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Trois questions à Farouk Ksentini

samedi 2 avril 2005, par Hassiba

Avocat, président de la Commission sur les disparus, vous dénombrez 6 146 cas, soit trois fois moins que les associations de défense des droits de l’homme. Comment expliquez-vous ce fossé ?

Les associations englobent les disparus du fait du terrorisme et ceux du fait de la raison d’Etat. Nous connaissons le sort des premiers : ils ont été exécutés après leur enlèvement et ne sont pas des disparus au sens juridique. Ce sont des victimes du terrorisme. Il est fondamental de distinguer ces deux catégories de personnes. Notre recensement est fiable, car il résulte d’un recoupement entre les plaintes enregistrées entre 1992 et 1998 et les requêtes adressées à la commission.

Comment ces milliers de bavures que vous qualifiez d’individuelles ont-elles pu se produire sans le moindre encouragement de l’Etat ?

La guerre menée par les terroristes a été si sauvage que le premier des disparus a été l’Etat lui-même. Personne ne commandait plus à personne. Cette rupture dans la chaîne du commandement et la panique expliquent en grande partie ce qui est advenu. Au total, plus de 500 000 Algériens ont été déférés devant les tribunaux pour terrorisme. En rapprochant ce chiffre énorme de celui des disparus, nous concluons que les choses ont été correctement menées dans l’ensemble. D’ailleurs, pas une seule des centaines de condamnations à mort prononcées pour terrorisme n’a été exécutée. Comment concevoir qu’un Etat qui a refusé de procéder à des exécutions légales se soit livré à des exécutions extra-judiciaires ? Tous ces constats nous amènent à considérer que les responsables de l’Etat sont étrangers à ces disparitions. Contrairement à ce que certaines ONG prétendent, l’Etat algérien n’a pas combattu le crime par le crime mais de façon loyale. 3

La réconciliation peut-elle résulter d’une simple indemnisation des familles ? Pourquoi ne pas créer une instance pour établir la vérité ?

Responsable de la sécurité des citoyens, l’Etat doit dédommager les familles. C’est aussi un acte de solidarité nationale. Le droit de juger et de condamner, lui, ne peut appartenir qu’aux tribunaux. Je n’exclus pas qu’une instance non judiciaire puisse, après une amnistie, aider à exorciser les démons, à laisser parler les familles, à éviter que de tels événements se reproduisent. Mais le côté spectacle de cette démarche me semble dangereux. L’Algérie a connu trop de fractures. Elle n’a pas besoin d’en susciter de nouvelles.

Propos recueillis par Philippe Bernard, lemonde.fr