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Divorce en Algérie : La preuve au féminin

mercredi 3 novembre 2004, par Hassiba

En Algérie, les islamistes s’opposent à la révision du code de la famille au motif qu’elle fait encourir à la cellule familiale un risque d’éclatement. Pourtant, la réalité montre que c’est l’application de la loi de 1984 qui menace la survie du couple et par là même le devenir de sa descendance.

Que le divorce survienne comme un malheur ou comme une délivrance, il s’accompagne toujours de grandes souffrances pour la femme. Rendue extrêmement vulnérable par un code de la famille qui ne lui accorde que des droits accessoires, elle incarne souvent, malgré elle, le rôle de victime expiatoire de son mari. Un mari qui ne s’embarrasse pas d’user et même d’abuser des larges pouvoirs que lui confère la loi de 1984 en matière de répudiation. Selon les juristes que nous avons sollicités, c’est cette facilité donnée à l’homme de rompre son union matrimoniale sans devoir rendre des comptes devant le tribunal (le juge est obligé par la loi d’accéder à la requête du mari quels que soient les motifs invoqués), qui favorise l’augmentation du nombre de divorces en Algérie.

Une étude récente (2003), menée par le Centre national d’études et d’analyses pour la planification (Ceneap) pour le compte du ministère délégué auprès du Chef du gouvernement chargé de la Famille, révèle que plus de 25 000 divorces sont enregistrés chaque année par les greffes des tribunaux à l’échelle nationale. Alger vient en tête du peloton avec pas moins de 3 000 divorces prononcés annuellement. Un peu plus de 38% des dissolutions de mariage (au niveau national) sont consentis à l’amiable (9 990 affaires traitées de la sorte en 2002), mais près de 50% sont inscrits à l’initiative des maris.

Sur les 25 628 procédures de divorce, abouties en 2002, plus de 12 240 ont été engagées par les époux. Souvent, le motif est d’une futilité édifiante : la désobéissance de la conjointe. “Le code de la famille astreint l’épouse à l’obéissance. Si son mari croit voir une entorse à cette règle, il est prompt à prononcer par trois fois la fameuse phrase : “Je divorce de toi”. C’est suffisant pour rompre les liens du mariage”, affirme Fella, une avocate bénévole au centre d’écoute de SOS Femmes en détresse. Elle raconte qu’elle avait reçu, une fois, l’appel d’une femme désespérée qui venait d’être répudiée. “Elle a passé la journée à la plage, avec sa fille et des membres de sa belle-famille.

À son retour, son mari lui a reproché d’être sortie de la maison sans le consulter. Il l’a répudiée.” La silhouette frêle, flottant dans un hidjab marron foncé, Fatiha, approchant la cinquantaine, est passée au siège de SOS Femmes en détresse quêter une aide financière. Il y a quatorze ans, son époux a rompu la relation conjugale, car elle souffrait d’une plaie mal cicatrisée au bas-ventre et surtout d’une incontinence urinaire permanente (elle est dépendante d’une poche pour stomisés). Fatiha s’est réfugiée, avec ses trois filles, dans un bidonville à Oued-Semar, subsistant grâce à la charité du voisinage et l’assistance des associations caritatives. “À chaque rentrée scolaire, je frappe à mille portes pour que mes filles ne manquent de rien ou presque.” L’aînée a préféré retourner vivre chez son père. Pourtant, il est à l’origine de l’indigence qu’elle a fuie. Il n’a jamais versé de pension alimentaire à son ex-épouse.

Une procédure interminable
“La procédure de divorce est très longue. Elle peut s’étendre sur deux ans ou plus. Au bout, il est difficile de contraindre le mari à honorer ses obligations envers sa famille”, explique Fella.

Trois mois sont nécessaires pour le prononcé du jugement, quand la requête est introduite par l’époux. Si le mari omet de donner correctement son adresse, la notification du jugement devient un véritable casse-tête chinois.
Il est, par conséquent, quasiment impossible à l’ex-épouse, qui obtient la garde des enfants, de prétendre bénéficier de la pension alimentaire. Quant au logement conjugal, elle ne peut même pas en rêver, la loi de 1984, se souciant peu de son devenir et celui de ses enfants, ne le lui accorde pas. “Dès que la procédure de divorce est engagée, la femme subit un conflit psychologique intense, surtout si elle n’a pas de revenu fixe”, souligne Ismahane, psychologue - également bénévole au centre d’écoute SOS Femmes en détresse.

Elle soutient que la famille de l’épouse refuse souvent de recueillir les enfants avec leur mère. “Les parents estiment qu’il ne leur incombe pas d’entretenir matériellement les enfants d’un homme qui a fait le malheur de leur fille et qui a, de surcroît, le droit de son côté.” Renonçant rarement à leur progéniture, les femmes divorcées se retrouvent à la rue, ou pour les plus chanceuses dans des gîtes de fortune (bidonvilles, caves d’immeuble...). Le sort s’acharne plus cruellement sur celles qui commettent “l’affront” de quitter leur mari. Elles devront alors faire face aux griefs acrimonieux des proches et aux médisances du voisinage.

