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Ath Maâmar (Kabylie) : Le village martyr

mardi 21 septembre 2004, par nassim

Pour monter jusqu’au village Ath Maâmar, du aârch de Boumahni en Kabylie, il faut emprunter un chemin sinueux et défoncé.

Ath Maâmar se souvient de cette sinistre journée quand il avait été complètement rasé par les intenses bombardements du 12 avril 1955. Les premiers hommes, à leur tête le moudjahid Slimani Mohamed, décédé il y a quelques années, et Maâmar Belkacem en contact pour le premier avec Amar Ouamrane et Krim Belkacem, et pour le second avec Abderahmane Farès, ont vite provoqué l’étincelle en participant à plusieurs actions avec d’autres compagnons. Aujourd’hui, pour rendre hommage aux 28 martyrs du village, les villageois s’attellent à la construction d’une stèle commémorative à l’occasion de la célébration du 50e anniversaire du déclenchement de la révolution.

“Depuis l’indépendance du pays, nous attendions que nos martyrs aient leur stèle comme dans chaque ville et village du pays. Cette fois, ils l’auront incha Allah. Et ce sera un patrimoine du village. Aucun officiel n’y mettra les pieds”, nous dit Mohamed Mecharek en sa qualité de président du comité de village qui nous a accueillis sur le site. On ne peut passer sous silence le courage et l’abnégation de cette jeunesse qui veut vaille que vaille honorer la mémoire de ses aînés.

Au moment de notre arrivée, c’était la fête. Les femmes étaient là et se chargeaient de la préparation du repas et du café, alors que les jeunes travaillaient durement pour préparer le béton. De son côté, le premier responsable de tadjemaât nous relate avec le moindre détail le projet. “Cette initiative est prise en assemblée générale. Après avoir collecté au total 40 millions de centimes, nous avons sollicité une parcelle de terrain appartenant au domaine forestier juste à l’entrée du village. Le jour où on devait choisir le terrain le 11 août dernier, le chef de daïra s’y est opposé. En audience, il nous a demandé de constituer un dossier. Chose que nous refusons, car nous ne voulons pas que cette stèle devienne un patrimoine de l’Etat. Le projet est lancé et personne ne pourra nous arrêter.” À la question de savoir d’où provient cet argent, il nous répondit : “Ce sont les cotisations des villageois. Notre comité est agréé. Nous exerçons selon la réglementation : 300 dinars/mois pour un salarié, 100 dinars pour un chômeur et 20 euros/an pour nos émigrés.”
Si les représentants d’Ath Maâmar rendent hommage à leurs martyrs, ils n’oublient pas leurs jeunes.

Pour soustraire ces derniers à tous les vices dévastateurs tels que la drogue, les membres du comité du village ont lancé la construction d’une maison des jeunes. “Tout comme la stèle, nous avons cotisé 52 millions de centimes pour réaliser cette infrastructure. Le gros œuvre est déjà achevé. Ainsi, cela permettra aux jeunes de l’association culturelle Izuran (racines) de développer toutes leurs activités”, enchaîne notre interlocuteur avant de saluer le courage, la discipline et bien sûr la bonne éducation de cette frange de la société en disant : “Nous sommes fiers de nos jeunes. Ils veillent sur tout. Ce sont eux qui se chargent de l’organisation des fêtes et des funérailles au village. C’est à l’honneur d’Ath Maâmar.” Ce dernier compte aussi des centaines de bacheliers. A titre d’exemple, pour cette année, sur 20 candidats au baccalauréat, il y eut 16 admis.

Un village riche de sa jeunesse
D’ailleurs, une cérémonie a été organisée en leur honneur. “En plus des cadeaux, nous avons récompensé le premier pour chaque type d’examen, 5 000 dinars pour la première moyenne au bac, 3 000 dinars pour le BEF et 2 000 dinars pour la 6e”, explique un autre membre du comité.
Le sport n’a pas été en reste. L’équipe d’Ath Maâmar a remporté la coupe du tournoi de football organisé par le village de Tizi Ameur en hommage à deux jeunes du village décédés quelques mois auparavant. “Nous ne souffrons plus du manque d’eau”, nous apprend le cafetier du village.
En effet, grâce au volontariat de tous les villageois avec l’aide des autorités locales de la commune de Aïn Zaouia, toutes les conduites d’adduction en eau potable ont été réalisées par les villageois.

Si le village avait bénéficié d’un réseau d’assainissement, celui-ci n’est devenu effectif qu’avec la volonté des habitants qui ont participé à son extension sur une distance de 600 mètres linéaires. “Pour l’école que vous voyez là-bas, nous avons demandé une clôture en dur. Malheureusement, aucune oreille ne nous a entendus”, dira un membre du comité. L’école est grillagée, mais il n’est un secret pour personne que l’insécurité règne dans la région. En clair, l’accès est possible à tous les intrus. Mais seulement ce qui taraude davantage l’esprit des uns et des autres reste tout de même cette cantine squattée par une famille venue d’un village voisin. “Toutes les autorités sont au courant de cette situation, sans qu’une décision soit prise”, conclut M. Mecharek. “Quand nos enfants auront-ils droit à un repas chaud en hiver ?” s’interroge-t-on.

En conclusion, Ath Maâmar est un village modèle où vieux et jeunes travaillent de concert pour sortir leur localité de l’enclavement. Le comité du village s’implique dans la vie de la cité activement en donnant des leçons à ceux censés réfléchir au moyen de sortir Ath Maâmar de l’ornière. Avant de redescendre à Aïn Zaouia, le “président” d’Ath Maâmar nous a lancé cette invitation : “Vous êtes d’ores et déjà invités à venir déguster notre couscous à la veille du 1er Novembre quand nous inaugurerons cette stèle sans la présence des officiels. L’histoire retiendra ce pas.”

Par Ghilès O., Liberté