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Les habits neufs du colonel Mouammar Kadhafi au sommet d’Alger

jeudi 24 mars 2005, par Hassiba

« Voici ce que j’ai entendu de la bouche de Cyrenéens. Il y avait chez eux de jeunes fous, fils de grands personnages, qui, parvenus à l’âge d’homme, avaient imaginé, entre autres extravagances, de tirer au sort cinq d’entre eux qui s’en iraient explorer les déserts de la Libye et tenteraient de pousser leur exploration plus avant que ceux qui étaient allés le plus loin. »

Hérodote

Premier à fouler le sol algérien, Mouammar Kadhafi, a été le dernier à rejoindre le sommet. Caprice ou provocation ? Ceux qui le connaissent ne s’en étonnent pas outre mesure. Juste s’ils s’accommodent des sorties déroutantes du guide. Car Kadhafi n’a pas dérogé à ses habitudes. Pour faire croire qu’il perpétue les valeurs ancestrales, il ne se déplace pas sans sa kheima, ses chameaux et une escouade d’« amazones ».

A Alger, il n’a pas fait de frasques, même si son désir de rencontrer les partis algériens passe pour une entorse aux us diplomatiques. Ses harangues enflammées truffées de menaces semblent avoir été remisées au placard. Son nom était automatiquement associé, il n’y a pas longtemps, au terrorisme international. L’homme a dû payer au prix fort son retour dans la communauté en s’achetant une conduite. Kadhafi est rentré dans les rangs. Il ne se permet plus de dire « toz » à l’Amérique, il ne fustige plus ou rarement les régimes arabes, il ne donne plus de leçons. Ceux qui ont l’habitude de ses incartades et ses écarts de langage et s’en gaussaient quelque part devront regretter ces moments forts...

Il n’insulte plus l’Amérique
Mouamar Khadafi naît à Syrte en Libye, en juin 1942. Il est le seul garçon de sa famille. Il fait ses études à l’académie militaire de Benghazi, pour ensuite entrer dans l’armée libyenne où il devient capitaine. En 1964, il fonde le groupe des officiers unionistes libres et il prend le pouvoir en 1969, à 27 ans, en participant à un coup d’Etat qui renverse le roi Idris 1er. Il est président du Conseil du commandement de la révolution. Ses tentatives d’union échouent avec l’Egypte, le Soudan, la Syrie, la Tunisie, Malte et le Tchad. Il cherche déjà à s’imposer comme le grand leader du monde arabe, juste après la disparition de Nasser. Il décide alors que la Libye sera le siège de ses projets socialistes et révolutionnaires et publie en 1976 le petit Livre vert, dans lequel il expose la « troisième théorie universelle ». En 1977, il instaure en Libye le « pouvoir populaire »... Sa ferveur « révolutionnaire » l’amène à soutenir des mouvements de libération à travers le monde.

A la fin des années 1970, il est la cible privilégiée des Occidentaux qui lui reprochent de semer la subversion partout dans le monde. A cet égard, on lui impute bon nombre d’opérations casse-cou, comme la fameuse prise d’otages de l’OPEP à Vienne. Si l’on en croit les services du Mossad, la prise d’otages a été décidée et préparée avec la bénédiction du bouillant chef d’Etat libyen. Des documents prouvant la culpabilité de Kadhafi dans cette affaire sont divulgués. Carlos, cerveau de cette attaque, aurait reçu plusieurs millions de dollars. Le guide de la révolution dément son implication et affirme qu’il ne soutient aucun groupement terroriste. A une question d’un journaliste allemand il répond : « Qu’est-ce que la Libye à avoir avec Carlos ? Je ne le connais pas, je ne sais même pas de quel pays il vient. » Et Khadafi se met à rire. « Pourquoi ne posez-vous pas la question au président Sadate ? Il a affirmé que Carlos était en Libye. Il l’a proclamé dans le monde entier. C’est donc qu’il le connaît. Posez-lui donc toutes ces questions. » Mais Kadhafi ne peut revendiquer pour lui seul le rôle de leader progressiste du monde arabe.

A l’époque, l’affaire Carlos avait montré que d’autres chefs d’Etat arabes, dont Boumediène, nourrissaient les mêmes ambitions. Sur le plan idéologique, et même si l’idéologie du Livre vert est en recul, il n’en reste pas moins que le discours de libération a son efficacité et permet au dirigeant libyen d’exercer un leadership moral en Afrique et ailleurs. Il s’agit là aussi d’un moyen d’influence. Lors du dernier sommet arabe de Tunis, Mouammar, fidèle à lui-même, a donné une image de ce qui se passe à l’intérieur de la salle de réunion en quittant les travaux avant même la clôture de la séance d’ouverture du sommet.

