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La criminalité en hausse en Kabylie

dimanche 16 mai 2004, par Hassiba

Vingt-six corps sont repêchés des profondeurs du barrage de Taksebt en Kabylie.

Les victimes, toutes retirées dans un état de décomposition avancée, sont difficilement identifiables.
“Méconnaissables !”, nous a avoué une source hospitalière. Leurs bourreaux ont disparu dans la nature. Dans la région, la population est en émoi. Les parents des victimes n’en reviennent pas. Les services de sécurité sont débordés par cette affaire. La justice aussi. Que s’est-il exactement passé ?

Construit dans les années 1990 pour desservir la Kabylie et la capitale, ce barrage, qui s’étend sur 80 km2, est vite devenu un lieu de pèlerinage pour les familles. Tous les passagers s’y arrêtent pour admirer l’immensité du barrage et la beauté du site. Combien de corps de malheureux jeunes gens ont été jetés dans ce grand lac ? Qui a commis ces actes aussi ignobles pour semer la peur dans une région ? Depuis l’achèvement des travaux de réception - en attendant les travaux de canalisation - le barrage de Taksebt a avalé au moins 26 corps, jetés par ce groupe qui agit de part et d’autre des deux rives de l’immense viaduc séparant Taksebt et Takhoukht. D’autres sources avancent 30 corps repêchés de ce majestueux lac, devenu par “la force du crime” le lac de la mort.

La goutte d’eau qui a fait déborder... le barrage !
Mercredi 17 mars 2004, aux environs de 16h 30, Abdenour Y., vendeur de cigarettes de son état, âgé seulement de 16 ans, a été enlevé par des inconnus au niveau du barrage. Séquestré et sauvagement mutilé, son corps a été retrouvé, jeudi 25 mars 2004, aux environs de 15 heures, à l’endroit même où il a été enlevé, dans un état de décomposition avancée. L’autopsie a révélé qu’il y a eu d’abord strangulation avant que la victime ne soit assommée à la tête à l’aide d’un gros bâton. “Onze coups de couteaux sur le thorax et le dos, les épaules complètement abîmées par des coups de bâton, et aussi des sévices contre nature...”, relèvera encore les médecins légistes. Cet acharnement sur cet enfant orientera les enquêteurs sur la piste du règlement de compte.

Or, sachant que l’enfant est innocent, calme et non fumeur, il y aurait certainement erreur. Et l’erreur sera vite confirmée. “Cet assassinat pourrait être un message pour tous ceux qui témoigneront contre ces criminels”.
Après plusieurs appels à témoins lancés par les parents de la victime, lesquels appels ont été rendus publics, d’autres victimes ont réagi, sans compter des témoins de ces horreurs. La première piste précisée, quinze personnes seront interpellées, dont huit seront mises sous mandat de dépôt.

Mais, ce n’est pas fini ! Le chef de file sera, lui aussi, arrêté, et révélera que le groupe est divisé en deux factions, dont l’une “gère” le viaduc et l’autre les alentours du même pont construit après que les eaux du barrage eurent grignoté toutes les belles collines de Taksebt. Mais pourquoi, donc, a-t-on tué ce jeune innocent ?

On tue et on engloutit

La bande composée d’une quinzaine de personnes passe aux aveux. Le chef de file aussi. Les témoignages se multiplient. Tous sont unanimes : les bandits opèrent à visage découvert et éliminent tous ceux qui les gênent.
La police confirmera que “ce lieu est réputé pour ses agressions perpétrées contre des passants ou des gens qui s’isolent.” La route fermée au niveau du barrage de Taksebt, endroit d’interception des proies, des personnes innocentes subissent des traitements inhumains par des inconnus, aujourd’hui, identifiés. “Identifiés, dites-vous ?” La justice a pris le temps nécessaire pour instruire le dossier. Un dossier lourd, dont la conséquence est aussi lourde pour les auteurs de ces crimes. Il est certes, confirmé que des corps ont été repêchés et identifiés au lendemain de leur disparition, mais ce sont des cas rares ! Car ceux-là sont liés au suicide et uniquement au suicide. “Ce qui nous a inquiétés le plus, ce sont les corps disparus dans la nature et dont le mobile n’est autre que le crime”, soutient notre source. Terrifiant.

A Taksebt, cette bande de criminels tue et enterre... sous les eaux. Il est vrai que cette affaire n’a pas livré tous ses secrets. Il est vrai aussi que cinq autres éléments de cette même bande sont en fuite et sont activement recherchés par les services de sécurité. Mais, faudra-t-il encore attendre d’autres victimes pour mettre les moyens de surveillance qu’il faut pour venir à terme de cette barbarie ?

Quatre preuves de plus...

Il y a trois semaines, quatre individus ont été appréhendés par les services de la police judiciaire. Venus “s’approvisionner” comme à l’accoutumée à Taksebt, ils seront vite tombés dans une souricière tendue quelque temps auparavant par les services compétents.
Interrogés, ils ne tarderont pas à avouer qu’ils appartiennent à ce groupe et qu’ils ont agi sur instruction de leur chef. Jeudi dernier, deux d’entre eux ont été traduits devant la justice pour “coups volontaires et agressions à l’arme blanche”.
Ils ont été mis sous mandat de dépôt en attendant le verdict final. Y aurait-il parmi eux des innocents ? Seule, l’enquête le dira. En tout cas, la justice s’est saisie du dossier.

De leur côté, les parents des victimes ne comptent pas baisser les bras et estiment que “cette bande doit être châtiée et servir d’exemple pour ceux qui veulent semer l’horreur dans cette paisible région”. Selon d’autres témoignages, durant la période du 25 avril au 10 mai, quatre autres corps ont été repêchés de ce même lac. Quatre preuves de plus...

Et quatre jeunes filles de trop

Alors que les enquêteurs avancent dans leurs investigations, nous avons appris que quatre jeunes filles ont été portées disparues au niveau de ce même barrage. Les recherches entreprises çà et là n’ont pas encore abouti à trouver une piste.

Cela dit, les quatre corps ont été repêchés des profondeurs de Taksebt. Une nouvelle qui fera tache d’huile dans la région et qui mettra encore une fois la population sous le choc. “Il y aurait certainement un lien direct entre les quatre corps retirés et la disparition de ces jeunes filles”, nous dira-t-on. Actuellement, l’enquête est orientée vers les personnes qui ont servi de relais depuis le début de cette affaire. De simples témoignages au recueil de preuves matérielles, les enquêteurs recherchent le moindre indice pour “crever l’abcès”.

Une chose est cependant sûre : ce groupe de malfaiteurs a une base arrière solide. Un soutien logistique certain.
Selon nos sources, depuis l’arrestation d’un groupe de 19 individus, qui se faisaient passer pour des terroristes dans la région de Takhoukht, il y a neuf mois, les actes criminels ont sensiblement diminué.

Par Farid Belgacem, Liberté