste à faire le dos rond aux critiques en prônant des discours qui ne convainquent même pas ceux qui les lisent. Le déficit de dialogue et d’écoute entre les divers courants politiques qui traversent la société est tel qu’il y a urgence d’ouvrir le débat.

Si l’amnistie générale est, comme le rappelait tout récemment Abdelhamid Mehri, l’aboutissement de la réconciliation, celle-ci requiert préalablement une confrontation sans haine, mais aussi sans concessions, des analyses et des idées sur les causes profondes de la tourmente. La décantation des enseignements qui seront alors tirés de notre crise multidimensionnelle par chacun donnera une ampleur historique à un éventuel référendum. On assisterait alors à une réelle fondation d’une république nouvelle, une réécriture souhaitable de la Constitution scellerait ce renouveau. Une Constitution non pas conçue sur mesure pour chaque président qui s’installe dans les meubles de la République, comme ce fut le cas jusqu’à présent, mais une Constitution écrite pour la République par un président qui refuserait d’occuper un strapontin dans l’histoire. Sur la nature de la crise nationale, Tahar Ouattar a développé, par bribes, une thèse à laquelle j’adhère personnellement. Il soutient qu’elle pose des questions essentielles, identitaires, voire existentielles à l’homme algérien. Une crise, affirme-t-il, au journal El-Ahram du 4 mai 1996, de civilisation avant d’être politique. L’amnistie me paraît naturellement indispensable. Déjà, en mai 1996(1), j’écrivais dans une longue une « opinion », plus ésotérique que politique, publiée dans El Watan, que « la virilité authentique sera du côté des hommes qui sauront arrêter un mauvais combat ». Et j’invitais : « Achetons la paix de tous avec l’amnistie de quelques-uns. » A cette période, le mot était prohibé. Les voix qui prônaient une solution militaire de la crise et approuvaient allègrement les exactions et autres bavures commises à l’encontre de citoyens ou de leurs familles qui ont eu la mauvaise idée de s’être laissés séduire par un parti légal, constituaient l’essentiel du discours politique.

On se souvient encore du mot d’ordre, sans équivoque, de Redha Malek : « La peur doit changer de camp. » De Mohamed Boudiaf à Abdelaziz Bouteflika en passant par les signataires du contrat de Rome, de larges courants politiques et beaucoup de personnalités ont toujours été favorables à la réconciliation. Chacun ayant évidemment sa vision et ses arrière-pensées propres. Boudiaf déclarait dans l’avion qui le ramenait sur Alger : « A tous, sans exception, je tends la main avec confiance et espoir et renouvelle mon serment pour la réconciliation. » Cependant, ce sont les tenants de l’éradication à tous crins qui, par leur impuissance à ramener paix et sécurité sous le ciel de l’Algérie, ont rendu, aujourd’hui, la réconciliation nationale inéluctable pour soustraire le pays à cette dynamique destructrice de violence et d’intolérance. L’essoufflement de la spirale infernale, qui conforte dans leur entêtement les adeptes d’une solution finale, est un leurre. La diminution de l’intensité de l’activité terroriste n’est pas suffisante pour favoriser l’impulsion d’un développement économique basé sur un investissement public efficient à long terme encore moins pour séduire et attirer les investissements directs étrangers.

Si la léthargie actuelle qui imprègne le fonctionnement des institutions du pays, y compris les partis politiques, perdure, le paradoxe d’une Algérie riche, dont la population se paupérise inexorablement, ne fera que se renforcer. Avant le retour définitif de la paix et de la confiance dans l’avenir, nos chances de résorber le temps perdu s’amenuisent chaque jour davantage. Une douzaine d’années de tergiversations et d’errements, sur les plans politique et économique, nous ont conduits à une impasse. Pour reprendre l’expression de Abelhamid Mehri : jusqu’à quand s’obstinerions-nous à ruser avec les impasses ? Un temps précieux durant lequel les décideurs n’ont pas cessé d’imposer au pays, dans l’improvisation la plus totale, toutes les fausses solutions de sortie de crise. Le peuple, jugé immature et surtout coupable d’un mauvais usage de la démocratie, est infantilisé en permanence. Il est maintenu dans une sorte de liberté fermement contrôlée et assistée par les institutions. Les intellectuels, c’est-à-dire l’élite du pays qui produit des idées, sont assassinés par les uns ou bâillonnés par les autres quand ils n’ont pas choisi de se taire en exil.

