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Rafik Khalifa la bombe à retardement

mercredi 16 mars 2005, par nassim

Des centaines de personnes de tous horizons ayant bénéficié des largesses de Rafik Khalifa, le milliardaire déchu sont aujourd’hui menacées de poursuites judiciaires.

Rafik Khalifa.

Le placard publicitaire est passé presque inaperçu. Dans ce texte, publié le 28 janvier dernier dans la presse algérienne, l’homme qui a payé pour sa parution, Moncef Badsi, le liquidateur de la Khalifa Bank, menace de poursuites judiciaires tous ceux qui ont bénéficié des largesses de Rafik Abdelmoumen Khalifa, le milliardaire déchu, aujourd’hui réfugié à Londres (voir J.A.I. n° 2296). Il met en demeure « les personnes ayant obtenu, sans convention écrite, des avantages en nature de l’une des sociétés du groupe Khalifa, [...] quelle qu’en soit la nature, [...] de prendre attache avec les services de la liquidation ». Les heureux bénéficiaires avaient jusqu’au 28 février pour répondre. Faute de quoi ils seraient poursuivis pour « complicité, recel et corruption ». Yacine est journaliste dans un quotidien d’Alger. En novembre 2001, il est invité par Khalifa Airways, avec une dizaine de directeurs de journaux, à participer au Salon international de l’aéronautique de Dubaï. Comme il est de coutume en ces occasions chez Khalifa, Yacine empoche 3 000 francs (450 euros) en argent liquide des mains d’un haut responsable de la société. Les invités défilaient à la queue leu leu devant la cabine de première classe pour recevoir chacun sa petite enveloppe. « C’est connu, affirme Yacine, chaque fois que Khalifa invitait des journalistes et des personnalités pour faire sa promotion, il leur graissait la patte. » Lui compte bien répondre à la convocation pour s’expliquer sur ce petit cadeau. Combien sont-ils à ignorer les menaces du liquidateur, mais, surtout, combien sont-ils à avoir obtenu de l’argent, des cartes de crédit, des voitures et des appartements ?

Des milliers, affirme un familier du dossier. L’une des clés de la réussite de Rafik Khalifa, dont les activités allaient de la banque au transport aérien, en passant par le BTP et la communication, est d’avoir su recruter au sein de la nomenklatura algérienne. Quelques exemples. Le fils de l’actuel ministre de l’Énergie émargeait chez Khalifa Airways. La fille du patron d’Air Algérie s’occupait de la monétique à Khalifa Bank. La fille d’un conseiller de Bouteflika travaillait au sein du groupe en Europe, et le propre frère du président de la République, Abdelghani, exerçait des fonctions de conseiller juridique. Sans oublier un ancien entraîneur de l’équipe algérienne de football, représentant de Khalifa Airways au Maroc. Rafik distribuait sans compter. Proches de la Présidence, opposants, hauts fonctionnaires, sportifs, chanteurs, anciens ministres, patrons de grandes compagnies publiques, etc., ont pu bénéficier, d’une manière ou d’une autre, de la générosité du milliardaire.

Ses largesses ne s’arrêtaient pas là. Selon une liste dont Jeune Afrique/l’intelligent s’est procuré une copie, 45 personnalités algériennes et françaises ont été titulaires de cartes bancaires Standard, Gold et Platinum, délivrées par la direction générale de Khalifa Bank. Toutes les cartes, avec un numéro de série, un code client et un plafond de dépense, expiraient le 30 septembre 2003. Sur la liste, que du beau monde : six hauts fonctionnaires, un acteur français et sa compagne, actrice également, la tante de Rafik Khalifa, un haut responsable de la police, le patron d’une compagnie aérienne de même que sa fille, un ancien ministre ainsi qu’un proche collaborateur du Premier ministre Ahmed Ouyahia. Évidemment, le fait de détenir un compte bancaire et une carte de retrait n’est pas un délit en soi. Mais, dans le cas Khalifa, les soupçons de concussion ne sont-ils pas inévitables ? Ces heureux bénéficiaires vont-ils obtempérer aux injonctions du liquidateur de Khalifa Bank ? Un ancien ministre résume la situation : « Tout le monde est mouillé dans cette affaire. Si la justice va jusqu’au bout, le procès fera un séisme dans le pays. »

En attendant un éventuel cataclysme à Alger, on a du mal à mesurer l’étendue des opérations douteuses engagées par Rafik Khalifa à l’extérieur. En comparaison, les frais de bouche de Yacine, le journaliste, sont des clopinettes. Des montants astronomiques ont été versés par Khalifa sur des comptes bancaires en Europe et en Amérique, au profit de sociétés de conseil en communication, de notaires et d’agences immobilières, de stars du show-biz ainsi qu’à d’obscurs correspondants dont il sera difficile pour les justices algérienne et française de retrouver une quelconque trace. Jeune Afrique/l’intelligent a pu obtenir des documents détaillant les « transferts irréguliers » effectués par le groupe Khalifa en 2000, 2001, 2002 et même en 2003. Or, cette année-là, la banque du tycoon algérien était en principe frappée d’interdiction pour tout transfert de devises vers l’étranger. Avant de détailler les autres chiffres, arrêtons-nous sur cette anomalie. Le 27 novembre 2002, les autorités monétaires algériennes décident de geler les opérations de commerce extérieur de Khalifa Bank avant de la placer sous tutelle administrative. Les responsables de la banque ne sont donc plus autorisés à transférer le moindre dinar vers l’étranger. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’affirmer que 10,5 millions d’euros et 10,2 millions de dollars ont été transférés vers l’étranger entre le 29 novembre 2002 et le 4 mars 2003.

Venons-en ensuite à ces chiffres qui donnent la mesure des dépenses fastueuses engagées par Khalifa et des micmacs financiers opérés par les responsables du groupe, dont la faillite, rappelons-le, a coûté 1,5 milliard de dollars au Trésor algérien, selon les estimations les plus optimistes. Les transferts irréguliers du groupe Khalifa vers l’étranger en différentes monnaies s’élèvent à 362,7 millions d’euros, 523,8 millions de dollars et, enfin, 94,3 millions de francs français (14,3 millions d’euros). Sur ces sommes, au moins 34 millions d’euros se sont volatilisés dans la nature : les enquêteurs n’ont pas pu localiser les destinataires. Pour le reste, la liste des personnalités physiques et morales concernées est édifiante. Même si, encore une fois, pour bon nombre d’entre elles, le simple fait d’avoir perçu de l’argent en échange d’une prestation ne constitue pas forcément un délit.

Par FARID ALILAT, lintelligent.com