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Des “ninjas” à la gestion des repentis

dimanche 22 août 2004, par Hassiba

Le destin de la BMPJ des Eucalyptus est exemplaire. Créée en août 1994, elle a aujourd’hui dix ans jour pour jour. Elle était la sixième sur les 24 qui seront mises sur pied à travers la wilaya d’Alger.

Comme toutes les brigades mobiles de la police judiciaire, elle constituait un maillon fort du dispositif militaro-policier mis en place pour ceinturer la wilaya d’Alger, avec comme mission principale l’empêchement des bouteilles d’acétylène et autres engins artisanaux de transiter par cette ville-carrefour qu’est les Eucalyptus, pour aller accomplir leur sale besogne dans la capitale. Comme le soulignent les responsables de cette brigade, les explosifs et autres voitures piégées étaient apprêtés dans les laboratoires clandestins de Ouled Allel, près de Sidi-Moussa, mais le caractère de ville-frontière de cette localité, comprendre avec la wilaya de Blida et les vergers-refuges de la Mitidja, en faisait une zone de transit à ces engins de la mort. Aujourd’hui, tout cela relève du passé depuis que Ouled Allel et compagnie ont été rasés de la carte à la faveur d’une vaste opération militaire exécutée en septembre 1997.

Il est significatif de noter que depuis cette date, la localité des Eucalyptus n’ait pas connu d’action terroriste majeure. D’abord prudent, le calme a viré à l’accalmie pour donner lieu à une trêve durable consolidée par le démantèlement de l’antenne de l’AIS à Larbâa, après la reddition de son chef Mustapha Kertali (qui, aujourd’hui, coule des jours paisibles sur les hauteurs de Djibolo). Quant au GIA, depuis l’élimination de son chef sanguinaire, le tristement célèbre Antar Zouabri, en février 2002, à Boufarik, il n’a plus vraiment fait parler de lui. Ne reste donc, grosso modo, que le GSPC. Mais là encore, les informations recueillies auprès de la BMPJ des Eucalyptus sont formelles : “Il n’y a aucun terroriste en activité qui nous ait été signalé, et qui soit issu de la localité.” Pas plus qu’il n’y a eu de repentis ayant repris du service. “Il y a eu seulement quatre éléments qui se sont convertis dans le droit commun, et qui ont commis des vols de voitures”, révèle-t-on.

La BMPJ des Eucalyptus compte 59 éléments pour six Toyota. Patrouilles, points de contrôle, assauts, interventions en tout genre constituent l’essentiel de son champ opérationnel. Corps d’élite de la police agissant sur le mode “commando”, avec des hommes en uniformes particuliers, la tête parfois encagoulée au temps du terrorisme, ce n’est pas fortuitement qu’on les appelait les “ninjas”. On les appelait aussi le “PCO”, et dans l’esprit du public, ils étaient le bras armé, le bras dur de la police. “Il fut un temps où aller à la brigade de la BMPJ, c’était comme entrer dans un purgatoire. Pourtant, au plus fort du terrorisme, il y a eu des femmes qui ont accouché dans les locaux de nos brigades”, confie le commissaire N.
“Le phénomène terroriste était quelque chose de nouveau pour tout le monde. On n’y était pas préparé. Alors, on improvisait. Il y a eu ainsi des erreurs, notamment dans la façon de conduire les interrogatoires. Il y avait des abus dans la détention préventive. Aujourd’hui, nous avons un code de référence : c’est le code pénal et le code des procédures pénales, qui, après avoir été amendés, ont apporté des solutions procédurières aux problèmes posés par le terrorisme”, souligne le chef de la BMPJ des Eucalyptus.

