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La presse algérienne et Bouteflika

jeudi 7 avril 2005, par nassim

Après le « choc » frontal de la campagne électorale du 8 avril 2004, la relation entre Bouteflika et la presse algérienne indépendante semble gagner en sérénité, en attendant la dissipation de quelques nuages qui persistent.

Inutile de remuer le couteau dans la plaie. Mais il est opportun, après un an du mandat du président Bouteflika, de jeter un regard en arrière. Qu’il ait été aux commandes du pays ou candidat, Bouteflika n’a pas lésiné sur les mots pour clouer la presse au pilori. « Commères de bain maure » ou « terroristes de la plume » ont été les quelques qualificatifs attribués par Bouteflika à la presse indépendante. Cette dernière ne s’est pas empêchée alors de défendre son statut chèrement acquis durant la décennie rouge.

Après sa réélection, le président de la République a saisi l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, coïncidant avec le 3 mai, pour dessiner les contours du cadre journalistique. « La presse doit mesurer, justement au nom de cette liberté et grâce à elle, la complexité de son rôle, l’étendue de son pouvoir, mais également le poids de sa responsabilité », dira Bouteflika. La corporation a été confrontée au premier test postélectoral le 24 mai 2004 quand Hafnaoui Ghoul, correspondant de presse à Djelfa et militant des droits de l’homme, a été condamné pour diffamation suite à une plainte du wali. Hafnaoui Ghoul avait été écroué à la prison durant six longs mois. Le 24 juin 2004, Mohamed Benchicou, directeur du Matin, est arrêté. Il paie, selon les observateurs, « les frais de son engagement anti-Bouteflika ». Pour eux, son arrestation a été maquillée en délit de droit commun et son procès a été entaché d’abus.

Me Farouk Ksentini a, à plusieurs reprises, dénoncé la procédure d’arrestation à l’intérieur même du tribunal. Mais ce n’est pas là l’avis de l’Etat. Le président Bouteflika, dans un entretien paru dans La Gazette de l’Union des journalistes de la presse française de janvier-février 2005, a déclaré que le cas de Benchicou « ne se rapporte pas à des délits de presse pour lesquels on pourrait invoquer le statut particulier de presse. Ces cas relèvent du droit commun et c’est en tant que tels qu’ils sont traités ». Deux mois après l’incarcération de Benchicou, les autorités actionnent, rappelle-t-on, l’appareil du fisc en direction du Matin. Le siège de la publication est vendu aux enchères et les mises en demeure tombent chaque jour. Le journal a été mis dans l’incapacité de paraître depuis le 23 août 2004. A partir de juillet 2004, les correspondants régionaux d’El Waha, d’El Khabar, d’El Bilad, du Soir d’Algérie, de La Tribune... étaient convoqués régulièrement par les tribunaux. Le Pouvoir, qui joue sur toutes les partitions, tend la main par le biais du ministre de la Communication, Boudjemaâ Haichour, qui convoquait chaque semaine des éditeurs de journaux. Le ministre plaide pour une presse libre et responsable et émet le souhait de voir établir des passerelles entre la presse nationale et le gouvernement afin de pouvoir mener le travail journalistique dans un cadre serein. M. Haïchour a relevé la nécessité d’élaborer, avec les patrons de la presse et les journalistes, une nouvelle loi sur l’information, un code d’éthique et de déontologie et un statut pour les journalistes.

L’espoir suscité par les messages mielleux de Haïchour n’a cependant pas duré. Car, entre-temps, le tribunal correctionnel de Sidi M’hamed, à Alger, convoque chaque mardi des journalistes pour des délits de presse. Lors d’un procès, El Khabar et El Watan sont sommés de payer des amendes astronomiques. Le caricaturiste de Liberté, Ali Dilem, et le chroniqueur du Soir d’Algérie sont condamnés à des peines de prison. Autre fait inquiétant : le parquet d’Alger a même réclamé la suspension du Soir d’Algérie pour six mois. Devant cette situation, Reporters sans frontières (RSF) n’a pas hésité, dans son communiqué du 31 décembre, à dire que 2004 est une année particulièrement dure pour les médias en Algérie. L’organisation internationale a appelé alors à une réforme du code pénal afin de supprimer les peines de prison pour les délits de presse.

La Fédération internationale des journalistes (FIJ) a exprimé aussi, dans un communiqué du 27 janvier 2005, son inquiétude face à « une dérive (...) visant à réduire définitivement les derniers espaces de la démocratie et de la liberté d’expression ». La sortie médiatique de Bouteflika, qui a accordé un entretien à La Gazette de la presse française, édition janvier-février 2005, tranche avec la réalité amère de la profession. Parlant de l’environnement juridique dans lequel exerce le journaliste algérien, le Président dira : « Ce cadre me paraît aussi libéral, sinon plus, que celui qui existe dans d’autres pays, y compris dans les pays développés, les limites apportées à la liberté de la presse étant celles exigées par la sécurité du pays, la dignité des citoyens et le respect des convictions de notre peuple. » Toutefois, ajoute-t-il, « cette liberté a pour contrepartie la responsabilité des journalistes qui sont tenus d’exercer leur profession conformément à un code de déontologie ».

Les déclarations du président de la République laissent à penser, en théorie, que le rapport presse-Pouvoir s’est assaini ou est en voie de l’être. Mais dans les faits, la situation demeure toujours floue. Le malentendu, aujourd’hui, persiste en raison, notamment, de l’absence d’une définition exacte du délit de presse et des règles devant régir le secteur des médias. Et c’est la raison pour laquelle, sans doute, l’atmosphère reste toujours marquée par la crispation.

Par Rachidiou Mustapha, elwatan.com