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Cheurfa, le village des saints marabouts

mardi 5 avril 2005, par Stanislas

Perché sur les hauteurs de la ville de Tigzirt, Cheurfa est un village plusieurs fois séculaire.

Habité par près de 2 000 âmes, son site offre une vue panoramique sur la mer Méditérannée. Vu son histoire, il inspire aux visiteurs et aux habitants des villages de la région, un respect sans limite. Il est le village des saints marabouts dont le début de l’épopée remonte à près de neuf siècles.

A l’entrée, nous apercevons l’imposante zaouia et la mosquée de Sidi Boubekeur, dressée tel un mirador. Le village est entouré de plusieurs cimetières et mausolées, qui chacun d’eux témoigne d’une génération, d’une histoire de ces hommes et femmes qui ont consacré leur existence au dévouement et à la semence de la culture de l’Islam, à travers les quatre coins de la région et même au-delà.

C’était au 11e siècle environ, que le premier homme qui s’appelait Djenoun ou Sidi Djenoun, venu de Sakiet El Hamra, s’est installé sur cette terre, et ce en compagnie de ses enfants et de ses petits-enfants. Il habitait, nous dit-on au lieudit actuellement Sidi Saïd, qui se situe dans l’actuelle haute ville de Tigzirt.

L’actuelle Cheurfa était habitée à l’époque par la famille Ihadaden, avant de déménager vers Iflissen, à une vingtaine de kilomètres plus loin. Certains attribuent le nom donné à Ouaguenoun, région qui s’étend de l’oued Sebaou jusqu’à Tigzirt au nom de Djenoun, le premier marabout qui s’est installé dans la région. L’installation de ce saint, sur cette terre est motivée par le souci de propager la religion de l’Islam et assister les autochtones dans l’application des dogmes de cette nouvelle religion. Sidi Djenoun a donné naissance à Sidi Amar qui hérite de la mission de son père après que ce dernier mourut. Sidi Amar, lui aussi a été succédé par son fils Sidi Saïd. Sidi Djenoun et Sidi Amar, nous dit-on reposent dans l’enceinte de l’actuelle Zaouia de ce village.

Quand à Sidi Saïd, il est probablement enterré dans l’actuelle cimetière qui porte son nom et qui se situe sur les hauteurs de la ville de Tigzirt. Sidi Saïd a donné la vie à Sidi Boubekeur. Ce dernier est le personnage le plus mythique de cette famille de prosélytes et ce dans la mémoire collective des populations de la région ; Sidi Boubekeur est succédé par son fils Sidi M’hend Sadi. Ce nom, à ne pas confondre avec celui d’un autre saint qui a fondé une zaouia et qui porte son nom, se situant au cœur de la forêt de Mizrana, à près d’une quinzaine de kilomètres plus loin.

Sidi M’hend Sadi de Cheurfa, nous dit-on, repose lui aussi dans l’enceinte de la zaouia. Sidi Boubekeur, bien que cette zaouia porte son nom, ne repose pas dans cette enceinte, mais à plusieurs dizaines de kilomètres de là, exactement à Lemghira dans la localité de Mekla. Là-bas en plus de sa tombe, un mausolée et une mosquée ont été édifiés à la mémoire de ce saint dont le mythe est encore vivace dans les pensées des populations de la région.

Pélerinage à Yema Gouraya

Sidi Boubekeur, nous raconte-t-on, organise des missions de pèlerinage qui l’emmènent jusqu’à Yema Gouraya à Béjaïa. Dans cette région on y organise des regroupements qui réunissent plusieurs confréries. Ces voyages organisés périodiquement peuvent s’étaler sur plusieurs mois pour chacun d’eux. Au cours de route, Sidi Boubekeur active énormément. Il organise les populations, il explique la religion aux populations, et il règle des conflits. Parmi les lieux où Sidi Boubekeur marque des escales, on peut citer Djemaâ Saharidj, Oued Aïssi, Tala Amrane etc.
La région où le saint est beaucoup aimé, reste celle de l’actuelle Ouaguenoun, qui s’étend d’Aït Aïssa Mimoum à Boudjima. Il aime lui aussi séjourner dans cette localité et cette dernière est surnommée Tivhirt ou le jardin de Sidi Boubekeur.

Un jour, en retour d’un pèlerinage interne, en compagnie de l’un de ses fils qui est Sidi M’hend Ouamar Chérif, ainsi que de ses disciples et en arrivant à Lemghira, Sidi Boubekeur tomba malade. Devant la gravité de son état, l’on a voulu le transporter vers sa demeure à Cheurfa, mais Sidi Boubekeur refusa et confie aux présents de l’enterrer sur les lieux s’il venait de mourir, leur a-t-il dit "La terre tout entière appartient à Dieu".

