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Visez le bas, messieurs les maris !

mardi 20 avril 2004, par Hassiba

Grâce à Dieu, la France a enfin trouvé un moyen efficace pour lutter contre l’intégrisme dans ses banlieues. Désormais, tout auteur de prêches incendiaires est automatiquement renvoyé dans son pays d’origine.

Ainsi donc, non contents d’avoir à compter avec l’imam de Bordj El Kiffan, nous devrons nous résigner à côtoyer celui de Vénissieux. Depuis quelques années, Abd El Kader Bouziane, c’est de lui qu’il s’agit, prêchait le « djihad » contre l’Occident dans la banlieue lyonnaise. Il semblait assuré de l’impunité puisqu’il avait même autorisé une chaîne de télévision à filmer l’un de ses prêches. C’est ce qui l’a perdu apparemment. Les pouvoirs publics se sont enfin intéressés à ce religieux qui est loin d’être aussi atypique qu’on le prétend dans le paysage français.

Paris nous a donc renvoyé ce colis encombrant qui provoque des frayeurs rétrospectives dans l’opinion. Cet imam virulent qui prône un Islam cher à Ben Laden connaît aujourd’hui la notoriété. En attendant de passer sur Al Djazira, il a donné des informations qui en disent long sur un certain laxisme français.

On apprend ainsi qu’il a deux femmes et qu’il a eu huit enfants avec chacune d’elles. La deuxième l’a rejoint en France où la polygamie est proscrite, avec l’autorisation de l’administration préfectorale. Abd El Kader Bouziane pense que la femme « n’a pas le droit de travailler avec des hommes, parce qu’elle pourrait être tentée par l’adultère ». Selon lui, l’homme « doit rester juste avec sa femme et ne pas la frapper sans raison ». Et s’il la frappe, ce ne doit pas être n’importe où. « Il ne doit pas frapper au visage mais viser le bas, les jambes ou le ventre. Et il peut frapper fort pour faire peur à sa femme afin qu’elle ne recommence plus. »

Nanti du même viatique que l’imam de Vénissieux, le mari de la speakerine saoudienne Rania Elbaz a frappé fort et il n’a pas visé que le bas. La malheureuse épouse s’est retrouvée à l’hôpital où elle séjournerait encore. Quant au mari jaloux et ombrageux, il serait aussi introuvable que Ben Laden. Les autorités saoudiennes nous assurent qu’il n’a pas quitté le territoire saoudien. On se perd toutefois en conjectures quant au sort qui serait réservé à l’époux agressif. Précision utile, la speakerine portait le hidjab au moment où elle a reçu cette sévère correction maritale. Il sera donc difficile pour le mari de l’accuser de provocation ou d’incitation à l’adultère selon les critères de notre compatriote de Vénissieux. Gageons que ses avocats trouveront toujours quelque chose dans la tradition et les textes pour atténuer son geste.

Toutes les femmes arabes ne se résignent pas, cependant, à la mâle autocratie. La bonne nouvelle nous vient du Yémen, pays que l’on dit archaïque et figé, sous les traits de Raoufa Hassan Echarqi. Cette universitaire internationale ne s’incline pas devant ce qu’elle appelle la dictature masculine et elle le fait savoir. Dans une interview publiée cette semaine par le journal en ligne Elaph, elle raconte ses démêlés avec les intégristes de son pays. Elle se targue notamment d’être la seule femme du Yémen à avoir fait l’objet de prêches hostiles dans 129 mosquées du pays. « Sans compter, ajoute-t-elle, les centaines de cassettes audio distribuées partout aux abords des lieux de culte. » Le parti El Islah du « cheikh » Zendani était, bien sûr, l’instigateur de cette campagne.

Raoufa Hassan est loin d’être la femme effacée, comme l’apprécient les ultra-religieux yéménites. Elle plie sous la tempête mais ne rompt pas. La dictature masculine est responsable, selon elle, de la marginalisation de la femme et de son maintien dans un statut d’infériorité. S’attaquant à certains députés qui occupent au parlement des sièges dévolus initialement aux femmes, elle pense qu’ils devraient se sentir honteux d’être là où ils sont au lieu d’en éprouver de la fierté.

Raoufa Hassan critique également la mosquée qui dénie à la femme ses droits et la rabaisse. C’est une institution autoritaire masculine faite pour interdire et non pour accorder quoi que ce soit aux femmes, dit-elle. Dirigeant un centre de recherches universitaire germano-yéménite consacré aux traditions vestimentaires des deux pays, elle évoque la tenue imposée aux femmes dans le golfe et la presqu’île arabique. « Je n’accepte pas de me plier à la règle du djilbab noir. Il fait peur. Il ne peut pas être islamique », affirme-t-elle.

Raoufa Hassan déplore aussi que certains droits octroyés aux femmes dans la partie sud du Yémen aient été abrogés depuis la réunification du pays. En tout état de cause, la loi ne vaut rien sans un terreau culturel et une évolution des mentalités. « On ne peut pas construire une démocratie si celle-ci n’existe pas d’abord à l’intérieur de la famille, avec l’égalité entre le mari et la femme. » Et à ce propos, que mes concitoyennes qui ont rêvé d’un Benflis président n’aient pas trop de regrets. Je ne pense pas qu’il ait songé à améliorer leur sort. C’est un Algérien comme les autres et je ne me rappelle pas l’avoir entendu prendre des positions en flèche sur ce sujet. Qu’elles n’attendent pas trop aussi du président Bouteflika. Elle me semble bien loin l’époque où une mèche de cheveux féminine pouvait l’émouvoir.

Quant aux redresseurs du FLN qui ne sont pas tous des stakhanovistes, quoi qu’on puisse en dire, ils ne devraient pas trop pavoiser. Les travaux d’Hercule ne sont rien à côté des efforts surhumains et souvent peu exaltants qu’ils devront consentir. Il y aura d’abord des révisions déchirantes qui ne manqueront pas de laisser des traces sur les garde-robes des militants. Pensez à toutes les vestes retournées qu’il faudra retailler en conséquence. Comme tout bon couturier vous le dira, même tiré à quatre épingles, un militant du FLN a de la peine à se tenir droit. Les préposés aux hammams vous le confirmeront aussi : les échines les plus souples finissent par se raidir à force de se courber à tort et à travers. C’est un congrès extraordinaire des lumbagos qu’il faudra réunir. Avec ceux qui faisaient des courbettes à Bouteflika et ceux qui s’inclinaient tout bas devant Benflis, il y en aura des dos à redresser. Surtout, si aux courbaturés d’avant le 8 avril s’ajoutent les prosternés des lendemains de victoire.

Par Ahmed Halli, Le Matin