Arrivé en dernière minute dans la capitale tunisienne, après qu’il s’est fait longuement prier par Ben Ali et Bouteflika, Kadhafi n’a pu s’empêcher de faire des siennes. En réaction à une phrase de Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue arabe : « Des voix appellent à le débarrasser de la Ligue ou à la démembrer comme si elle était la cause de tous les maux de la nation arabe, ce qui est faux. » Le leader libyen a quitté la salle sans dire un mot. Avant cela, il n’avait pas manqué de provoquer le raïs égyptien, en lançant la fumée de sa cigarette en l’air, pourtant réputé non fumeur.

Il nargue moubarak
« Je fume une cigarette américaine. » Même si le geste est à mettre au compte de ses innombrables frasques, il traduit l’intérêt accordé à des questions aussi cruciales et décisives. Pour justifier sa sortie en fanfare, Mouammar a déclaré que son pays « se voit dans l’obligation de boycotter le sommet arabe » car il n’est pas d’accord avec l’ordre du jour. Tunis qui a été une étape, une de plus, confirmant le malaise arabe aura permis au dirigeant libyen d’être au-devant de la scène médiatique pour mettre à nu les carences des pouvoirs arabes face à leurs populations.

Kadhafi a toujours joué sur ce registre mettant en opposition les régimes et leurs peuples, les uns et les autres sur des longueurs d’onde différentes... C’est ainsi que Kadhafi claque la porte de la Ligue arabe, traitant ses « partenaire d’incapables, tournant le dos à l’histoire... » Lui il a tourné le dos au prince héritier saoudien Abdallah lors du sommet de Sharm El Cheikh. L’altercation entre les deux hommes a failli prendre des proportions dangereuses, n’était l’intervention de plusieurs dirigeants arabes pour tempérer leur ardeur.

Sur le plan international, Khadafi s’offre une nouvelle virginité en indemnisant les ayants droit des victimes de l’attentat antiaméricain de Lockerbie et en récupérant sa place au sein des nations respectables. Même la France a voté en sa faveur, après avoir pris la précaution de finaliser un accord financier pour compenser ses propres victimes après l’explosion de l’avion d’UTA. Par ailleurs, Khadafi avait été déçu lors des deux premiers sommets de l’Union africaine à Durban, en Afrique du Sud, en 2002, et à Maputo au Mozambique en 2003, de ne pas se voir octroyer un rôle central dans l’architecture de la nouvelle union. Il sait que l’Afrique subsaharienne lui est restée fidèle et reconnaissante de son aide, quand il était mis au ban de la communauté internationale, et ce, malgré ses ingérences souvent intempestives et malgré les expulsions du territoire libyen d’immigrés illégaux d’Afrique noire.

Terroriste international ?
Son implication dans les conflits qui secouent le monde est de notoriété publique. Un diplomate occidental, qui l’a bien connu, résume ainsi le parcours du guide libyen. « Un élément capital de la patience et de l’habileté croissante de Kadhafi dans sa stratégie d’exportation de la révolution est sa capacité d’arrêter ses pertes quand il ne gagne pas.

A l’occasion, on peut même le voir jouer un rôle diplomatique constructif en essayant de trouver une solution pacifique à une situation trouble qu’il a contribué à créer. » En 1973 quand les autorités britanniques saisissent le Claudia, navire chargé d’armes destinées à l’IRA provisoire, Kadhafi semble avoir stoppé son soutien armé à l’IRA et s’être borné à donner à la cause irlandaise « un appui moral et politique » qu’il exprimera à maintes occasions. Ainsi, il flirte avec ou aide régulièrement l’une ou l’autre des factions du mouvement palestinien et lui retire aussi son appui quand la tactique ou les objectifs de celui-ci ne lui plaisent plus.

A propos justement du conflit israélo-arabe, et dans la série d’entretiens Je suis un opposant à l’échelon mondial publiés en 1984, il a déclaré : « Les pays du champ de bataille ont été vaincus parce qu’ils ont refusé l’alternative essentielle : détruire la machine militaire sioniste. Et il faut bien voir que pour récupérer les territoires occupés en 1967, il faut absolument détruire cette machine. Cela est valable pour le Golan, pour le Sinaï, comme pour la Cisjordanie. Ne l’ayant pas fait, ces pays ont développé un complexe d’échec qui paralyse tous les Arabes. Cela dit, le complexe demeure ce qu’il est : un phénomène purement psychologique, subjectif et illusoire. Il ne correspond pas à la réalité matérielle, objective. Même s’il est en mesure de l’emporter sur son adversaire, celui qui en souffre accepte a priori la défaite avant même d’éprouver ses forces. Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons. »

Kadhafi est au pouvoir depuis 36 ans, ce qui est un record de longévité. Il a fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat mais y aéchappé : il est actionnaire dans plusieurs firmes italiennes. Il est père de 7 enfants, dont l’un, Hannibal, s’est fait remarquer dernièrement pas ses frasques parisiennes, à l’image de son père... qui n’en a pas fait à Alger, au grand bonheur des maîtres de cérémonie qui ont dû retenir leur souffle.

Par Tahri Hamid,elwatan.com