Après quelques jours, Sidi Boubekeur succomba à sa maladie et rendait l’âme à Lemghira en plein mission de prosélytisme. Conformément à ses vœux, Sidi Boubekeur est enterré dans cette localité et un mausolée est errigé à sa mémoire. A ce jour les responsables de la zaouia de Cheurfa et d’autres citoyens se recueillent et visitent son mausolée et ce à chaque fête de l’Achoura, où des cérémonies religieuses sont organisées sur les lieux.

Bien avant, à Cheurfa, il n’existait que des habitations. L’on nous informe que c’est Sidi M’hend Sadi, qui a confié à l’un de ses fils de construire et de fonder une zaouia sur les lieux, il y a de cela près de trois siècles.
L’actuelle zaouia a été construite en 1930. Mais récemment les responsables de ces lieux ont construit une imposante mosquée et on a restaure l’ancienne zaouia.

Dans ladite zaouia, une prestigieuse école coranique existe toujours. Elle forme des étudiants en théologie ou "taleb". Ces étudiants dont leur nombre varie entre 25 et 30 jeunes, sont pris en charge totalement par la zaouia et ce jusqu’à la fin de leur formation. Smaïl, est l’un des responsables au niveau de cette zaouia. Tout en nous exprimant son attachement et son dévouement à cet important héritage que ses ancêtres lui ont légués, il déplore le manque de candidats à former, dont l’origine est kabyle. "Nous recevons de moins en moins d’étudiants kabyles et la plupart de nos "taleb" viennent des autres wilayas".

Selon Smaïl, en plus de la formation, la zaouia assure des imams pour toute la région et d’après lui, un imam connaissant bien le kabyle passe le message plus facilement quand il est tenu à exercer en Kabylie, car l’une des causes du "recul" si on ose le dire, de la culture islamique dans la région, est la défaillance en matière de communication.

La zaouia reçoit entre 400 et 500 visiteurs par semaine, particulièrement le lundi et le jeudi. Durant leur petit pélerinage, beaucoup de visiteurs y passe la nuit. Ils sont pris en charge gratuitement par la zaouia. la principale ressource de cette structure, reste évidemment les dons qu’on reçoit de ces mêmes visiteurs, en quête de la baraka.

Dans ces lieux auparavant, on organisait de grandes cérémonies religieuses, appelées "Tsevietha". ce rite n’a pas eu lieu depuis le début des années 1990 pour cause de l’insécurité qui règne dans la région. Dans ladte cérémonie des milliers de gens, venus de tous les horizons, se rassemblent dans une ambiance festive et ce pendant près de trois jours pour implorer Dieu et demander la baraka des saints. Ladte fête organisée à chaque fin de l’été, en plus de la communion dans la foi. Elle symbolise le vœu de l’abondance des récoltes pour la nouvelle année agricole.
Interrogé au sujet du christianisme en Kabylie, Smaïl nous répond avec sagesse : "Cela est le résultat de la défaillance de nos imams car c’est illogique à ce qu’un musulman redevienne chrétien", nous dit-il.

Notre interlocuteur soulève certaines anomalies dans les gestes des visiteurs, tel que le "tawf" que certains observent sur les mausolées, l’adoration de certains rochers et autres. Pris pour des dieux, ces déviations Smaïl les fait remarquer aux visiteurs.

Au sujet du mythe des miracles et du pouvoir de ces saints, Smaïl affirme que ces derniers sont des hommes ordinaires. Leur seul miracle est d’avoir su conquérir le cœur des gens à travers les siècles, et d’avoir consacré toute leur existence à la lutte par le bien contre le mal, par le savoir contre l’obscurantisme mais aussi par leur baraka qui souffle la quiétude et la lumière dans les esprits des gens en quête de la foi sur le chemin de Dieu.

Par Mourad M., depechekabylie.com

Les Chorfa ou les cheurfa

1 Le mot “chorfa” ou “Cheurfa” est la forme dialectale de “Shurafa”, pluriel de “Sharif”. Ce sont les descendants du prophète et de sa fille Fatima (Fatma).
Si certaines familles, comme les “Idrisides” et plus tard les “Filaliens” et les “Saâdiens”, ont donné naissance à des dynasties qui ont régné sur le Maroc, beaucoup de ces nobles étaient des pauvres gens qui s’adonnaient à la recherche de sainteté. Mais leur qualité leur conférait un grand prestige. On les appelait du titre de “moulay” (classe de “mawlaya”), alors que Sidi (Classique “sayyidi”, abrégé en “Si” quand on s’adresse à une lettre) s’emploie à tous les saints.

In : Encyclopédia universelle