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Comment les candidats vendent leur image

Images, prospectus et slogans de campagne

dimanche 28 mars 2004, par Hassiba

Notre journaliste Mustapha Benfodil, à l’occasion de cette campagne, s’est lancé aux trousses des professionnels de l’image, ces spins doctors, chargé de peaufiner l’image des candidats à la présidentielle.

La campagne s’emballe et les candidats rivalisent d’inventivité pour séduire l’électorat. Malgré beaucoup d’improvisation et parfois d’amateurisme, les politiques se fient de plus en plus aux créatifs pour soigner leur image. Enquête dans les coulisses des laboratoires de campagne.

Vendre un candidat, un programme ou un parti politique, ce n’est sûrement pas une mince affaire. “Vendre”. Le verbe pourrait paraître choquant mais les publicitaires persistent et signent : la politique, c’est aussi une “marchandise”. Un “produit politique” (une élection, des réformes, la laïcité, el-wiam al-madani, tout ce qu’on veut) obéit, dès lors, à des règles de marketing ; un marketing adapté bien sûr. Packaging, merchandising, sondages, cible, public, intention (de vote), indice d’audience, audimat, service après-vente (service “après-vote” plutôt), bref : les concepts marketing ont envahi en force le marché politique.

Comment les candidats gèrent-ils leur image en direction d’un public de plus en plus exigeant en termes de présentabilité, d’“emballage” et de discours, lui qui est surexposé à un bombardement d’images sans pareil depuis que le champ politico-médiatique national s’est élargi à toute la planète ? En guise de constat immédiat, d’aucuns ont eu l’humilité parmi plusieurs membres des états-majors de campagne avec lesquels nous avons discuté de reconnaître que cette science-là est encore toute fraîche chez nous, et que l’on en est encore au stade des tâtonnements, des approximations et de l’improvisation, même si l’alliance sacrée entre les politiques et les créatifs commence déjà à porter ses premiers fruits.

Benflis : A l’américaine...

Au PC de campagne du candidat Ali Benflis, toute une équipe travaille d’arrache-pied sur l’image du candidat. L’ancien chef de gouvernement ne recule devant rien. La veille du coup d’envoi de la campagne électorale, il s’offre une tournée à travers les rédactions des gros tirages algérois, un peu à l’américaine. Ses conseillers lui ont suggéré une bonne idée : étaler son parcours sur un dépliant dans lequel on peut voir Si Ali à 5 ans, Si Ali lycéen, Si Ali mobilisé dans la guerre israélo-arabe, Si Ali étudiant en droit à La Haye, etc. Le staff de campagne de Ali Benflis dépense un argent fou pour concocter tout un florilège d’affiches, de prospectus, de banderoles, à l’effigie de son “client”. La ligne graphique est disparate mais, néanmoins, elle est uniforme sur un point : son aspect “fleneux” : couleurs nationales, carte de l’Algérie, des symboles “naïvement” nationalistes en somme. On relèvera aussi que le candidat et son équipe ont veillé à submerger la capitale de ses portraits, ne lésinant pas sur les moyens pour louer des cafés, des fast-foods, des pizzerias, des bureaux un peu partout, répondant du tac au tac aux permanences “sauvages” de son principal rival dont il était directeur de campagne en 1999. Autre tactique adoptée par Benflis : cibler le réservoir féminin. Pour cela, des fournées d’étudiantes et de militantes d’une association satellite, Les femmes de la nouvelle Algérie, seront mises à contribution pour vendre l’image du candidat à l’électorat féminin.

Mais pour revenir à la confection de l’image stricto sensu, l’état-major de campagne de Ali Benflis a dû monter tout une cellule d’images dont la direction sera confiée à une figure emblématique du cinéma algérien : Ahmed Rachedi. Ce dernier est bien sûr connu pour avoir signé des films culte comme L’Aube des damnés (1964), L’Opium et le bâton (1969), ou encore Ali au pays des mirages (1978). Ahmed Rachedi a consenti à mettre son capital expérience au service du candidat Ali Benflis. Toutefois, la formule “au service de...” le dérange, lui qui, comme tout artiste, comme tout intellectuel, est très jaloux de sa liberté. “En fait, j’apporte une expertise sur la gestion de l’image. Disons que je suis avec le mieux disant culturel”, précise-t-il. Ahmed Rachedi et son équipe sont chargés de monter des produits audiovisuels de campagne qui seront injectés dans diverses chaînes : K. News, Beur TV, Berbère TV, etc. “Nous essayons un tant soit peu de combler le déficit en images dû à l’accaparement de la télévision nationale par un seul candidat”, argue-t-il.

