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Entretien avec Abdelkader Malki de l’UGTA

jeudi 10 mars 2005, par Stanislas

Dans une Algérie qui a entériné depuis longtemps le principe du pluralisme dans tout les domaines, l’UGTA est le syndicat unique convié à la table des négociations lorsqu’on aborde les questions qui touchent au monde du travail.

De cet entretien avec Abdelkader Malki on comprend que tout converge à faire de l’UGTA un syndicat incontournable, au moins à cause de ses choix politiques. A peine 24h après la dernière tripartite où le patronat était représenté par pas moins de quatre organisations alors que les travailleurs n’avaient pour porte-parole que l’UGTA, Malki soutient encore que l’UGTA n’est pas contre le pluralisme syndical. Pas contre, mais jusqu’où ?

Les Débats : On pose de plus en plus le problème des atteintes aux libertés syndicales et on vous reproche, à vous UGTA, d’accaparer la place d’unique interlocuteur des pouvoirs publics et vous faites tout pour le demeurer...

Abdelkader Malki : En tant que Centrale syndicale, nous ne sommes pas contre le pluralisme syndical. Nous ne sommes pas non plus contre le pluralisme politique. C’est une question tranchée par la Constitution. Lorsque vous évoquez nos relations avec l’Etat et le gouvernement, nous sommes un partenaire privilégié peut-être parce que nous sommes tout simplement la plus grande Centrale syndicale. Nous allons avoir cinquante ans l’année prochaine. Nous avons fait notre devoir en tant que travailleurs et syndicalistes durant la Guerre de Libération nationale et avec ce passé, la Centrale syndicale a toujours essayé de jouer son rôle, dans le cadre de ses statuts et de son règlement intérieur.

Vous dites que vous n’êtes pas contre le pluralisme syndical, mais irez-vous jusqu’à militer pour faire admettre d’autres syndicats aux négociations tripartites et bipartites ?

A mon avis, même le gouvernement n’est pas contre le pluralisme syndical. Il y a de nombreux syndicats qui sont reconnus. Je pense qu’il y a une soixantaine d’organisations syndicales reconnues. Je considère que ce n’est pas le problème de la reconnaissance des syndicats, mais plutôt de leur place. Un syndicat ne peut avoir sa place qu’en fonction de ce qu’il a comme adhérents, de ce qu’il propose comme solutions au règlement des problèmes des travailleurs et de sa disponibilité à discuter des problèmes que rencontre le monde du travail.

Dans les négociations que vous menez, on vous reproche de discuter de secteurs où vous n’êtes plus représentatifs. On peut citer à ce propos la Fonction publique ou l’université...

L’UGTA est l’organisation la plus largement représentée dans le monde du travail, même dans la Fonction publique. Il ne faut que l’on vous donne des chiffres erronés...

C’est en tous les cas l’argument du SNAPAP...

C’est peut-être leur argument, mais pour nous il n’est pas convainquant. Je pense que l’UGTA reste l’organisation la plus représentative, même au niveau de l’enseignement. Certes, de temps en temps, vous voyez des mouvements de grève, mais c’est beaucoup plus des protestations limitées géographiquement. Cela concerne certaines régions, certains corps moins que l’ensemble des travailleurs d’un secteur ou que tout le pays. Pour nous, ceux qui s’expriment ce sont beaucoup plus des syndicats de branche, de corporation, mais ce ne sont en aucun cas des syndicats nationaux. Nous, nous sommes à Tindouf, Tamanrasset, à Tébessa, Tlemcen, Alger... nous sommes dans toutes les wilayas. C’est cela, la différence entre l’UGTA et les autres syndicats.

Je reviens à ma question de tout à l’heure. Vous n’avez aucun problème avec le pluralisme syndical, mais en même temps, vous êtes prêts à dire au gouvernement que sur certaines questions, il est préférable d’amener d’autres syndicats à la table des négociations avec le gouvernement...

Je vais être franc avec vous : jusqu’à maintenant, nous n’avons jamais travaillé avec d’autres syndicats. Nous respectons le pluralisme syndical, mais à ce jour, nous ne nous sommes jamais réunis avec un autre syndicat pour discuter des problèmes des travailleurs. Chaque syndicat n’a qu’à intervenir auprès de qui de droit pour représenter ses travailleurs. Peut-être, dans quelques années, nous associerons d’autres syndicats à nos démarches, mais pas pour le moment.

Pourtant, il y a parfois des intersyndicales au niveau de certaines administrations ou établissements scolaires, par exemple...

Peut-être au niveau de la base, mais pas au niveau de la direction nationale. Nous n’avons pas de problèmes pour défendre seuls les travailleurs. Que ce soient les unions de wilayas au niveau local, que ce soient les fédérations au niveau des ministères ou au niveau de la Centrale par rapport au gouvernement, nous n’avons pas pour le moment décidé d’associer notre syndicat à une autre organisation pour défendre les intérêts des travailleurs.

Mais ce n’est pas exclu, dans l’avenir...

