Accueil > ALGERIE > Kabylie : Ces communes sans maire...

Kabylie : Ces communes sans maire...

samedi 22 mai 2004, par Hassiba

Octobre 2002. Au plus fort des évènements du Printemps noir, les autorités ont tenté une mission aléatoire d’organiser les élections municipales dans une Kabylie exsangue.

Ce fut une provocation aux yeux du mouvement citoyen qui ruminait encore sa colère contre le “pouvoir maffieux et assassin”. Il n’en fallait pas plus pour déclarer ce scrutin de la “honte” hors jeu, en Kabylie. Le corps à corps entre le pouvoir et le FFS d’un côté, les archs et le RCD de l’autre, donna lieu à de chaudes joutes oratoires et à des empoignades sanglantes par endroits.

À l’arrivée, la Kabylie se réveilla dépecée, équarrie par une représentation locale tout à fait singulière : on a élu des maires par-ci - le mot est usurpé tant les taux de participation au scrutin furent petitement proverbiaux - et brûlés les urnes par-là. Et au lendemain du 12 octobre, Tizi Ouzou et Béjaïa se réveillèrent avec des communes sans maires. Elles sont 49 au total. Fallait-il annuler un scrutin qui a fait élire un P/APC avec seulement 8 voix ? La loi algérienne étant ce qu’elle est, le pouvoir a préféré accorder son onction à ces nouveaux édiles portant l’estampille du FFS, du PT, du RND et du FLN. Et les autres municipalités contrôlées par les troupes d’Abrika ? Le génie de Zerhouni a accouché, un mois plus tard, d’un objet juridique non identifié pour suppléer l’absence de maires élus : les administrateurs. Qu’ont-ils fait, deux ans après, de ces communes aussi rebelles que symboliques à l’instar de Amizour, El-Kseur et Tizi Rached ?
Amizour de ce printemps 2004 ressemble, à s’y méprendre, à celui de l’autre printemps, noir celui-là. Rien n’a changé ou si peu. Le café situé juste à l’entrée de cette municipalité est bondé de jeunes en ce début d’après-midi. Un indice ? Assurément. Celui de la malvie, du chômage et de l’incertitude qui a gagné cette frange qui a visiblement du mal à sortir de l’étreinte que lui impose sa commune rurale enserrée par les montagnes et fermée au développement. L’oued qui porte le même nom, et qui traverse la localité, est plus nauséabond que jamais. La passerelle - baptisée pont du Printemps noir - qui l’enjambe rappelle le triste souvenir des deux gosses qui ont été “enlevés” par les gendarmes le 18 avril 2001, allumant ainsi un brasier qui allait “bouffer” toute la Kabylie. Amizour de la protesta est toujours là. Les pneus brûlés et le lacrymogène en moins. Le temps semble figé. Au centre-ville, des ouvriers tentent de rafistoler le palais de justice incendié par les émeutiers, il y a trois années. C’est le seul chantier ouvert ici...

C’est que les 40 000 âmes qui peuplent Amizour souffrent le martyre. Et avec elles l’administrateur Rachid Amrouche qui, soit dit en passant, ne tire aucune gloire de ses nouvelles responsabilités. Bien au contraire. “Vivement que cela finisse !” éructe-t- il, lui qui se sent presque d’aucune utilité pour ses concitoyens. Inutile parce que dépouillé de toute prérogative et dépourvu des moyens financiers et matériels lui permettant de sortir cette commune de sa léthargie. Notre administrateur, qui travaillait comme SG depuis 1991, occupe, sans conviction, le bureau du P/APC. “J’essaye de faire de mon mieux, ne serait-ce qu’en écoutant les innombrables doléances des citoyens et leur expliquer la dure réalité des choses. Ils sont compréhensifs ; ils savent que je n’ai presque pas de pouvoir de changer quoi que ce soit de leur vécu. Je ne vous cache pas que ce sont mes contacts avec les gens, étant originaire d’Amizour, qui m’ont évité des problèmes avec cette population qui en a ras-le-bol.” Voilà l’état d’esprit de ces maires version Zerhouni qui servent de chair à canon dans des localités poudrières, sans le moindre sou pour donner au moins l’impression que les choses bougent. Rachid Amrouche en a évidemment marre de sa posture, de succédané de maire. “Mettez-vous à ma place, je dois, à la fois, faire fonction de P/APC en accueillant les citoyens quotidiennement sans avoir rien à leur offrir et celle d’un administrateur ignoré par les autorités... c’est très dur, j’avoue.” Eh oui ! quand on a pour mission de gérer “les affaires courantes” comme il est précisé dans l’arrêté du wali de novembre 2002, il est difficile, sinon délicat, de faire face aux desiderata d’une population qui n’a strictement rien de quoi meubler la dure quotidienneté.
Sur deux années de gestion de Amizour, le malheureux administrateur exhibe un tableau de bord plutôt famélique de trois ou quatre opérations d’assainissement et deux autres de l’hydraulique comme bilan. Des miettes pour reprendre son propre mot. La wilaya semble avoir oublié sans communes sans maires. L’APW, elle, favorise, bien sûr, celles pourvues des APC.

