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Algérie : victoire et fraude incontestables

vendredi 16 avril 2004, par Hassiba

Alors que Jacques Chirac se rend à Alger, jeudi 15 avril, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé le président Abdelaziz Bouteflika à s’offrir un score aussi invraisemblable que 84,99 % des voix, pour sa réélection à la tête de l’Etat algérien.

Il n’est pas question de contester sa victoire sur le fond, mais il faudrait être d’une grande naïveté, ou d’une incommensurable mauvaise foi, pour soutenir qu’il n’y a pas eu fraude au cours de l’élection présidentielle du 8 avril, présentée par avance à Alger comme "la plus libre et la plus transparente que le pays ait jamais eue", l’armée ayant annoncé son "entière neutralité " dans cette affaire.

Si la fraude s’est produite en amont de l’élection avec une précampagne électorale effrénée, menée plusieurs mois avant l’heure par le chef de l’Etat (tournées dans les wilayas avec distribution de rallonges budgétaires, matraquage médiatique, etc.), elle s’est aussi produite en aval, avec la complicité active de l’administration et de la fraction la plus obscure de l’armée.

M. Bouteflika était arrivé au pouvoir en 1999, lors d’une élection controversée - ses adversaires s’étaient retirés de la compétition la veille du scrutin pour dénoncer la fraude qui s’annonçait. Cette tâche originelle, le scrutin de 2004 n’aura pas réussi à l’effacer. Mal élu, M. Bouteflika vient de l’être une seconde fois, même s’il est indiscutable que le peuple algérien l’a préféré à son adversaire principal, Ali Benflis, voyant dans le président sortant un gage de paix et de stabilité. "Son poison politique, c’est son score", commente l’un de ses concurrents, Saïd Sadi, le chef du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie, parti kabyle). Etait-il judicieux, pour commencer ce deuxième mandat, de s’octroyer "un score digne de Kim Il-sung", comme l’a qualifié M. Benflis, et ne laisser que des miettes à ses cinq rivaux, jusque dans leurs fiefs respectifs, au mépris de toute vraisemblance ?

Lundi, le Conseil constitutionnel algérien a validé les résultats du 8 avril, rejetant, comme c’était prévisible, toutes les plaintes pour fraude, et augmentant encore le score du vainqueur. De 83,49 % des suffrages, le score du président Bouteflika est passé à presque 85 %, alors qu’Ali Benflis, l’ancien bras droit devenu l’ennemi juré, est tombé... sous la barre des 7 %. L’entourage du président de la République a beau se dire "le premier surpris" par l’ampleur de cette victoire et répéter que "ce chiffre correspond à la réalité", il peine à se montrer convaincant. Les preuves de la fraude sont nombreuses et précises, et ce ne sont pas les satisfecit hâtifs et imprudents de quelques observateurs internationaux, pris par le temps, dénués de tous moyens matériels et humains - ils étaient quelque 120 pour 40 000 bureaux de vote -, qui y changeront quelque chose.

Quelques exemples précis. A Bou Ismaïl, localité de la wilaya de Tipaza, M. Bouteflika a obtenu 100 % des voix. Or Hamid Louanouci, proche collaborateur de Saïd Sadi, y avait voté RCD, ainsi que toute sa famille. Où sont passés leurs bulletins ? Même scénario dans un bureau d’El Harrach, où un homme - qui témoigne à visage découvert et donne son nom - n’a pas, lui non plus, retrouvé son vote ni ceux de sa famille (soit une quinzaine de personnes au total) après la proclamation des résultats.

Autre cas : à Alger, cet homme se plaint d’avoir disparu de la liste électorale de son lieu de résidence, sans explication, alors que son épouse et ses enfants, qui résident en France depuis douze ans et ne votent pas, y ont fait leur réapparition. Même chose à Meftah, dans la wilaya de Blida. Dans la capitale, mais aussi dans le centre du pays, de nombreuses cartes d’électeur vierges (tamponnées d’un sceau officiel) ont été retrouvées. "On a gonflé le corps électoral et fait voter deux millions et demi d’absents !", affirme le FLN. Et c’est vrai qu’à Skikda, par exemple, un homme découvre sa signature sur le registre du centre où il se rend le 8 avril. On a voté pour lui !