Au regard de la société algérienne, les femmes sont condamnées à endurer les malheurs, sans se plaindre, sans se révolter, encore moins agir. Le code de la famille reflète cette mentalité puisque la femme n’a le droit de demander à son tuteur, c’est-à-dire le juge, de la divorcer que dans cinq cas, clairement définis par la loi. Battre sa femme n’est pas considéré comme un délit, mais plutôt comme un signe de virilité, de l’exercice de l’autorité de l’époux sur celle qui lui doit obéissance.

La violence conjugale n’est donc retenue comme une cause valable de dissolution du mariage que si elle fait encourir un danger réel sur la vie de la victime. “Dans la réalité, il est très difficile et extrêmement compliqué de prouver la véracité des faits qui justifieraient le divorce. La première chose que les avocats demandent à leurs clientes est de fournir des certificats médicaux pour coups et blessures volontaires (quand c’est le cas). Nous intentons d’abord une action en pénal. C’est sur la base du jugement qu’il sera loisible d’introduire une requête de divorce”, témoigne Me Adnane Bouchaïb.

8 à 10% des divorces à l’initiative des femmes
La démarche est si complexe qu’uniquement 8 à 10% des divorces, prononcés de l’an 2000 à 2002, sont inscrits à l’actif des épouses (2 295 en 2000, près de 2 315 en 2001 et un peu plus de 2 650 en 2002). Moins de 3% des femmes parviennent à acheter leur divorce. 778 cas de divorce par “khol’a” ont été prononcés en 2002. Une hausse légère est alors observée par rapport aux deux années précédentes, durant lesquelles ont été enregistrés respectivement 378 et 405 divorces achetés.

Latifa appartient à la catégorie des femmes qui ont été contraintes de payer pour reprendre leur liberté.
Aujourd’hui, elle est traumatisée par le long combat qu’elle a mené pour restaurer son statut de célibataire. Mariée, contre son gré à l’âge de 19 ans, elle quitte le domicile conjugal six mois après les noces, enceinte de son unique enfant. “Je ne pouvais pas supporter mon mari. Il était gentil, mais très soumis à sa mère. C’était elle qui décidait de tout. Son ingérence était encore plus difficile à supporter, car elle était permanente. Nous habitions chez elle.”

Parce qu’elle a pris l’initiative de rompre avec son mari, Latifa n’a rien pu emporter de ses affaires. Elle a accouché chez ses parents. Son fils avait neuf ans quand elle a réussi enfin à divorcer. “À chaque fois que je gagnais le procès, mon ex-mari introduisait un pourvoi en cassation. Entre un jugement et un autre, deux à trois années s’écoulaient.” Dès que Latifa croyait entrevoir le bout du tunnel, son cauchemar devenait plus grand. “Je pleurais tout mon soûl au retour du tribunal. J’avais l’impression de ne jamais pouvoir retrouver ma liberté”. Ce n’était pas tant le manque de perspectives d’une relationde couple avec un autre homme qui inquiétait la jeune femme. Elle se savait condamnée à vivre pour et à travers son fils. Mais elle avait à cœur de briser tout lien légal avec son ex-mari. Celui-là même qui ne s’est pas gêné de se remarier, quelques mois à peine, après le départ de sa première épouse.

Un statut honteux
“C’est sa mère qui l’a marié rapidement. C’est elle aussi qui l’a incité à ne pas m’accorder le divorce. Une manière à elle de se venger de moi.” À l’âge de 29 ans, Latifa est parvenue enfin à acheter son divorce. C’était en 1990. Elle ne s’est pas remariée. Elle porte le statut de divorcée comme le sceau de la honte. “C’est encore plus terrible pour moi parce que j’ai la réputation d’une femme qui a brisé son bonheur de ses propres mains. En réalité, je ne regrette rien. Mon fils est le cadeau que la vie m’a offert. Cela me suffit”.

Samia a choisi aussi de rompre son mariage le jour où son mari a été condamné à dix ans de détention pour une affaire de faux et usage de faux. “J’ai, en réalité, divorcé à cause de mes beaux-parents qui m’ont mise dehors, avec mes enfants, en me disant de revenir quand mon mari sortira de prison”. Samia a épousé, au début des années 90, l’homme dont elle s’était follement éprise au lycée. Elle a abandonné l’option des études supérieures, pour lui. Elle a, néanmoins, vite déchanté tant le quotidien avec la belle-famille était difficile. Pendant les sept ans de mariage, elle s’est fait violence pour supporter les méchancetés de sa belle-mère et de sa belle-sœur, mais surtout la lâcheté de son mari qui ne prenait pas sa défense. “Je ne croyais pas être capable de tant de patience et d’endurance. Je l’ai fait pour mes enfants et pour ne pas donner raison à mes parents qui s’étaient opposés à mon mariage”.