Cela pourrait être possible dans quelques années, si ces syndicats prennent réellement leur place.

C’est cela, la différence entre nous et les autres. Nous, nous prenons beaucoup en compte la stabilité du pays et nous évitons au maximum d’aller vers des grèves. Nous préférons discuter dans le cadre de la concertation ; il y a toujours une disponibilité de notre part et nous rencontrons aussi une disponibilité de la part des membres du gouvernement et particulièrement de la part du chef du gouvernement. Pour le moment, nous évitons au maximum de perturber les secteurs que nous estimons stratégiques, comme l’enseignement, mais nous défendons les travailleurs dans un cadre organisé, bien huilé et où nous n’avons pas de problèmes. Lorsqu’on pose des problèmes, nous optons pour des négociations. Parfois cela se règle tout de suite, parfois cela est reporté.

Est-ce que vous ne seriez pas en train de changer complètement définition de la lutte syndicale ?

Nous n’avons pas à redéfinir quoi que ce soit. Pour nous, les syndicats s’imposent en fonction de leur force de frappe et de leur représentativité. Lorsqu’on veut obtenir quelque chose, on arrête et lorsqu’on arrête c’est tout le pays qui s’arrête. Nous n’avons pas de problèmes pour aller vers une grève pour montrer notre force. Lorsque ce n’est pas nécessaire, on évite de le faire et on évitera de le faire même à l’avenir. L’Algérie a besoin de stabilité. Nous allons entrer dans l’OMC, nous avons signé un accord d’association avec l’Union européenne, nous allons vers l’ouverture, le secteur privé national et étranger va prendre beaucoup plus de place et nous voulons encourager cette dynamique qui est en train de se mettre ne place pour relancer l’économie et stabiliser le pays. Nous voulons participer autant dans le programme du président de la République que dans celui du chef du gouvernement pour stabiliser le pays, tout en défendant les travailleurs et cela, dans le cadre d’une politique de dialogue et de concertation.

Alors, justement, parlons politique. L’UGTA s’est prononcée, lors des dernières élections, pour le soutien au Président sortant ; vous-même, responsable au sein de la Centrale syndicale, vous êtes un peu plus qu’un simple militant de base au RND, est-ce que vous ne croyez pas que l’UGTA fait plus de la politique que de l’action syndicale ?

Nous n’avons jamais nié que l’UGTA faisait les deux, du syndicalisme et de la politique. Lors de notre dernier congrès, nous avons décidé que tout est politique. Et tout ce qui se fait dans le pays est politique. Les problèmes économiques sont politiques et les problèmes sociaux sont politiques ! Notre place, en tant que Centrale syndicale, est politique. Mais nous faisons la différence entre l’action politique et le syndicat qui défend les intérêts des travailleurs dans le cadre d’une politique nationale.

Mais vous-même, comment faites-vous la différence lorsque vous faites du syndicalisme et lorsque vous faites de la politique ? Comment négocier au nom de l’UGTA devant un chef du gouvernement néanmoins secrétaire général du parti auquel vous adhérez ?

Lorsqu’on veut faire de la politique, on a un cadre et lorsqu’on veut faire du syndicalisme, on en a un autre. Nous savons faire la différence entre le travail politique et le travail syndical.

Mais vu de l’extérieur, on a du mal à le comprendre...

Il y a des syndicalistes qui sont du RND, du FLN ou du PT. Mais vous savez, dans tous les pays du monde, c’est comme cela. Vous allez en France, vous trouverez des responsables de la CGT affiliés à des partis politiques. En Espagne, en Italie... Nous, nous faisons la même chose. Nous essayons de défendre les intérêts des travailleurs conformément à nos statuts. Nous défendons le pouvoir d’achat, la justice sociale et nous veillons aussi à la stabilité sociale parce que cela compte beaucoup dans un pays qui essaye d’émerger d’une situation difficile, notamment avec le terrorisme . Nous pensons, en tant que Centrale syndicale, que c’est notre devoir de contribuer à la paix sociale.

Donc le vocable de “pompier social” vous convient dès lors que vous vous sentez proche du gouvernement pour lui prêter main-forte...

Nous ne sommes pas un pompier social. Nous sommes un syndicat qui essaye de faire son travail sans faire trop attention à ce que l’on dit de lui. Il y a un environnement dans lequel nous nous inscrivons. C’est celui des partis politiques, celui de la presse, des associations. Nous essayons de faire notre travail, je ne dirai pas sans attacher d’importance à ce que l’on dit de nous, cela nous permet de savoir ce que les gens pensent, mais nous considérons que nous avons le devoir de défendre les intérêts des travailleurs et de participer à la stabilité pour permettre une relance économique forte et durable qui, à notre avis, devrait avoir des répercussions positives sur le monde du travail. Nous devons aller vers une économie de marché dans laquelle les travailleurs joueront un rôle et l’année 2005 sera une année d’ouverture.

Amine Esseghir, lesdebats.com