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Code de La Famille : 20 ans après

lundi 8 mars 2004, par Hassiba

Suppression du tutorat, responsabilité parentale partagée, droit de la femme divorcée au logement...
Ces propositions seront présentées pour adoption au Parlement.

Le printemps qu’augure ce 8 mars sera-t-il fleuri d’espoirs ? Depuis 20 ans, cette date anniversaire du combat des suffragettes a toujours constitué une sombre commémoration dans notre pays. Pendant deux décennies, les femmes ont enduré une loi scélérate - le code de la famille promulgué en 1984 par le président Chadli Bendjedid - qui a concentré leur lutte autour de son abrogation.

À chaque 8 mars, se multipliaient les arènes revendicatives. À chaque 8 mars aussi, se dressaient çà et là des tribunes officielles du haut desquelles des responsables promettaient l’abrogation, au mieux, l’amendement du texte honni. Le dernier engagement en date est venu du ministre de la Justice et de la Réforme pénitentiaire, Tayeb Belaïz. Sur instruction du président de la République, le garde des Sceaux a mis en place, en octobre dernier, une commission pluridisciplinaire ; comportant des juristes, des sociologues, des exégètes... ; pour la révision du code de la famille. Parrainée par les quatre ministres femmes du gouvernement Ouyahia, cette instance de réflexion vient de rendre compte de ses premières conclusions au chancelier, qui les a, à son tour, transmises au chef de l’État. Si des hésitations étaient constatées dans le travail préliminaire de la commission - présidée par M. Boutarn, premier président de la Cour suprême - notamment dans le traitement des articles les plus controversés, à savoir le tutorat, la répudiation..., la rigueur et la fermeté ont finalement prévalu.

Selon Mme Aït Benameur, députée indépendante et membre de la commission, cette ambition de changement dénote l’existence “d’une réelle volonté politique”. Elle répond par ailleurs à une véritable urgence sociale. Cet impératif constitue d’ailleurs l’un des trois axes qui ont orienté le travail de la commission Boutarn.

Les deux autres sont liés à la nécessité de promouvoir le statut de la femme dans le cadre d’une notion plus élargie et authentique des droits de l’Homme et d’une participation affirmée dans la vie sociale et politique. Dans le quotidien, les manifestations outrageantes de la désagrégation du tissu familial et l’avilissement de la femme au gré de la loi de 1984 sont plus que des signaux d’alerte. Ils constituent des SOS que les autorités ont longtemps négligés et tus. Bien qu’obéissant - quelque part - à des desseins électoraux, leur prise de conscience aujourd’hui est salutaire. Les femmes, notamment les plus démunies, jetées à la rue avec leurs enfants après leur divorce, crient à l’aide depuis 20 ans. Enfin, elles sont entendues.

Dans l’une de ses recommandations, la commission Boutarn préconise l’octroi du mari à son ex-épouse et à leurs enfants d’un logement. “On ne lui demande pas de se délester de son domicile mais de garantir à sa progéniture un abri ou d’en payer le loyer”, explique Mme Aït Benameur. Sur un autre plan, la consécration du droit au travail féminin, tel que stipulé dans la Constitution, constitue, aux yeux de notre interlocutrice et de ses collègues de la commission, la meilleure prévention contre le dénuement, en cas de séparation conjugale. Ils ont introduit dans ce contexte une disposition qui interdit l’assujestion de l’emploi de l’épouse à l’autorisation de son mari. Libre, la femme n’a pas besoin également d’une tutelle parentale ou autre pour contracter une union matrimoniale.

S’inspirant du Coran, la recommandation des commissionnaires à ce propos réduit “la wilaya” aux seules femmes mineures et ne disposant pas de toutes leurs facultés mentales.
Du texte sacré et du droit positif, se sont par ailleurs inspirés les experts pour octroyer à la mère ses pleins droits. Ainsi, ils recommandent l’élargissement de la responsabilité parentale à l’épouse. “Au jour d’aujourd’hui, le père uniquement a le droit d’autoriser une intervention chirurgicale sur l’un de ses enfants. Que faire si celui-ci est absent ?!”, relève Mme Aït Benameur. Autant d’aberrations, des plus farfelues aux plus préjudiciables, sont contenues dans le code de la famille.
Au chapitre du divorce par exemple, ce droit rendu abusif par le bon vouloir du mari devra être dorénavant - si l’amendement est retenu - soumis à l’appréciation et à l’aval du juge. “Le mariage et le divorce sont des actes juridiques. Le divorce ne peut être prononcé que par le juge”, souligne Mme Aït Benameur. De même que la polygamie - bien que entérinée par la commission - doit s’exercer sous le contrôle du magistrat.

En effet, selon une énième proposition, l’époux qui souhaite contracter une nouvelle union doit informer sa (ou ses) premières épouses ainsi que la future conjointe par le biais d’un huissier de justice et avoir leur accord écrit. “Cette pratique (la polygamie, ndlr) disparaîtra ainsi d’elle-même car rares sont les épouses qui accepteront de leur plein gré d’avoir une ou des concubines”, soutient la parlementaire.

Cependant, il est des cas où des femmes soumises soit par dénuement ou infertilité acceptent de partager leur mari.
Là aussi, le législateur se doit d’intervenir pour les protéger en supprimant carrément la polygamie. Il ne le fera pas, du moins pour le moment. Les pesanteurs sociales étant si fortes et les levées de boucliers si promptes qu’il est manifestement impossible d’opérer une révolution entière des mœurs. C’est du moins ce que pensent les politiques au pouvoir. “Nous ne sommes qu’au début de notre travail. Il y a encore beaucoup de choses à changer, dont la consécration du droit à l’héritage par exemple”, rassure, quant à elle, Mme Aït Benameur. En attendant, il faut juste espérer que les amendements préconisés par la commission ne resteront pas lettre morte et seront traduits rapidement en loi. Car jusque-là, bien des commissions sont passées et les femmes continuent toujours à... hurler de désespoir.

S. L., Liberté

Repères :

 Beaucoup de femmes accèdent à des postes de responsabilité ou à des emplois hautement qualifiés :
 la population féminine active représente 19,7% de la population globale ;
 cinq femmes ministres ;
 une secrétaire générale d’un parti politique. Elle est aussi candidate à la présidentielle ;
 le Conseil d’état est présidé par une femme ;
 une femme wali (Tipasa) et deux autres walis délégués ;
 sept femmes chefs de daïra ;
 27 députées et 3 sénatrices ;
 847 magistrates dont 34 présidentes de tribunal et deux présidentes de cour ;
 6 973 femmes dans la sûreté nationale ;
 elles sont présentes à hauteur de 54% dans le secteur de la santé et 46% dans l’éducation ;
 39% des femmes rurales sont analphabètes.

Les statistiques sur les divorces, les sans-abri, les mères célibataires... ne sont pas fournies.

Appel d’associations féminines

“Empêchons le code de la famille d’avoir plus de 20 ans”
Le Collectif 20 ans barakat, formé par cinq associations féminines, appelle, à travers une déclaration transmise à notre rédaction, les institutions et le pouvoir en place à mettre en œuvre une volonté et un courage politique réels pour réaliser un changement positif dans notre société. Seules des lois égalitaires, garantissant la justice et la dignité pour tous, sont à même de remplacer ces dispositions discriminatoires et permettront aux Algériennes et aux Algériens, la construction d’une Algérie moderne, responsable et juste avec tous ses enfants.
L’histoire de notre pays s’en souviendra.
Ensemble, empêchons le Code de la famille d’avoir plus de 20 ans.