C’est pourtant au F3 de son père qu’elle est revenue habiter avec ses deux filles. “À 28 ans, je n’avais aucune qualification professionnelle. Toutes mes amies du collège et du lycée avaient obtenu d’abord des diplômes universitaires avant de fonder une famille. J’aurai dû suivre cet ordre des priorités”, regrette Samia. Latifa et Samia ont des caractères bien trempés, qui les ont aidées à prendre en main, bon gré mal gré, leur destinée. “Le mariage n’est pas synonyme de bonheur. La vie ne s’arrête pas après un divorce, mais elle devient beaucoup plus dure dans une société comme la nôtre”, philosophe Latifa. Les mentalités figées tolèrent, en effet, mal le célibat de la femme, encore moins son divorce. Elle devient le paria à cacher, à étouffer. Qu’elle ne serve surtout pas d’exemple aux épouses qui devraient continuer à endurer en silence les affres d’un mariage malheureux. Pourtant, le divorce s’avère parfois un mal nécessaire.

Les incohérences du code de la famille
Le code de la famille, promulgué au temps du parti unique, il y a exactement vingt ans, illustre l’inégalité entre les deux sexes - ou le principe de la sous-citoyenneté de l’Algérienne condamnée à être mineure à vie, particulièrement dans le chapitre consacré aux divorces. Les hommes de loi s’accordent à dire que la facilité avec laquelle le mari peut dissoudre son mariage engendre des drames familiaux difficiles, voire impossibles à surmonter. “Le mari a toute latitude de répudier sa femme verbalement. Souvent, il agit de la sorte sous l’effet de la colère. Même s’il regrette son acte a posteriori, le divorce est bel et bien consommé”, explique Fella Bourahmani, juriste.

Le juge ne jouit d’aucun pouvoir de rejeter la demande de divorce, introduite par l’époux, quelle que soit la faiblesse des arguments. Dans le cas d’un divorce abusif dans la démarche, le magistrat peut exiger, pour préjudice moral subi par la conjointe, une réparation matérielle (une somme d’argent pouvant atteindre 100 000 dinars). Une compensation rarement honorée.

En général, les maris redoublent d’ingéniosité pour ne pas tomber sous le sens d’un divorce abusif (lire interview de Me Bouchaïb). Si elle désire rompre les liens de son mariage, la femme doit, par contre, prouver l’opportunité de la requête déposée auprès du juge, son tuteur. Il est seul apte à la faire divorcer (nuance entre talaq et tatliq), selon les cas définis dans le code de la famille (disparition de son mari pendant plus de quatre ans, abandon de famille pendant au moins deux mois sans excuse valable et sans paiement d’une pension, son emprisonnement pour une durée excédant une année, séparation des corps durant quatre mois, infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage, remariage de l’époux sans le consentement de sa première conjointe).

Commence alors, pour l’épouse et son avocat, le parcours du combattant en vue de faire aboutir une procédure longue et complexe. Une fois le divorce prononcé, c’est un autre combat qui guette la femme : garantir le versement de la pension alimentaire (la dérisoire somme de 1 500 dinars par enfant) et se trouver un toit. L’un des paradoxes du code de la famille réside dans le fait qu’il confie systématiquement la garde des enfants à la mère, mais accorde les biens du couple, dont le logement conjugal, au père. Une autre aberration est retrouvée dans la disposition qui met l’autorité parentale sous la responsabilité exclusive du père. Ainsi, la femme divorcée est astreinte, par la force de la loi, à subvenir aux besoins matériels de ses enfants, mais doit requérir l’autorisation de son ex-époux pour leur scolarisation, leur hospitalisation, leur départ éventuel vers l’étranger ou simplement leur ouvrir un compte épargne.

Les dispositions injustes envers la femme, contenues dans le code de la famille en vigueur, sont multiples. Le gouvernement Ouyahia présentera, bientôt devant le Parlement un projet de révision, qui devra corriger quelques erreurs commises par les législateurs. Ainsi, il est prévu, entre autres, de faire obligation au père “d’assurer (...) à la bénéficiaire du droit de garde un logement décent ou à défaut son loyer. La femme, ayant la garde, est maintenue dans le domicile conjugal jusqu’à l’exécution de la décision judiciaire relative au logement” (article 72 du projet de révision de la loi). L’article 87 amendé confie l’exercice de la tutelle sur les enfants mineurs au parent qui en a la garde.

Les causes, qui permettent à la femme de demander le divorce, sont élargies de cinq à dix, incluant le désaccord persistant ; la violation des clauses stipulées dans le contrat de mariage et le préjudice légalement reconnu. Les amendements au code de la famille, proposés par le gouvernement, constituent une avancée dans la conquête des droits de la femme. Ils s’avèrent, toutefois, insuffisants à protéger l’épouse des excès potentiels de son conjoint. La répudiation, tant de fois dénoncée par les défenseurs des droits humains, est maintenue ainsi que la polygamie et le mariage religieux (sans acte civil).

Par Souhila Hammadi, Liberté