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Être “Houkouma” en Kabylie

jeudi 5 août 2004, par Hassiba

Accédant à une exigence express du mouvement contestataire des archs, Abdelaziz Bouteflika décrète la “délocalisation” des brigades de gendarmerie dans les points chauds de Kabylie.

Depuis, la situation a connu quelques améliorations, mais les gendarmes sont toujours sous embargo.

État des lieux.
Pour les vastes territoires que nous avons parcourus, les plaques “Darak-El-Watani” arborées au niveau des barrages de contrôle routier se comptent sur les doigts d’une seule main en Kabylie. En prenant l’autoroute Alger-Tizi, le premier s’annonce à Tadmaït. Passé Draâ-Ben-Khedda, les barrages se comptent au compte-gouttes. Sur la route de Boghni, un barrage mixte ANP-Gendarmerie nationale apparaît au carrefour séparant Boghni et Draâ El-Mizan. Pour la Haute-Kabylie, le seul que nous ayons croisé est également un barrage mixte à hauteur de Thakhoukht. En Kabylie maritime, nous en avons croisé un à la sortie d’Aghrib, sur la route d’Azzeffoun, puis plus rien jusqu’à Béni K’sila. Sur le versant de la Soummam, nous avons constaté que la brigade d’Ifri-Ouzellaguène a été carrément supprimée et remplacée par un détachement de garde communale. À notre surprise, celle de Tazmalt en revanche était opérationnelle et il y avait même un barrage de la gendarmerie en plein centre-ville. Les gendarmes étaient décontractés et ne semblaient pas être mis en quarantaine comme dans d’autres brigades.

Dans des villages entiers, là où les brigades n’étaient pas carrément fermées, les gendarmes restaient cloîtrés chez eux et ne sortaient pas. C’est ce que nous avons constaté à Béni Yenni, par exemple, ainsi qu’à Thassafth Ougamoune, le village de Amirouche (40 km de Tizi-Ouzou). À Fréha, l’école de la gendarmerie a été fermée et un escadron occupait la caserne dont les murs et les portails témoignent de la violence des attaques qui se sont abattues sur cette unité. Plus de familles de gendarmes non plus dans la cité en face. Dans sa guérite, une sentinelle était s’étonna de nous voir débarquer. Le sergent qui vient à notre rencontre était lui aussi sur ses gardes et déclare du bout des lèvres que la situation était calme et les relations avec la population “ghaya”, dans un fort accent oranais. Il était aisé de voir qu’il était difficile à ces hommes de se montrer un peu plus loquaces. Tous se sentaient obligés de préciser qu’ils étaient fraîchement mutés et qu’ils n’avaient pas vécu les événements de Kabylie, ce qui les exempterait, pensaient-ils, de s’expliquer sur un épisode manifestement devenue taboue à leurs yeux.

Méfiance et suspicion
Autant il nous a été facile d’entrer dans les commissariats de police et discuter avec les responsables de la Sûreté urbaine, autant la tâche était difficile avec les gendarmes. Rares seront ceux qui prendront la liberté de nous “honorer” d’une petite déclaration sans en référer au hiératique règlement et à la nécessité de passer par le groupement de gendarmerie à Tizi-Ouzou (représenté, en réalité, par les GIR (Groupes d’intervention rapide). Nous nous sommes d’ailleurs rendu au siège dudit groupement situé à la sortie de Tizi-Ouzou, rien n’y fit. “Il n’y a personne pour vous recevoir”, nous dit-on.