Ahmed Rachedi conseille de trouver “le bon dosage” en matière de diffusion d’images dans le circuit audiovisuel. “Trop de télé tue l’image”, note-t-il en observateur avisé, avant d’ajouter : “Nous essayons de parvenir à un maximum d’efficacité en termes d’utilisation de l’image”.

Des figures connues ou moins connues défilent ainsi devant sa caméra, à la faveur d’un “casting” étudié, sur la base de visages crédibles. “Nous misons sur des voix porteuses susceptibles de véhiculer les idées du candidat. Nous choisissons des figures de la société civile qui nous changent un peu des politiques qui accaparent sans cesse le champ médiatique”, argumente le réalisateur.

Au-delà de la stricte rhétorique de campagne, Ahmed Rachedi appréhende l’image en termes anthropologiques, identitaires et culturels. Pour l’homme de cinéma qu’il est, producteur par excellence de signifiants visuels, la gageure est de parvenir à produire nos propres images. “L’Algérien subit une pluie torrentielle d’images venues du ciel. L’image est un véhicule culturel par excellence. Elle est porteuse de valeurs, de comportements et d’idéologies. Si nous ne fabriquons pas nos propres images à partir de nos imaginaires, si nous restons de simples consommateurs d’images, cela va accentuer notre crise identitaire. La guerre du XXe siècle, c’est une guerre d’images. C’est la guerre de la communication. Nous sommes constamment brouillés par les référents venus d’ailleurs”, développe Ahmed Rachedi. Le cinéaste regrette que nos politiques fassent preuve de “paresse artistique”, comme cela se traduit par la qualité fort passable de la plupart des affiches des candidats. “Ces affiches sont d’une extrême pauvreté esthétique”, devait-il constater.
Au moment de notre passage au PC de campagne de Benflis à Hydra (qui, curieusement, se trouve à un jet de pierre de la direction de campagne de Bouteflika, projetant ainsi les deux hommes dans une histoire d’amours et de désamours inextricable), un ancien champion d’athlétisme était interviewé par un journaliste qui a requis l’anonymat. L’athlète en question, Mahour Bacha pour ne pas le nommer, sacré plusieurs fois champion d’Afrique du javelot et du décathlon dans les années 1980, se dit proche du FLN “légitime”, ce qui justifie en premier lieu son choix électoral.

Outre les artistes, les sportifs, les cadres et autres figures de la société civile, la direction de campagne du candidat se doit de gérer toute une pléthore de soutiens au candidat Ali Benflis, issus de la classe politique et du mouvement associatif. Et là, le “casting” devient un peu plus délicat dans la mesure où les alliances électorales ne font pas toujours l’économie d’une cacophonie au niveau du discours. Smaïl Saïdani, membre de la cellule de communication de la campagne de Ali Benflis, s’occupe, avec Sofiane Djillali, entre autres, de la gestion des plages horaires de passage à la radio et à la télévision. Un tableau de bord constamment actualisé suit les passages des défenseurs de Benflis. “Nous devons composer avec toutes les sensibilités qui nous expriment leur soutien”, argue Smaïl Saïdani. Sur les tableaux qui indiquent les passages dans les médias lourds, nous pouvons lire des noms aussi divers que Leïla Aslaoui, Hassiba Boulmerka, Boualem Benhamouda, Benbaïbèche, Dahdouh, Bendrihem, etc. La commission de communication veille autant que faire se peut à briefer les intervenants devant apparaître dans les meetings et les médias lourds afin d’assurer un minimum de cohésion sémantique et accorder les violons au sein de cet étrange orchestre de voix.

Saïd Sadi : La rupture comme valeur sûre

Sur l’affiche qui le représente, le docteur Sadi apparaît avec une nouvelle monture de lunettes. Il s’est taillé une jolie moustache et, en portrait américain, pose, une main dans la poche façon gentleman, et l’autre esquissant une main tendue. “Il y a tout un travail derrière cette main”, explique un de ses proches collaborateurs, en l’occurrence Hamid Lounaouci. “Nous avons beaucoup réfléchi à cette affiche et nous n’avons pas voulu la surcharger. Nous avons choisi une expression qui ne soit ni inquiète, ni désinvolte. Nous avons misé sur la sérénité. Nous avons voulu montrer un homme serein, responsable, prêt à assumer les charges auxquelles il a postulé”, devait-il argumenter. Au niveau texte, les concepteurs de l’affiche ont choisi ce que tous les publicitaires des temps modernes recommandent : une accroche concise, percutante et ramassée, censée résumer la quintessence du projet politique du candidat, et de façon à ne pas “fatiguer” (comme dirait Lounaouci) le lecteur-électeur. Le slogan de Sadi met en avant deux valeurs politiques : crédibilité et solidarité.