La pensée unique, quotidiennement dictée aux citoyens, a atteint des pics d’indigence inégalés. Elle a remplacé le parti unique. Du dialogue sans exclusive auquel il fut mis fin sous le fallacieux prétexte que l’interlocuteur reste « attaché à l’Islam » (sic), au stérile parachèvement de l’édifice institutionnel en passant par le rejet brusque dans le fond et la forme d’un consensus politique élaboré à Rome entre des tendances représentatives de la société, les Algériens sont épuisés de compter les occasions ratées pour un retour à la paix. Ni le pathétique « laqad najahna » de Mokdad Sifi ni l’annonce prématurée sur le « terrorisme résiduel » d’Ahmed Ouyahia n’ont suscité un quelconque enthousiasme dans le pays. Quant à la loi sur la Rahma, version d’une amnistie sans réconciliation, elle a avorté, car elle était sans envergure et trop timorée. Elle reflétait probablement la sincérité de ses instigateurs, mais certainement aussi leur incompétence pour sortir le pays de la zone de tempête. Evidemment, le terrorisme n’a pas la capacité de vaincre ni par les armes ni encore moins politiquement. En revanche, sa capacité de nuisance est sournoise. Elle tient justement au fait qu’il n’a pas de combat à mener. Sa violence aveugle a déferlé sur le pays indifférente à l’innocence des victimes et à l’incommensurable préjudice fait à la nation. La boîte de Pandore a tout de même été ouverte par ceux dont l’inculture ne leur a pas donné l’opportunité de méditer ces vers cueillis dans le jardin des roses du perse Saadi : O sage ! Crains celui qui te craint, l’aurais-tu emporté sur cent pareils à lui. Par peur qu’on ne l’écrase le serpent mord le pied du berger qu’il redoute et le chat, sans espoir, se jette aux yeux du tigre.

Le bilan est douloureux. Une Algérie exsangue. Outre un nombre de victimes inacceptable générant une douleur insoutenable et plongeant l’Algérie des mères dans un désespoir indicible. Le rythme effréné avec lequel le pays se vide de ses compétences chevronnées et de haut élevées, depuis plus d’une décennie, est ahurissant. En plus de constituer un transfert d’une ressource précieuse vers l’Occident, il correspond à une dilapidation de nos chances d’émerger politiquement et économiquement sur le continent africain et dans le monde arabe pour y jouer le rôle qui est légitimement le nôtre. Pas moins de 3000 diplômés de l’enseignement supérieur, parmi lesquels 400 à 450 universitaires de haut rang, rejoignent chaque année les 80 000 cadres qui ont quitté le pays depuis la fin des années 1970 vers les pays nantis (2). Une économie incapable de profiter de la manne pétrolière dans une conjoncture des plus favorables. Un Algérien sur quatre languit sans travail. L’insécurité inhérente à la délinquance a augmenté de manière exponentielle. Aujourd’hui, on tue pour rien et pour n’importe quoi. La criminalité liée au grand banditisme a presque supplanté par son ampleur celle du terrorisme. Imperceptiblement, derrière l’écran de fumée du terrorisme, une bourgeoisie compradore, corruptrice et antinationale a développé de puissantes racines insatiables. « Le travail aux travailleurs, le profit aux profiteurs » est un slogan qui lui irait comme un gant. La corruption, ce mal absolu, a gangrené les rouages du fonctionnement de l’Etat à tous les niveaux. La tchipa est presque démocratisée puisqu’elle est distribuée à tous les niveaux. Elle a annihilé, dans la sphère économique, tout esprit d’émulation et de compétition loyale tout en marginalisant les compétences les plus patriotiques.