À Draâ Ben-Khadda, nous avons eu la chance de rencontrer un sergent-chef qui a eu la gentillesse de nous livrer ses sentiments en toute amitié et en toute simplicité, même si ses camarades faisaient montre d’une méfiance toute épidermique. Notre interlocuteur, tout en soulignant que les rapports avec la population ont connu une certaine amélioration, n’en fait pas moins état d’une certaine animosité, une certaine prudence. “Nous ne sortons jamais en uniforme”, dit-il. C’est la croix et la bannière pour aller chercher une tasse de café à la cafétéria du coin. “On sort en civil”, précise notre interlocuteur, avant d’ajouter : “Nous auditionnons mais nous n’effectuons pas d’arrestations. C’est la police qui s’en charge.” En revanche, pour les constats et tout ce qui a trait à la sécurité routière, les gendarmes sont opérationnels. Le sergent relève qu’il y a “une certaine anarchie depuis que les gendarmes se sont repliés. La police est dépassée.” Notre hôte fera observer que les gendarmes sont globalement investis de trois missions : militaire, judiciaire et administrative. S’ils interviennent d’une manière plus ou moins normale pour les dernières, ils ont une marge relativement rétrécie pour tout ce qui touche aux opérations de maintien de l’ordre. Le mercredi 14 juillet, nous sommes tombés sur des émeutes à hauteur du village dit l’Étoile (ou encore Ouakour), près de Tazmalt. Des garnements dont des mioches d’à peine 11 ou 12 ans allumaient des pneus et mobilisaient des pierres pour barrer la route. Objet de la protesta : déloger des familles qui ont bénéficié de logements sociaux dans une nouvelle cité. “Nous ne voulons pas des Arabes ici”, lâche un jeune émeutier. Les gendarmes de Tazmalt n’ont pas bougé le petit doigt pour les disperser. À la brigade de Tadmaït, l’ambiance est plus détendue. Un sergent-chef nous reçoit avec un large sourire en lançant : “Je peux sortir avec vous, séance tenante, en uniforme, et prendre un café en ville dans n’importe quel coin !” Le gendarme souligne que le travail de la brigade se fait normalement. “Nous procédons à des arrestations, nos motards sillonnent les routes, le travail se fait normalement”, précise-t-il. Sur un mur du couloir trône le portrait du tristement célèbre Hassan Hattab. Abou Hamza : Wanted. De fait, les collines de Sid-Ali Bouneb où l’ex-chef du GSPC avait ses quartiers surplombent la brigade. “Pour nous, même s’il est en cavale, il est isolé”, rassure notre homme.

Le dilemme
Même si elle n’est pas à l’ordre du jour, la question du retour des brigades de gendarmerie qui ont été délocalisées ne manque pas de préoccuper les Kabyles. Amirouche, un jeune de LNI (Larba-Nath-Irathen) affirme que dans sa région, la sécurité n’est pas au beau fixe. “Il y a comme un malaise, un sentiment général d’insécurité”, dit-il. “L’État ne peut pas se retirer d’un coup comme ça. D’accord, les gendarmes ont été responsables de beaucoup de choses, et il fallait qu’ils partent. Mais ce n’est pas une raison pour que l’anarchie s’installe à la place. Des gens ont négocié je ne sais quoi sur le dos de la Kabylie. Moi, je ne fais pas de politique. Moi, je veux de la sécurité. La police est correcte mais elle ne peut pas tout faire. Il faut trouver une solution, quitte à faire appel à l’armée.” Mohamed, 54 ans, de la commune d’Iboudraren, aux confins du Djurdjura, estime que sans une bonne sécurité et un retour à l’ordre, l’investissement en Kabylie, en particulier dans le secteur touristique, ne peut pas reprendre. “En toute franchise, moi je suis pour le retour des gendarmes. On ne peut pas laisser les choses comme cela, ce n’est pas raisonnable. C’est vrai qu’avant, ils n’ont pas su se conduire avec la population, mais il faut voir maintenant comment ils te reçoivent. Ils te font comme ça. Je pense qu’il faut tourner la page. Après tout, c’est notre faute s’ils ont fait ce qu’ils ont fait. C’est nous qui en avons fait des seigneurs au lieu de dénoncer leurs exactions. Aujourd’hui, il faut tirer leçon des événements qui nous ont endeuillés pour prendre un nouveau départ.”

Lahcène Saâdi, procureur général adjoint près la cour de Tizi-Ouzou à Liberté
“La justice n’a jamais reçu l’ordre de ne pas saisir les gendarmes”
M. Lahcène Saâdi est procureur général adjoint près la cour de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, il nous apporte un éclairage sur la fonction assignée au corps de la gendarmerie dans la région.