Abstraction faite de l’aspect strictement iconique, l’image d’un homme politique renvoie souvent à la représentation mentale qui se forme dans l’esprit du public. “L’image d’un candidat doit avoir été travaillée, portée et diffusée bien avant le début de la campagne. C’est une image qui est façonnée au fil de toute une carrière politique. Ce n’est pas en dix-neuf jours de campagne que l’on invente un candidat”, souligne le conseiller du Dr Sadi. “Il est vrai que la fabrication de l’image s’intensifie au cours des grands rendez-vous électoraux”, poursuit-il.

M. Lounaouci regrette que l’inégalité des moyens ait une incidence directe sur la promotion de l’image d’un candidat. La variété des supports, le recours aux produits “dérivés” et autres objets fétiches comme le font à l’envi les deux principaux concurrents du candidat du RCD, tout cela appelle de gros moyens. “Nous ne comptons dans une très large mesure que sur les cotisations de nos militants”, confie notre hôte. La logistique et la physionomie des PC de campagne à eux seuls renseignent, si besoin est, sur les moyens matériels et humains des uns et des autres. Certains QG sont de véritables studios de fabrication d’image (pour les plus nantis), tandis que d’autres sont de simples secrétariats bruyants.
Mais l’inégalité des moyens n’explique pas tout. Parfois, des affiches ou des spots de campagne sont ratés tout simplement faute d’un bon plan de communication. M. Lounaouci souligne le problème que pose le management des “relais” du candidat, notamment dans les médias lourds. “Il n’est pas toujours évident de trouver les bons vecteurs. Il est difficile d’avoir des gens dans les trois langues, ou encore des jeunes qui maîtrisent le sujet, ou des figures féminines”, fera-t-il remarquer.

Au niveau des thèmes de campagne, les candidats sont souvent confrontés à un écueil majeur : les sujets qui fâchent. Comment le RCD, par exemple, pourrait “vendre” la laïcité aux Algériens sans encourir le risque d’être taxé de “hizb França” ? Cela aussi a à voir avec la gestion de l’image. Pour Hamid Lounaouci, “le RCD est un parti atypique dans le paysage politique. Il a eu le courage de casser un certain nombre de tabous. Il est clair que même au niveau populaire, le concept de laïcité ne choque plus comme il y a dix ans, du temps de la fièvre islamiste, sous le diktat de l’ordre moral de l’époque. La machine de propagande intégriste faisait assimiler la laïcité à l’apostasie. Aujourd’hui, les Algériens savent que la laïcité vise seulement à séparer les affaires publiques du fait religieux et que c’est le meilleur moyen de protéger le spirituel”. Le RCD ne s’inquiète pas non plus au sujet de la problématique d’approche de la “Kabylie réfractaire”. Lounaouci est convaincu que les trublions qui empêchent le parti d’activer sereinement dans la région sont “des groupes minoritaires qui relèvent de la délinquance et qui sont financés par le cercle présidentiel pour neutraliser l’électorat kabyle qu’ils savent non acquis au Président-candidat”.

Bouteflika : La grosse machine

Une grosse machine travaille, en effet, pour “vendre” la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à l’opinion nationale et internationale et lui assurer un second mandat. Le laboratoire où est soignée et travaillée l’image du Président-candidat est une vraie fourmilière où bourdonne une fournée d’hommes et de femmes. À l’entrée de la villa, une immense affiche en hauteur à l’effigie de “fakhamatouhou”, confectionnée par un sponsor privé. De charmantes hôtesses (des “Bouteflikettes”) sont chargées d’accueillir les mille et un visiteurs qui se présentent. Elles sont coiffées d’une casquette sur laquelle on peut lire en caractères fantaisistes : “Boutef Président”. Elles portent également un t-shirt sur le dos duquel est gravée cette étrange inscription : “R34 M$. Pour notre génération. Merci M. le Président.” Décrypté, cela donne : “Une réserve de 34 milliards de $ de change pour notre génération...”.
Toute une panoplie d’objets fétiches circule. Dans le lot : une cassette et un CD où sont déclinées des chansons folkloriques à la gloire d’El-Aziz. Des ingénieurs informaticiens, dont deux jeunes venus de Mulhouse, s’affairent à mettre à jour le site officiel de la campagne, réalisé par ces jeunes beurs en collaboration avec le bureau du RND à Strasbourg.

