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Embuscade meurtrière à Béjaïa

samedi 5 juin 2004, par Hassiba

Les habitants de Béjaïa sont encore sous le choc de l’attentat sanglant qui a ciblé un convoi de trois camions militaires et deux minibus de la gendarmerie mercredi dernier dans la commune de Toudja (40 km à l’ouest de Béjaïa), précisément sur le tronçon de route qui surplombe la plage de Oued Dass. Un attentat comme n’en a jamais connu la région.

Dix militaires y ont laissé leur vie et plus d’une vingtaine d’autres éléments de l’ANP et du Darak (nos sources parlent de dix gendarmes) ont été blessés. Retour sur les lieux de l’embuscade meurtrière. Nous prenons la route vers Oued Dass moins de 24 heures après l’attentat. Un lieu prisé annuellement par des milliers d’estivants, une plage de 1200 m qui a de tout temps constitué un havre de paix. Ce qui s’est passé mercredi dernier a perturbé sa quiétude comme a été le cas trois mois plus tôt pour sa voisine Tighremt que nous traversons. C’est ici que le 12 février dernier sept gendarmes avaient été assassinés et affreusement mutilés par un groupe terroriste.

Un acte qu’a vite revendiqué, pour rappel, le GSPC. Le souvenir demeure toujours dans les esprits. Mon compagnon me propose de dissimuler ma carte professionnelle. L’angoisse est légitime et partagée. La route est pratiquement déserte et ces interminables virages peuvent bien cacher de mauvaises surprises. Dans cette région, la liaison téléphonique est du domaine de l’impossible. La raison ? Aucun relais téléphonique n’est installé. Nous sommes à Oued Dass au bout de 40 minutes de trajet. Silencieux, le village tente d’accuser le coup. Une journée après l’ouverture officielle de la saison estivale, pas une ombre d’estivant sur la plage.

Panique

Les baigneurs, dont des familles qui ont installé la veille leurs parasols, ont quitté les lieux dans la panique et la frayeur. Quelques mètres plus loin, nous tombons sur un barrage de la gendarmerie. Un imposant dispositif des forces combinées de la gendarmerie, de l’ANP et des Patriotes est stationné sur les deux côtés de la RN24 qui mène vers Azeffoun (Tizi Ouzou). Un hélicoptère survole les lieux. La région est passée au peigne fin. Le ratissage est engagé sur les hauteurs des collines rocheuses d’où ont attaqué les terroristes et dans les forêts de Beni Ksila et d’Akfadou vers où se seraient repliés les terroristes. La veille, le convoi militaire ciblé revenait d’une opération similaire du côté du massif forestier de Beni Ksila. Du bilan des deux ratissages, nous ne saurons rien. « Avancez, c’est un peu plus loin », nous oriente un militaire à qui nous déclinons notre identité.

Sur les lieux de l’embuscade, un camion militaire pointe du nez dans un ravin. « On a tiré en premier sur le chauffeur », explique une source. « ll a sauté sur une bombe », rapporte une autre. Selon des sources hospitalières, quatre corps de militaires ont été retirés calcinés du camion qui a pris feu après la forte déflagration qui a eu lieu au début de l’embuscade, « Ils ont dû manipuler la bombe à distance puisque, un peu plus tôt, des automobilistes ont pu passer sans problèmes » explique un citoyen, qui a assisté de loin à l’attaque et qui soutient, en se prévalant de son expérience au service militaire, que les terroristes étaient lourdement armés : « A entendre les coups de feu, on croirait qu’ils étaient armés de RPG 7 (lance-roquettes) et de FMPK (fusils-mitrailleurs). » « L’attaque a duré plus de deux heures et tous les couples, familles et autres baigneurs qui se trouvaient sur la plage ont pu prendre la fuite au moment où les balles perdues les menaçaient vraiment. Nous avons dû abandonner nos cannes à pêche et nous abriter sous les rochers », ajoute notre interlocuteur, qui mentionne que deux hélicoptères ont survolé les lieux aussitôt après cette attaque. « Ils seraient quelque 60 éléments », estime un de ses compagnons. Tous étaient sur le point de quitter la plage de Oued Dass. « Nous avons vu des barbus en tenue militaire et armés de kalachnikovs. Ils seraient au moins une quarantaine », témoigne un jeune étudiant, qui a traversé les lieux en voiture avec deux de ses amis presque au moment du guet-apens.

Méfiance

A un virage plus loin, nous rencontrons deux habitants de la région. Méfiants, ils ont hésité un instant à répondre à nos questions. « Je n’ai rien vu, moi j’étais là-haut au village de Taguelmimt », nous dit l’un d’eux. Comme pour se défendre d’un reproche de connivence avec les terroristes que nous n’avons pas émis, il ajoute : « Si nous savions que ça allait se passer, vous pensez que nous aurions laissé nos enfants venir jouer et paître les chèvres ici ? » « L’attaque a commencé vers 16 h et les échanges de tirs ont duré deux heures. Beaucoup de citoyens apeurés ont dû s’abriter dans cette cabane », rapporte un autre citoyen qu’un gendarme est venu interroger avant nous. Nous prenons congé de nos deux interlocuteurs qui se déclarent pessimistes quant à la reprise rapide de l’activité touristique à Oued Dass. La présente saison estivale est-elle sérieusement compromise ? Réponse peut-être au bout de ce tronçon de route tortueux. Rangée sur le bas-côté de la route, la présence d’une Kangoo sur des lieux investis par une armada de militaires suscite notre curiosité. Nous y trouvons une famille en pique-nique. La seule dans tous les parages.

Par Kamel Mejdoub, El Watan