Liberté : D’aucuns parlent du règne d’une certaine insécurité et d’une totale anarchie en Kabylie, arguant que cela serait en rapport, entre autres, avec la délocalisation des brigades. Qu’en pensez-vous ?
Lahcène Saâdi : La délocalisation des brigades a, de fait, provoqué certaines difficultés dans le rythme normal des investigations et enquêtes préliminaires qui sont de leur compétence chaque fois qu’il s’agit d’une circonscription supervisée par les services de la gendarmerie nationale. Cela se traduit donc par des dysfonctionnements en amont et en aval de l’action judiciaire. Le citoyen n’a cure des circonstances qui empêcheraient le travail des gendarmes. Pour lui, s’il y a voie de fait ou atteinte à sa propriété, il attend des services étatiques qu’ils lui obtiennent réparation, et ceux-ci ne sont pas censés lui dire on ne travaille pas. Aussi avons-nous toujours instruit pour l’ouverture d’enquêtes. Ça c’est un aspect. L’autre aspect des dysfonctionnements en aval de l’action judiciaire se présente sur le plan de l’exécution des décisions de justice dans les procès civils. Quand une ou plusieurs parties vont à la justice, il y a plusieurs phases. Il y a l’exécution à l’amiable mais le plus souvent, il y a nécessité de faire appel à la force publique. Or, la réquisition de la gendarmerie en extra-muros pose là aussi problème. Nous faisons alors toute une gymnastique pour pallier cette lacune. On charge généralement la police judiciaire de le faire. En règle générale, nous, en tant que justice, n’avons jamais pris en compte que la gendarmerie nationale soit exonérée de quoi que ce soit. Pour nous, les brigades existent et font leur travail, mais il y a des difficultés sur le terrain. De vous à moi, que le corps de la gendarmerie se retire du jour au lendemain, vous pensez que cela n’aurait pas de conséquences sur la bonne marche de la sécurité et sur le comportement socio-criminel de la région ?

Au jour d’aujourd’hui, quel est exactement le statut du corps de la gendarmerie en Kabylie ?
Les gendarmes sont saisis par le parquet et exécutent les instructions. Ils s’évertuent à faire leur travail mais c’est un travail pour ainsi dire boiteux. 70% des affaires ont d’ailleurs été retardées durant la période 2001-2003. La situation était même, à un moment donné, catastrophique. Cela dit, les gendarmes n’ont jamais refusé le travail. Même au plus fort des évènements, ils continuaient à auditionner. Ils ne peuvent pas dire non au procureur de la république. Les procureurs les saisissent officiellement en tant qu’auxiliaires de la justice. La justice, à ma connaissance, n’a jamais reçu l’ordre de ne pas saisir les gendarmes sauf exécution de jugements civils. Mais il y a une flexibilité dans la réquisition de ce corps. Judiciairement, la gendarmerie active. Si un citoyen veut se plaindre, ils le reçoivent et enregistrent sa plainte. Le procureur de la république envoie le dossier et les gendarmes auditionnent les mis en cause. Ce qui a changé, c’est que, pour des raisons objectives, les gendarmes ne se déplacent plus comme avant pour aller chercher les preuves ou interpeller les auteurs. Par contre, ils convoquent les gens et les auditionnent au sein des brigades.

Quelle est votre appréciation du fonctionnement de la justice en Kabylie en ce moment ?
La justice a toujours continué de fonctionner dans la wilaya de Tizi Ouzou qui compte huit tribunaux. 80% des jugements rendus en Kabylie ont été exécutés, et ce, avec l’aide des huissiers de justice. Je peux dire qu’on est avec ce chiffre à la même hauteur que n’importe quelle cour qui n’a pas connu de problèmes.

Patrouille nocturne avec la police judiciaire
Tizi by night : la ronde des officiers
À notre demande, la Sûreté de wilaya de Tizi Ouzou concède à nous “embarquer” dans une virée nocturne à travers les bas-fonds de la ville et de sa banlieue. Récit d’une patrouille “banalisée”...

Mercredi 13 juillet, 21 h. Le commissaire B., chef de la Police judiciaire de Tizi Ouzou, nous attendait de pied ferme devant le siège de la sûreté de wilaya, près de la gare routière. Il est pile-poil à l’heure. Au menu : une virée nocturne à travers la ville des Genêts et sa banlieue. L’accord du chef de sûreté de wilaya nous a tout de suite été donné avec, on l’aura compris, l’aval de la Dgsn.

Nous nous attendions à une patrouille en règle, avec fourgon et gyrophare. Il n’en sera rien. La patrouille sera civile, “banalisée” et discrète. Et pour tout effectif, il n’y aura que le chef de la PJ ainsi que son compagnon de ronde, le chef des Brigades mobiles de la police judiciaire de Tizi Ouzou, un jeune officier de 38 ans qui compte douze ans de service.