Du code des “bavures” aux droits de l’homme
Interrogé sur le recours à la torture lors des interrogatoires de personnes suspectées de terrorisme, il rejette ces allusions en bloc : “La torture, le chiffon, tout cela ne mène à rien. Je suis le premier à faire l’interrogatoire à un suspect, avant de le faire entendre par un inspecteur pour un contre-interrogatoire. On essaye de l’avoir à l’usure, et généralement, il finit toujours par tomber. S’il refuse de parler, au bout du quatrième interrogatoire, je fais mon PV à l’adresse du procureur de la République. Après, il y a le juge d’instruction qui, de son côté, doit faire sa propre enquête et entendre le prévenu. Vous savez, les lois ont beaucoup changé. Aujourd’hui, les BMPJ sont sous l’autorité du procureur qui leur accorde la qualité judiciaire. Il peut à tout moment venir effectuer une visite inopinée dans nos locaux pour s’assurer du bon traitement des prévenus. En tout cas, en ce qui me concerne, je respecte la loi à la lettre. Moi, quand j’ai une personne suspectée de terrorisme, je n’ai pas le droit de la garder plus de 12 jours. Toutes les 48h, je la présente devant le procureur de la République pour prolonger le délai de sa garde-à-vue, et aussi pour qu’il s’assure que le suspect est traité convenablement.” Signe des temps : aujourd’hui, dans les locaux des BMPJ comme dans tous les commissariats, du reste, la première chose qui saute aux yeux en y pénétrant c’est la Déclaration universelle des droits de l’Homme assortie du slogan : “Achourta fi khidmati el mouwatin” (La police au service du citoyen).

Le commissaire N. est installé à la tête de la BMPJ des Eucalyptus depuis deux ans. À peine en poste, il a procédé à la destruction des salles de détention de la brigade qu’il a jugées inhumaines. “En arrivant ici, j’ai trouvé ces espèces de geôles qui répugneraient même un chien. Tout comme je n’aimerais pas voir mon frère traité comme un chien, je n’aimerais pas que tel soit le cas d’un détenu placé sous ma responsabilité. J’ai aussitôt ordonné la destruction de ces pseudo salles de détention et quand nous procédons à des arrestations, les prévenus sont placés en garde-à-vue dans les locaux de la sûreté de daïra de Baraki”, précise notre interlocuteur. Son credo est tranché : l’État de droit. “Notre génération n’aime pas la hogra”, martèle-t-il, avant de lancer : “La police des années 70 et 80, c’est terminé.” Pour étayer sa profession de foi, il rappelle à notre attention les efforts consentis par la DGSN pour former son encadrement : “Je participe régulièrement à des stages de toute sorte : droit, management, renseignement, gestion. Nous faisons surtout beaucoup de psychologie. Cela nous apprend énormément sur le relationnel et les rapports humains. D’ailleurs, j’insiste beaucoup auprès de mes hommes sur le bon comportement vis-à-vis des citoyens. Je n’ai de cesse de leur répéter qu’ils doivent toujours donner l’exemple, qu’ils ne doivent jamais répondre à la provocation.”

Sa devise en cela est toute trouvée : “Il n’y a pas de mauvais élément, il n’y a qu’un mauvais chef.”
La BMPJ des Eucalyptus, vu sa proximité de Larbaâ, un important fief de l’AIS, a hérité d’un lourd dossier : la gestion des repentis. Un service spécial a été créé pour gérer les terroristes, et en particulier les amnistiés, et ce, depuis la promulgation de la loi sur la rahma sous Zeroual. Un fichier opérationnel est régulièrement actualisé à cet effet. “Nous sommes, entre autres, chargés du suivi des repentis, de l’assainissement de leur situation administrative, de leur sécurité. Ils ont réussi leur réintégration. Certains font du commerce sur la place publique et personne ne leur cherche des noises”, dit le commissaire. Fait significatif : tous les policiers que nous avons rencontrés, bien qu’ils aient vécu les pires affres au paroxysme de la folie meurtrière terroriste, ne nous ont pas paru gâtés ou aigris par ces années de braise, et, paradoxalement, ne gardent quasiment pas de rancune pour leurs ennemis d’hier. D’ailleurs, ils se gardent de trop fouiner dans le passé criminel des repentis. Le chef de la sûreté de daïra de Baraki insiste de son côté, sur la main tendue de la police vers cette catégorie : “Nous leur avons rendu beaucoup de services. Nous les traitons comme les autres citoyens, voire mieux puisque nous œuvrons à leur régler toute sorte de problèmes, à assainir leur situation administrative. Nous avons même essayé de leur trouver du travail.” Ne dit-on pas que l’oisiveté est mère de tous les vices ? Et l’on s’imagine de quoi serait capable un homme coupé de la société, livré à la misère, et n’ayant d’autre terreau que la haine.