Au premier étage, une cellule audiovisuelle que supervisent deux cadres de l’ENTV : Lotfi Cheraiet et Smaïl Oulebssir. Ils travaillent sur les spots diffusés lors des passages dans les médias lourds et procèdent, également, à la préparation des 2 mn de “best of” quotidiennes de la tournée du candidat, diffusées au JT de 20h. Outre cette cellule, toute une équipe de conseillers veille au grain : le Dr Abdeslam Benzaoui, professeur de sciences politiques à l’université d’Alger, Aïssa Khelladi (écrivain, directeur des éditions Marsa), Azzeddine Mihoubi (président de l’Union des écrivains), et d’autres encore. Toufik Khelladi, journaliste à l’APS, est un feu d’artifice à lui tout seul. Il s’occupe surtout de la presse. La direction de la cellule de communication est confiée à un homme fort du RND, alliance électorale oblige : il s’agit de M. Abdeslam Bouchouareb, le chef de cabinet d’Ahmed Ouyahia au RND. Les frères du Président-candidat mettent volontiers la main à la pâte, notamment Saïd Bouteflika. Ils veillent sur la coordination entre les différents modules de la machine de campagne.

Une cellule de veille suit les déplacements du candidat pas à pas et l’essentiel de chaque halte électorale est aussitôt ajouté au site officiel. La cellule de veille recueille également tous les échos : presse, potins de rue, médias lourds, Internet. “Le feed-back sert à introduire des rectificatifs qui sont suggérés au candidat par le biais de M. Sellal”, confie-t-on. Briefings, débriefings, brainstorming, points de situation se succèdent à une vitesse vertigineuse.

La “scénographie événementielle” comme l’appellent les spécialistes, et que dirige pour Bouteflika le Dr Benzaoui, est travaillée avec soin. “Nous avons opté pour un pupitre transparent. Cela a le mérite d’évoquer la transparence et de montrer un candidat debout, ce qui va avec l’esprit de sa campagne”, explique le Dr Benzaoui.
La récurrence du bleu dans la signalétique de campagne du Président-candidat est ardemment défendue par son staff : “Le bleu, c’est d’abord la couleur de la communication. C’est la couleur de la sérénité, mais c’est aussi celle de l’acier trempé qui évoque la force, valeur forte de notre campagne. Et puis, c’est la couleur de la victoire”, révèle Toufik Khelladi. Le slogan est en apparence, une réplique de celui de 1999. Pourtant, ce n’est pas tout à fait le même. “Contrairement à ce qui se dit, ce n’est pas le slogan de 1999”, rétorque Abdeslam Bouchouareb. “Vous remarquerez qu’il y a un terme qui a disparu. Ce n’est plus “pour une Algérie forte et digne” mais “une Algérie forte et digne”, tout court, “l’objectif ayant été atteint.” Pour ce qui est du travail sur le discours, force est de relever que les candidats comptent dans une très large mesure sur eux-mêmes pour confectionner leurs thèmes de campagne. Ainsi, le staff de Bouteflika reconnaît que le Président-candidat n’a pas jugé utile de consulter son équipe lorsqu’il s’est rendu à l’émission Baramidj.

Concernant les “relais” du candidat, Khelladi confie : “Il ne subissent aucun briefing préalable. Nous les laissons parler en toute spontanéité, avec le cœur.” Abdeslam Bouchouareb indiquera que ce n’est pas la même chose pour les politiques. Devant composer avec les alliés du Président-candidat, en l’occurrence le RND et le MSP, la tâche se révèle moins facile. “Nous avons plus de mal à gérer les politiques que les non-politiques”, reconnaît le n°2 du RND.

Dernier “os” pour l’état-major de campagne de Bouteflika : le livre de Benchicou. On l’aura deviné : les collaborateurs du Président tentent de minimiser l’impact du livre en l’ignorant, et en faisant la promotion de livres “amis” (il y en a quelque cinq, favorables à Boutef). La traque policière du pamphlet semble abandonnée, les conseillers du Président-candidat ayant dû se rendre à l’évidence que la campagne de persécution lancée contre le livre était la meilleure publicité qu’on pouvait lui faire, comme l’a relevé Benchicou lui-même.