Amizour : “Vivement que cela finisse !”

Amizour et les autres payent le lourd tribut de leur rébellion. “Vous savez, à la wilaya, on ne nous écoute pas ; seules les APC gérées par les partis obtiennent des projets et des subventions”, affirme l’administrateur d’Amizour, réellement frustré de n’avoir rien à offrir à ses “administrés”. “La wilaya est inscrite aux abonnés absents et je crois que c’est voulu...”, assène-t-il, sur un ton accusateur.

Il en veut pour preuve que sa commune reste en jachère depuis deux ans, pendant que prospèrent les fléaux sociaux, le taux de chômage enfle et le développement local prend la courbe descendante. C’est que parler de projets ou de programmes à Amizour est exagéré, voire démesuré tant le marasme est à vue d’œil.

Il suffit de noter que l’alimentation du chef-lieu de la commune en électricité a été suspendue d’août 2003 jusqu’à la veille de... l’élection présidentielle pour savoir à quel point la situation est dramatique ici. “N’était l’organisation du vote, je suis certain que l’électricité n’aurait pas été rétablie”, dit l’administrateur, sentencieux. Pis, récemment, une décision irréfléchie a failli mettre le feu aux poudres à Amizour. La wilaya a, en effet, décidé d’octroyer le stade municipal - un stade au gazon naturel, faut-il le préciser ! - à un promoteur public pour servir... d’assiette à un projet hydraulique. Suprême provocation pour une jeunesse qui n’a que ce lieu pour noyer son chagrin.

Les émeutes ont failli reprendre de plus belle n’était le tact de l’administrateur qui est allé supplier les comités de quartier et prendre attache avec les autorités pour, enfin, obtenir l’arrêt des travaux. C’est aussi cela le boulot de cet administrateur qui souhaite une seule chose : que les autorités organisent des élections partielles pour que lui s’en aille. “Nous sommes en train de payer à leur place à travers cette situation intenable faite d’insécurité, de constructions illicites et, pire encore, de désobéissance civile. C’est dur..., et on peut s’estimer heureux qu’il n’y ait pas de révolte quand on sait que les autorités ont sciemment interdit toute subvention aux activités sportives. Dites-moi qu’est-ce que l’on cherche quand on prive les jeunes de pratiquer le sport sachant qu’il n’existe aucun autre moyen de les occuper ? Y a-t-il des projets de développement lancés depuis 2002 ? Toutes nos fiches techniques sont restées lettre morte. J’ai essayé de dépasser un peu mes maigres prérogatives pour proposer des programmes mais elles n’ont jamais connu de suite. Le pécule que ramasse la commune dans les taxes foncières de l’abattoir et des marchés couverts sert à peine à couvrir quelques petites opérations de réfection de l’AEP pour au moins éviter la propagation des maladies à transmission hydrique”, affirmera-t-il.

Cette situation d’abandon est illustrée aussi par la fameuse décision du président de la République de construire 100 locaux commerciaux dans toutes les communes au profit des jeunes.

En effet, l’administrateur précise qu’il a vite sauté sur l’occasion en dégageant une assiette et élaboré l’étude avant d’expédier le projet à la wilaya.
Mais, les mois passent sans que le gestionnaire d’Amizour n’obtienne de réponse de la wilaya. M. Amrouche fait un constat amer mais lucide : “Rien ne peut remplacer une assemblée élue.” Le provisoire a trop duré pour lui ; jusqu’à quand encore ?

Par Hasssan Moali, Liberté