Ici, on distribue des bouteilles d’eau minérale à l’effigie du président à l’intérieur du bureau de vote. Là, dans la région de Jijel, on paie celui qui rapporte ses cinq bulletins non utilisés (100 dinars pièce, soit 1 euro), à condition qu’il ait fait "le bon choix". Dans ces douars de Kabylie, les urnes manquent, sans raison. Et si le FLN n’a pas tort de dire que ses observateurs ont été poussés dehors à l’heure du dépouillement, il oublie d’avouer que la plupart ont été payés par l’adversaire pour fermer les yeux ou quitter les bureaux de vote de leur propre gré.

"Surveillez les urnes ! Vos bulletins entrent dedans avec une barbe. Ils en ressortent sans !", avait lancé l’islamiste Abdallah Djaballah à ses supporteurs, lors d’un meeting. Il ne croyait pas si bien dire. Dans son douar natal, à El Harrouch, dans l’est du pays, Djaballah a été battu à plates coutures par le président Bouteflika. Même chose pour Ali Benflis, laminé dans sa ville de Batna, capitale des Aurès, où le réflexe régionaliste ne peut pas avoir disparu du jour au lendemain. Idem pour le Kabyle Saïd Sadi, battu en Kabylie par le président Bouteflika.

"DÉMOCRATIE DE FAÇADE"

Quant au malheureux Ali Fawzi Rebaïne, président d’un petit parti inconnu, Ahd 54, entré "par miracle" dans la course à la présidence, en mars (alors que deux figures importantes, Ahmed Taleb Ibrahimi, le président du parti Wafa, non agréé, et Sid Ahmed Ghozali du Front démocratique, non agréé, en étaient exclues), on n’a même pas tenté de le remercier en rendant sa défaite honorable. Rebaïne a obtenu 0,63 % des suffrages, soit 63 761 voix,c’est- à-dire... moins que le nombre de signatures (75 000) qu’il lui avait fallu décrocher pour se lancer dans la compétition.

Excès de zèle d’une administration mise exclusivement au service du président sortant ? Volonté du chef de l’Etat d’humilier ses adversaires, en particulier Ali Benflis, le dauphin, considéré aujourd’hui comme un traître ? Les deux raisons constituent sans doute l’explication, mais qui se sent-il humilié, en fin de compte, sinon le peuple algérien, moins dupe qu’on ne l’imagine ?

"Quelle importance, l’ampleur de la fraude, le 8 avril, puisque les jeux étaient faits d’avance...", soupirent, irrités ou désabusés, ceux qui, n’ayant jamais cru à la neutralité de l’armée, prônaient le boycott et accusent les candidats d’avoir "cautionné une démocratie de façade". "Appeler à l’abstention, c’est appeler à la démission, ce dont se nourrit un Etat comme le nôtre. C’est criminel !", réplique Saïd Sadi, pour qui "une campagne électorale fait partie du combat démocratique".

Même réaction de Sid Ahmed Ghozali et de Mohamed Saïd, secrétaire général de Wafa, qui ont apporté leur soutien à Ali Benflis. "Il faut que les Algériens saisissent la moindre chance de se "désenliser"", estiment-ils. "Je ne regrette rien. Personne ne m’a utilisé. Je voulais me battre. Et si c’était à refaire, je le referais !", déclare de son côté Ali Benflis, qui s’apprête à réunir un comité central du FLN, lequel convoquera un congrès extraordinaire. "A cette occasion, j’assumerai ma défaite et je remettrai mon mandat de secrétaire général en jeu, précise-t-il. Mais je n’abandonnerai jamais le combat politique."

Source : Florence Beaugé, Le Monde