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Des dépassements dans les centres de vote

vendredi 9 avril 2004, par Hassiba

Hier 10 h, soit deux heures après leur ouverture, les citoyens d’El Harrach arrivaient timidement dans les centres du vote. A l’école Aïssat-Idir, le plus important centre de toute la circonscription où sont enregistrés plus de 6 000 inscrits, l’ambiance n’était pas des plus conviviales.

Sur le visage des quelques citoyens qui se dirigeaient vers les bureaux de vote se dessinaient l’incertitude et l’inquiétude. « Va-t-on enfin sortir de cette crise politique et économique qui étouffe notre vie depuis plus d’une décennie ? » Cette interrogation ne vient pas d’un jeune Algérien désespéré, mais d’une mère de famille vivant dans la misère et dont les enfants sont au chômage. « Moi, je n’ai plus le droit d’espérer, ma jeunesse est derrière moi, mais si je veux que les choses changent, c’est pour le bien de mes enfants », se confie-t-elle.

Dans le même centre, nous rencontrons l’ex-ministre de la Formation professionnelle Dr Abad, venu accomplir son devoir électoral. « En tant que citoyen algérien, je ne peux laisser passer un tel rendez-vous », dit-il. L’ex-ministre a profité de notre présence sur les lieux pour dénoncer certaines pratiques enregistrées dans ce centre. « Je ne comprends pas la présence de certaines personnes ici », signale-t-il faisant allusion à un groupe qui a pris place à l’entrée du centre du vote pour orienter les électeurs.

« Ces pro-Bouteflika font de la propagande, ils essayent d’influencer et de guider les choix des citoyens », fait-il remarquer. Le parti pris de l’Administration dans les bureaux de vote se fait effectivement ressentir. Les représentants des trois candidats Benflis, Sadi et Djaballah ont été empêchés de circuler librement dans les différents bureaux où se trouvent leurs observateurs. Seul celui de Bouteflika est autorisé à le faire. « Nous dénonçons fermement cette injustice et nous demandons à être traités de la même façon que les représentants du Président-candidat », a déclaré la représentante du RCD. En quittant ce centre, le problème se posait encore et le chef du centre essayait de trouver un compromis.

Il n’a cessé d’ailleurs de le répéter : « Ce sont les instructions que nous avons reçues. » Le fait le plus flagrant de l’implication à fond de l’Administration pour faire réélire le Président sortant est celui enregistré dans un centre de vote à Chebli, à l’entrée de la wilaya de Blida. Situé dans une zone isolée, ce centre de vote était ouvert à tous les dépassements. Des fourgons J9 ont été loués par l’APC pour transporter les citoyens habitant dans les localités les plus éloignées.

Couverts de portraits de Bouteflika, ces moyens de transport font plusieurs navettes pour ramener le maximum de gens aux urnes. Tout au long du trajet les « transporteurs » ne manquent pas de faire l’éloge du Président sortant. Malgré cela, on a remarqué peu d’engouement de la population. Des citoyens nous racontent : « Personne n’a jamais pensé à nous, alors pourquoi encore faire semblant qu’on est des citoyens à part entière, on l’est uniquement lorsqu’ils ont besoin de nous utiliser à des fins électoralistes. » Cet avis est partagé par d’autres citoyens des autres localités, mais à la différence que ceux que nous avons rencontrés à Baraki, au centre Ahmed-Ben-Attou, sont venus donner leur voix à l’homme qu’ils croient apporter un changement.

« J’ai commencé à voter depuis 1997, et c’est toujours la même chose : que des promesses. Mais j’ai décidé que ce serait la dernière fois que je vote. Si l’homme qui l’emporte est celui du changement tant mieux, sinon adieu l’Algérie », lance un jeune homme de 30 ans. Dans ce centre également, nous avons constaté que le déroulement de l’opération est minutieusement contrôlé par l’Administration qui a instruit les chefs des trois centres installés dans cette localité de ne donner aucune information pour la presse sur le taux de participation.

Mais il n’est pas difficile de déduire que la population de Baraki, où seuls 3 candidats sur 6 se disputent les voix, à savoir Bouteflika, Djaballah et Benflis, réserve peu d’importance à cette échéance électorale, pourtant décisive pour l’avenir de l’Algérie. Même constat à Sidi Moussa où un calme pesant régnait sur la ville. En début d’après-midi, les grandes artères offraient l’image d’une ville morte. A l’intérieur du centre de vote de Amirat, le staff chargé d’assurer l’opération s’est installé à l’extérieur du bureau à attendre longtemps qu’un citoyen se manifeste. Le taux de participation était des plus faibles. Le chef du centre n’arrive d’ailleurs pas à expliquer le taux d’abstention. Le phénomène que nous avons toutefois relevé à travers les différents centres que nous avons visités est celui des listes électorales qui semblent ne pas contenir les noms de tous les électeurs.

Des dizaines de citoyens ont été contraints de rebrousser chemin en raison de l’absence de leurs noms sur les listes. « J’ai pourtant l’habitude de voter, je ne sais pas pourquoi cette année mon nom n’est pas enregistré », se plaint une femme qui a fait 3 km à pied pour, dit-elle, « contribuer à l’instauration d’un Etat de droit et des libertés ».

Rosa Mansouri, Le Matin