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Bouzeguène : Les enfants de la politique et des graffitis

jeudi 29 avril 2004, par Hassiba

Les souillures qui apparaissent sur les murs de nos villes et villages et qui sont une juxtaposition de mots reproduits maladroitement par des mains furtives, désordonnées et souvent craintives sont une panoplie de graffitis qui traduisent, on ne peut mieux, le dol des “adultes” qui ignorent, voire renient la réalité de cette innocente enfance.

Les thèmes diffèrent d’une génération à une autre. Il y a une vingtaine d’années, c’étaient des cœurs percés d’une flèche, des prénoms de tous les “amours”, des clubs de football et de leurs stars. Le temps a évolué et le thème aussi. Le Printemps noir 2001 de Kabylie a instauré une pédagogie de masse, des mots et expressions violents sont apparus.

Les enfants ont appris beaucoup plus à l’extérieur de l’école qu’à l’intérieur. “Ulac smah ulac”, “pouvoir assassin”, “le combat continue”, “satisfaction pleine et entière de la plate-forme d’El Kseur”, “marche noire”, “conclave”, “les martyrs de la démocratie”, etc. Rares sont sur les murs les graffitis violents qui soient bien écrits, sans fautes, et traduisant la maturité et l’assurance de son transcripteur.

Aujourd’hui, les enfants se recyclent dans la violence. L’école devient (ou est déjà devenue) impuissante à remettre de l’ordre aux dégâts de la rue. Nos enfants ne parlent plus à leurs professeurs, à leurs parents ou entre eux, de dessins animés, de jeux éducatifs, de compétitions culturelles... Ils parlent de politique, de militants, de gendarmes, de policiers, de terroristes, d’assassinats, de hold up... “Des gendarmes sont passés par là”, “des émeutes ont éclaté là-bas !”, “demain, c’est la grève générale”... Ils connaissent Bouteflika, Zerhouni, Ouyahia, ils leur vouent beaucoup de haine. Ils n’apprécient pas aussi les partis politiques de la région : le FFS en 2002 et le RCD en 2004 sont devenus pour eux indésirables. Dans la rue, sur le chemin de l’école, sur les murs de leurs classes, on ne parle que de Matoub, d’Abrika et des archs, de Rambo, de politique, de policiers, etc.

Nos enfants ont quitté le sentier de l’enfance et de l’innocence, de l’école et de l’instruction, pour emprunter celui des adultes mais avec beaucoup d’inconscience. Poussés par leurs instincts, ils deviennent ainsi de la “chair à canon”. Dans leur imagination, ces escapades imprudentes deviennent subitement des pages d’héroïsme. Rambo made in USA se substitue au pseudo-Rambo made in Kabylia ; ils font leur révolution, leur propre film d’aventures aux conséquences parfois dramatiques. En 1988 à Alger, les enfants ont renversé les voitures de l’Etat, mis le feu aux pneus et aux réservoirs. En 1991, des bambins d’Alger étaient envoyés pour faire face aux canons des chars pendant que les adultes se cachaient sous les balcons. En 2001, un gendarme assassine un jeune dans les locaux de la brigade de Beni Douala.

Face à l’impunité et à l’irresponsabilité des pouvoirs, ces jeunes enfants kabyles sortent dans la rue qui s’est transformée en champ de bataille. Avec des cailloux, ils ont bravé les balles réelles. Bilan : 124 morts, tous des enfants, et plus de 1 000 blessés. Quand les adultes brouillent sciemment en Kabylie, à Ouargla ou ailleurs, les balises de la moralité et du civisme, de la conscience et du réalisme, la raison n’attend pas des enfants formés et instruits dans le cafouillage des idées et du quotidien, l’innocence de l’acte à chaque réveil.

À eux seuls, leurs graffitis, leurs imitations, leurs escapades, sont une violence. Ils sont l’estampille et la mission violente des “enfants” auxquels les “adultes” ont, sans vergogne, subtilisé le rêve et le franc-rire.

Par C. Nath.Oukaci, Liberté