Tout cela est la conséquence bien sûr d’une certaine irresponsabilité et d’un manque de prospective de ceux qui ont jugé opportun d’interrompre brusquement le processus électoral en janvier 1992. N’ont-ils pas eux-mêmes débarqué le gouvernement Hamrouche et permis que des élections « propres et honnêtes » se tiennent alors que le vainqueur, ses biscoteaux outrageusement arborés, était annoncé ? Le gel des libertés individuelles et l’arrêt brutal du fonctionnement de l’Etat, un brin démocratique, ont réveillé la bête immonde. C’est, je le crois, dans ce sens que Djamel Zenati du FSS avait exprimé, dans une interview au journal El Watan, une opinion plutôt courageuse et lucide. Il disait en substance que si l’objectif avait été de provoquer la création d’un maquis terroriste, les décideurs n’auraient pas agi autrement. Il me semble aussi que Bouteflika, en affirmant, plus tard, que « la première violence fut celle de l’Etat » n’énonce pas autre chose. Beaucoup de pays, notamment occidentaux, font face à des extrémismes de tous bords qu’ils gèrent avec doigté et discernement dans un cadre démocratique pour éviter de mettre en péril leur nation.

En janvier 1992, les puissantes interférences des militaires sur la gestion politique du pays ont quasi-naturellement décidé d’une solution brutale. L’option choisie était viciée par l’amalgame fait entre la fermeté et l’arbitraire. Le professeur de droit Bencheikh-Lefgoun, aujourd’hui expatrié, avait développé, juste après l’événement, une analyse dans El Watan dans laquelle il retenait qu’en dépit du vide juridique sciemment créé, la lettre et l’esprit de la loi conféraient à la « démission » du président Chadli Bendjedid tous les attributs d’un coup d’Etat. En janvier 1992, c’est donc de deux types de « sauveurs » auto-investis et mus par une même logique excluant tout nuance. Le choc a failli mettre le pays à la merci de graves dérives en faisant longtemps planer sur l’Etat le risque d’effondrement. L’éphémère « houkoumet ellil » avait vu le jour ! Malgré leur rejet viscéral de toute ingérence étrangère, les Algériens furent bel et bien contraints de souffrir la visite de différentes commissions européennes et internationales. Une cohorte de vedettes a déferlé sur la capitale. On peut citer Simone Veil, Jack Lang, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann et le sémillant Daniel Cohn-Bendit qui a eu tout de même le bon goût de s’émerveiller sur Alger en lui décernant le titre de la plus belle ville du monde.

Il y a des moments où, loin de tout fatalisme, les choix qui s’offrent à nous pour éviter le pire et préserver les intérêts des jeunes générations sont limités. Des maux, il faudra bien choisir le moindre. Les circonstances nous dictent de s’en remettre à Dieu puis de confier à la justice immanente les crimes des uns et les bavures des autres. Tripatouiller les plaies ne fera que les garder béantes. Une repentance exprimée et un pardon donné sont un prix à consentir pour la renaissance de l’Algérie. Le véritable courage politique consiste bien à impulser un sursaut novembriste dans la société, que toute la nation appelle de tous ses vœux en ces moments de commémoration de la glorieuse révolution de libération nationale. Le cas échéant, les « vainqueurs » n’auront que leur vanité pour contempler le désastre. Ce n’est qu’une fois la sérénité retrouvée que l’on pourra s’atteler calmement à construire une société juste et un Etat équitable. Une société juste en se dotant de lois qui refléteront fidèlement les aspirations de la majorité et auxquelles tous doivent adhérer. Un Etat mis hors de portée de tout despotisme et autre autoritarisme, fussent-ils éclairés et qui appliquerait fermement la loi. L’équité qui imprégnerait le fonctionnement d’un tel Etat sans passe-droits éradiquera toutes les rancœurs et amertumes que les Algériens nourrissent contre leur propre pays. On peut sagement et raisonnablement faire confiance à ce principe philosophique de base qu’en supprimant la cause, on fera disparaître l’effet.