Des repentis de Jijel à Cherarba
Il nous a été signalé, en l’occurrence, un important “arrivage” de repentis depuis la promulgation de la loi sur la concorde civile ; des repentis venus essentiellement de Jijel. “Ils ne voulaient pas éveiller de vieilles rancœurs, alors, ils sont venus s’installer ici. Ils ont construit des baraques à Cherarba et vivent un peu à l’écart des gens”, affirme le commissaire N.
Dans le bureau des archives est rassemblée une précieuse et minutieuse base de données sur toutes les formes de criminalité et de délinquance qui sévissent dans la région. Sur une liste, on peut voir les noms des terroristes recherchés, et qui sont au nombre de 45. Sur une autre, celle des terroristes graciés ou élargis, et qui compte 169 noms. Dans le bureau du chef des groupes opérationnels, on peut voir placardées sur un tableau les photos de 37 terroristes en activité à l’échelle nationale, tous du GSPC. “Ces terroristes activent sur le territoire national. Dans les briefings, j’expose ces photos pour que mes hommes les mémorisent. Certains noms reviennent plusieurs fois, avec des photos récentes”, explique l’adjudant-chef S. Le commissaire N. précise pour sa part qu’on aurait tort de croire qu’il y a 40 ou 45 terroristes recherchés. “En fait, il faudrait toujours faire la différence entre ceux qui sont abattus, ceux qui se sont rendus et ceux qui sont encore en activité. Sur l’ensemble des terroristes portés à notre niveau comme recherchés, il y en a à peine une dizaine qui est réellement en activité”. Avant de faire remarquer : “L’un des problèmes qui se posent constamment avec les repentis est qu’ils sont encore déclarés comme recherchés, ce qui leur cause des ennuis s’ils doivent se déplacer. Ils ne peuvent même pas aller jusqu’à Oran, encore moins à l’étranger. Nous envoyons sans cesse des télégrammes pour dire qu’untel ou untel s’est rendu et qu’il est sous notre contrôle.”

Des terroristes à leurs familles
Sur le tableau des terroristes recherchés, certaines photos sont frappées d’un trait rouge, avec la mention “AB” : ce sont les terroristes abattus. C’est le cas, notamment, du dénommé Azizi Mohamed, éliminé à Chéraga. Il serait le chef de la “Serria El Hourra”, principal groupe affilié au GSPC et activant dans l’Algérois. “Le GSPC a été très affaibli à Alger. Depuis que Azizi Mohamed a été abattu, le groupe d’Alger est déstabilisé. Il va lui falloir du temps pour désigner un chef”, affirme le commissaire. De l’arrivée de nouveaux repentis, rien à signaler. La BMPJ des Eucalyptus garde toutefois un contact étroit avec les familles des terroristes. “Les familles sont le meilleur relais pour arriver aux terroristes dans les maquis et pour essayer de les convaincre de se rendre. Malheureusement, la plupart du temps, elles nous disent qu’elles n’ont pas vu leurs fils depuis des lustres”. Maintenant que l’on parle à tout va de “modernisation de l’ANP”, le corps de la police semble ne pas vouloir être en reste de ce relookage. “Aujourd’hui, il y a de nouvelles formes de criminalité qui sont apparues et nous sommes condamnés à y coller”, dit le chef de la BMPJ des Eucalyptus.

Notre interlocuteur se félicite de ce que, “depuis les événements du 11 septembre, on s’intéresse de plus en plus à l’expérience algérienne. Récemment, une délégation de la police algérienne a été reçue aux États-Unis. Les Américains ont été charmés par le savoir-faire de nos hommes. Ils tiennent la police algérienne pour la plus évoluée du monde arabe”.

Par Mustapha Benfodil, Liberté