Au volant d’une belle berline très confortable, de marque Daewoo, les deux officiers nous embarquent - amicalement s’entend - dans cette tournée toute routinière, préciseront les deux hommes. “On ne le fait pas parce que vous êtes là. C’est une virée tout à fait ordinaire. C’est ainsi que nous avons l’habitude d’opérer : en voiture civile, discrètement, nous deux seulement”, expliquent nos hôtes. “Win t’habou trouhou ?” lance le commissaire B. en se mettant entièrement à notre disposition et prêt à jouer cartes sur table. “Nous n’avons rien à cacher”, poursuit-il. Sur quoi, nous nous engageons dans les boyaux de la Nouvelle-Ville, terreau de toutes les plaies de Tizi Ouzou.

En plein milieu de la rue Krim-Belkacem, un attroupement de jeunes oblige les deux hommes à s’arrêter pour voir de quoi il retournait. Un jeune automobiliste, au volant d’une Golfe, venait de heurter avec son rétroviseur extérieur droit un passant et lui a, semble-t-il, fracassé l’avant-bras. Alors qu’une violente dispute avait éclaté, les deux policiers sont intervenus pour départager les deux parties. Le commissaire B. prévient la centrale à l’aide de son talkie-walkie crachotant, et la cause est entendue. Nous nous engouffrons quelques kilomètres plus loin dans un quartier jadis malfamé appelé “Les Corbeaux”. C’était un fief terroriste, indique le chef de la Bmpj : “Il n’y a pas si longtemps, c’était infesté de barbus. Aujourd’hui, regardez : les commerces ouvrent jusque tard dans la nuit.” Les deux hommes nous racontent comment ils ont négocié ici même la reddition de quatre terroristes. “Ils étaient dans un fourgon, armés d’une kalachnikov et de trois fusils à pompes”, précise le chef de la Bmpj. En tout, huit repentis se sont rendus depuis le 23 juillet dernier, apprend-on. “Mais il y a encore des poches de terrorisme dans la région”, dit le chef de la Brigade mobile de la PJ qui, soit dit au passage, compte à son actif de hauts faits d’armes : il a éliminé lui-même l’ancien “émir” de Tizi-Ouzou, Mustapha Kerrar.

Les repentis au compte-gouttes
Le chef de la Bmpj indique que la reddition de repentis se poursuivait et que cela se faisait par le biais de leur famille : “Nous savons que les repentis sont toujours en contact avec leur famille, et c’est par leur biais que nous leur envoyons des émissaires. Un frère ou une mère sont de précieux relais”, explique-t-il. Une fois entre les mains de la police, les repentis ne sont pas toujours des sources fiables, faut-il le souligner, pour une meilleure connaissance des groupes dans lesquels ils activent, encore moins de l’organigramme de l’organisation qui les “emploie”. “Il nous est souvent arrivé d’avoir trois versions différentes au cours de trois interrogatoires. Ils vous citent Untel comme étant un personnage important, et il se révèle, par la suite, n’être qu’un simple djoundi. Parfois, c’est l’inverse : un simple exécutant s’avère être un émir”, confie le commissaire B., avant de conclure : “Bien malin celui qui prétend connaître l’organigramme du Gspc. Quand je lis certaines analyses fantaisistes de prétendus “spécialistes” du terrorisme en Algérie, je souris.” Les plus sceptiques en viennent à douter jusqu’à de l’existence du sieur Hassan Hattab !
À un moment donné, nous nous engageons dans un quartier connu pour être un fief de petits dealers. “Constatez par vous-même que le quartier est calme”, lance le commissaire B. “Où est-ce que vous voyez l’insécurité ? Les gens devisent tranquillement devant chez eux. Le trafic de drogue existe, certes, mais comme partout ailleurs. Ici, on consomme surtout de la résine de cannabis et du kif marocain. Il n’y a pas de drogues dures à Tizi Ouzou.” La plus grosse prise faite par la police au courant de cette année était de 18 kilos, puis une autre de 600 g de kif. “Depuis, RAS”, indique notre guide. À propos des agressions, des casses dans les domiciles, le commissaire révèle que même au plus fort des émeutes, les jeunes ne s’attaquaient pas à la propriété. On fera remarquer, toutefois, qu’il y a plus de vols par effraction au mois d’août car c’est la période où les cadres sortent en vacances en laissant leurs maisons vides.

À la cité Bastos, le commissaire de la PJ hèle un jeune. Celui-ci est connu pour être impliqué dans le trafic de voitures. Il est lié à la grosse affaire que la sûreté de Tizi Ouzou a révélée au public, tout récemment, et portant sur le démantèlement d’un important réseau de voitures dédouanées avec de faux documents (le fameux modèle 846). 103 voitures ont été jusqu’à présent identifiées sur un total de 500, toutes ayant transité par le port d’Alger.