Le candidat Bouteflika du 8 avril semble avoir de la suite dans les idées. Son engagement électoral : « Je n’éradiquerai aucune personne, aucune pensée, mais le terrorisme sera éradiqué et anéanti », se confirme. Est-ce lui faire béatement allégeance que de constater que s’agissant des droits de l’homme, les choses connurent une évolution positive, plutôt après lui qu’avant lui ? En guise d’encouragement pour exorciser son éventuelle peur d’entrer dans l’Histoire, nous lui dédions un modeste brin de sagesse glané dans le livre, intitulé Renouvelle ta vie (ou Ressource-toi), de l’imam Mohamed Ghazali que nous nous honorons d’aimer :

Quelques éléments du débat
D’emblée, relevons quelques attitudes et approches qui, à notre sens, méritent d’être correctement discutées. Lors de la réunion à l’hôtel Aurassi scellant l’alliance entre la troïka soutenant la réélection du candidat Bouteflika, Abdelaziz Belkhadem affirma aux journalistes qu’« il ne s’agissait pas d’une réhabilitation du FIS, mais qu’il s’agit de la réconciliation des Algériens avec eux-mêmes ». C’est de la phraséologie génératrice d’ambiguïtés. Les partisans du FIS, eux-mêmes, souhaitent-ils une réhabilitation de leur parti, version 1991 ? N’ont-ils pas, eux aussi, des leçons à tirer de cette tornade dévastatrice ?

La réflexion qu’eux-mêmes font sur la folie qui s’est emparée de leur mouvance intéresse la société tout entière. La réconciliation nationale ne peut pas ignorer l’acteur principal de la crise. A moins que derrière le préalable de la non-réhabilitation du FIS ne se profile le spectre de l’excommunication de leur algérianité ses partisans résiduels. Quant à se réconcilier avec soi-même, l’expression est vague, presque vide de contenu. Je peux l’assurer quant à moi, que l’écrasante majorité des Algériens s’entend merveilleusement bien avec son ego. Peut-être même un peu trop ! Leur problème est qu’ils subissent les conséquences d’événements qui échappent à leur contrôle direct. L’amnistie a pour corollaire l’obligation pour chacun d’assumer les responsabilités qui furent les siennes dans les malheurs subis par le pays et l’effusion du sang des Algériens. Les causes ayant rendu certains dérapages criminels possibles (tortures, disparitions et exécutions extrajudiciaires) doivent être précisément stigmatisées et extirpées. Un tel travail assainirait en profondeur un Etat qui chercherait à se réformer afin que les dysfonctionnements constatés ne se répètent plus jamais.

Aucune institution, aucun fonctionnaire, ni aucun citoyen ne peuvent se prévaloir du droit à une quelconque amnistie si leurs délits ou crimes ne sont pas confessés. La république, aussi magnanime soit-elle, peut pardonner, mais ne doit pas se voiler la face. Ce serait conjuguer amnistie avec impunité. Se doterions-nous d’une lessiveuse pour continuer à cacher le linge sale au fond du jardin ? La nation entière doit saisir ce moment privilégié comme une véritable psychothérapie de groupe pour faire preuve d’une compassion égale envers toutes les victimes innocentes. La douleur d’une mère est aussi inconsolable que son fils ait été assassiné par un terroriste sanguinaire ou un fonctionnaire zélé, le cœur rempli de vengeance et vide de toute humanité. L’amnistie pour générale qu’elle soit n’est pas une absolution, chacun restera comptable devant son Créateur de ses turpitudes .(A suivre)

Notes :

 1. Mokhbi Abdelouahab, « Appel aux déserteurs », rubrique Opinions , El Watan des 15, 16, 18 et 19 mai 1996

 2. Nordine Grim, « Immigration ! Ressources humaines », El Watan du 20 janvier 2004

Par Dr Mokhbi Abdelouahab, El Watan