Alors, campagne à l’américaine donc ? C’est, en tout cas, l’avis de moult observateurs, en effet. Pourtant, sur certains détails savamment entretenus, la campagne reste fondamentalement algérienne. Ainsi du thème de la vie familiale. Nous n’aurons pas le privilège de voir nos candidats s’afficher en compagnie de leurs conjoints. Alors que dans des pays proches par la tradition comme le Maroc ou la Jordanie, la Première Dame a un rôle important dans la société, chez nous, cela reste “haramate”. En définitive, de tous les présidents qui se sont succédé à El-Mouradia, les Algériens ne connaîtront que Mme Bendjedid. La horma est superbement préservée. D’ailleurs, pour revenir aux indicateurs d’image, le lecteur-électeur aura remarqué que la moustache est de toutes les affiches mâles. Et vive la redjla !...

M. B.

KHALED SAMAR, CONCEPTEUR VISUEL

Le pouvoir aux artistes

Sur sa carte de visite, il se définit comme un “concepteur visuel” ; un consultant free-lance. Lui, c’est Khaled Samar. Âge : 37 ans. Signe particulier : c’est un mordu de l’art graphique. Un pro., de l’avis général. Ceux qui ont eu l’occasion de travailler avec lui affirment que c’est l’un des meilleurs designers visuels sur la place d’Alger. Sur son CV, pas moins de quatre campagnes électorales, c’est vous dire. Beaucoup parmi ceux qui ont vu son travail pensaient que c’était du “made in”. Il n’en est rien. C’est un pur produit DZ. Le fruit de ce jeune diplômé de l’école supérieure des Beaux-Arts d’Alger, dont il sortira major de promotion en 1989, avec une licence en communication visuelle à la clé. Il entame sa carrière sur les chapeaux de roue puisque deux sur trois des affiches qu’il avait conçues pour le compte de la CAN 1990 seront retenues et primées.

Très tôt, il est repéré par l’ANEP avant qu’un certain Ouahid Bouaâbdallah, oui, l’un des DG qui se sont succédé à la tête de l’ANEP avant de prendre le destin de Cosider, lui donne les pleins pouvoirs. C’est ainsi que Khaled Samar se retrouve dans le staff de Bouteflika lors de sa campagne de 1999. Après, il prend les rênes du FLN visuel dont il participera à la campagne des législatives et des communales, une aventure qui l’amènera à collaborer avec Benflis. Il opérera à ce titre une petite révolution esthétique au sein de l’ancien parti unique en en réinventant le logotype.
Il se voit naturellement “reconduit” par l’état-major de Bouteflika qui lui confie la mission de concevoir et réaliser la ligne graphique de l’imagerie du président-candidat, ce qui équivaut à une “ligne éditoriale” chez les designers.
“Je n’ai pas choisi le monde politique. C’est lui qui est venu vers moi”, dit Khaled Samar. “Même si je travaille avec un minimum de conviction, dans la mesure où le candidat pour moi n’est pas qu’un client, je demeure un créatif, pas un politique. Je réfléchis image”, poursuit-il.

Pour lui, trois éléments entrent dans la confection de l’image : le cœur, l’intelligence et la sensibilité. “Contrairement à ce qu’on croit, c’est le cœur qui trouve les grandes idées. Après, l’intelligence les réalise en trouvant la bonne technique. Et la sensibilité, c’est pour sentir la chose. Moi, je travaille au feeling. L’affiche de Boutef par exemple, je la voyais avant de l’avoir faite”, confie l’artiste. Le secret d’une bonne affiche, selon lui, est dans la sobriété. “Il ne faut pas surcharger l’affiche. Il ne faut pas fatiguer le public. Il faudrait que ça accroche au premier regard”, préconise-t-il.

Khaled Samar estime que l’Algérien est de plus en plus exigeant et qu’il sait regarder une affiche et l’analyser. Pour lui, la gageure est d’aller vers une communication dont la valeur essentielle soit l’efficacité, suggérant une nécessité de débarrasser le paysage visuel national de toute cette panoplie de signifiants encombrants qui l’alourdissent. “Nous avons un peuple romantique et sentimental”, constate-t-il. Ceci explique la prédominance des référents nationalistes et identitaires dans nos affiches (drapeaux, carte de l’Algérie et autres symboles naïfs) et donc trop d’“affect”, alors que les professionnels des médias recommandent une autre esthétique.

“En 1999, la couleur dominante chez Bouteflika était le vert. J’ai dû imposer le bleu cette fois-ci, le bleu étant la couleur de la victoire et de la sérénité”, dit-il. Khaled Samar est le premier à avoir recommandé des affiches en trois langues, introduisant d’autorité le tifinagh. “La communication politique, c’est quelque chose de sérieux”, conclut-il. “Il faut que les politiques soient à l’écoute des créatifs”.

M. B., Liberté