Sur les traces des faux barrages
23 heures passées. Nous prenons à présent la route de Tigzirt. La route est entièrement plongée dans le noir. Le commissaire et son compagnon ont pris l’habitude de patrouiller seuls les territoires où étaient signalés faux barrages et “faux faux barrages”, c’est-à-dire des opérations de “pseudo-terroristes” exécutées par des bandes relevant du grand banditisme. C’est ainsi que, à hauteur d’un pont, sur une route totalement enténébrée, les deux hommes nous signalent un endroit où de faux terroristes coupaient la route pour racketter les automobilistes. “C’est une bande armée composée de 18 personnes qui opéraient entre Tikoubine, Tala Athmane et Tamda. Nous avons démantelé ce réseau. Nous avons fait beaucoup de présentations pour apologie du terrorisme”, affirme le chef de la PJ. Cette bande disposait d’un arsenal non négligeable d’armes à feu : 5 fusils de chasse, 3 PA et 1 fusil à pompe.

Sur la route de Thala Athmane, nos accompagnateurs évoquent toute une série d’anecdotes qui donnent des frissons dans le dos. “Nous sommes à maintes reprises partis traquer des terroristes qui sévissaient dans le coin. Nous nous sommes même accrochés avec eux”, raconte le chef de la PJ. Les récits épiques de nos hôtes imposent cette question qui nous brûlait les lèvres : “Et vous partiez les affronter comme ça, à deux seulement, sans renfort ?” Le commissaire B. répond avec assurance : “Avec le temps, on prend l’habitude. À la fin, c’est nous qui allions les provoquer. Rien qu’à certains détails, on les reconnaissait”, dit-il. Le chef de la brigade mobile de la police judiciaire part d’un constat accablant : “Il y a une vérité amère qui doit être dite : il fut un temps où, quand nous entrions dans certains quartiers, les gens nous montraient du doigt en disant : “rahoum djaou l’houkouma”. Quand les terroristes passaient, ils fermaient les yeux. Si la population collabore avec nous, je ne donnerai pas plus d’une année au terrorisme en Kabylie.”

Virée dans un cabaret
À Thala Athmane, plusieurs boîtes de nuit étaient ouvertes, alors que dans les années 1990, les terroristes les avaient forcées à fermer après avoir incendié l’une d’elles. Aujourd’hui, celle-ci a repris du service. “Comme vous pouvez le constater, les gens sortent la nuit en toute quiétude et peuvent veiller jusqu’à 3 h du matin”, commente le commissaire B. Les deux officiers nous invitent à une petite virée à l’intérieur du cabaret. De jeunes garnements font office de videurs et filtrent l’entrée. Nous passons comme une lettre à la poste. À peine un pied à l’intérieur qu’une charmante demoiselle, en petite tenue, est venue nous saluer en nous serrant d’emblée la main. D’autres filles défileront après, toutes légèrement vêtues et nous décochant de larges sourires entendus, voyant sans doute en nous l’espoir de quelque “pigeon” à plumer.

Dans la salle principale, un jeune chanteur raï s’égosille en hurlant dans un micro, accompagné d’un orchestre polyvalent. Très peu de clients autour des tables basses disposées sous des lumières tamisées. Pour tout dire, il y avait plus de filles que de clients. Certains étaient agglutinés à des silhouettes lascives.
Officiellement, ces filles sont tout sauf des prostituées.

Même leurs tenues affriolantes et leurs minauderies ne constituent pas des preuves aux yeux de notre commissaire : “Elles portent des tenues provocantes ? Et alors ! On est bien dans un cabaret ? Quand vous êtes au Moulin Rouge, vous n’allez pas dire aux filles de ne pas porter telle ou telle tenue ! Il n’y a aucune infraction à la loi tant qu’elles ne sont pas prises en flagrant délit de prostitution”, devait-il argumenter. “En apparence, ce sont des serveuses ou des entraîneuses, ou alors de simples clientes. Le patron vous dira, elles payent leurs consommations. Dans les hôtels, elles remplissent leur fiche de police. Donc, tout est en règle. Maintenant, si nous constatons des cas avérés, on fait des arrestations, ça c’est clair. Moi-même j’ai coffré un patron de bar à Tizi Ouzou pour avoir admis une mineure dans son établissement. Il a écopé de neuf mois ferme.”

Par Mustapha Benfodil, Liberté