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Le code de le famille et la reconnaissance en Algérie

mercredi 6 octobre 2004, par Hassiba

Les rétrogrades de tout bord en Algérie continuent d’amadouer leurs auditoires en se trompant gravement d’époque, en se référant à une histoire mythique, alors que nos ancêtres et contemporaines, mères, sœurs et filles, ne sont pas demeurées passives au rendez-vous cruciaux de l’histoire, de la plus haute antiquité à novembre 1954.

Présentes et actives au rendez-vous de l’histoire
« Les princesses sacrifiées, assassinées, suicidées pour raison d’Etat passent ici plus nombreuses qu’ailleurs, ce qui tendrait à montrer qu’à toute époque la femme maghrébine a eu plus d’importance sociale ou politique qu’on ne le croit », tient à souligner l’éminent spécialiste de la préhistoire de l’Afrique du Nord, Gabriel Camps (1992), au terme d’une longue et brillante carrière universitaire et scientifique. Il en a été ainsi de Sophonisbe (235-203 av. J.-C.), épouse du roi numide Syphax - l’héroïne de plusieurs tragédies dont celles de Trissino, Maret, Corneille -, à Hassiba Ben Bouali en passant par la Kahina, Fatma n’Soumer et bien d’autres, anonymes ou immortalisées par l’histoire et la littérature universelle.

L’art et la spiritualité aussi, à l’instar, notamment, de Lalla Zeineb qui, à la mort de son père, a dirigé dignement la zaouïa d’El Hamal près de l’oasis de Bou Saâda. Venus souvent de très loin, des milliers de croyants et d’admirateurs lui ont rendu visite en toute saison. Tel est le vibrant hommage exprimé par le maire d’Alger, Charles Galland (1899), au cours d’une excursion effectuée spécialement à cet effet à la fin du XIXe siècle : « Dans ses vêtements flottants, d’une éclatante blancheur, la maraboute se présente à nous. Au pied de ces murs de monastère, dans le recueillement de la nature, au milieu de son peuple, elle tenait à la fois de la reine, de la religieuse, de la sainte mystique, de l’abbesse du Moyen-Age. Je m’approchais d’ elle et lui baisait la main. » Pour sa part, cheikha Tetma, alias Bentabet Zatla, la diva de la chanson algérienne, n’a-t-elle pas osé s’affirmer dans l’espace public réservé exclusivement aux hommes quand aucune femme ne sortait encore sans voile ?

Massivement exclues de l’école de Jules Ferry
Soumises tout comme le reste de la société aux oppressions du système colonial, elles ne sont pas demeurées pour autant passives. D’une façon ou d’une autre, elles se sont impliquées en sachant se déterminer dans des situations données face à des problèmes cruciaux, les premières en mettant fin au boycott de la médecine coloniale (Y. Turin, 1971). « Ce qui m’a frappé surtout au cours de ma visite, c’est l’empressement des malades à solliciter mes soins, la confiance complète dans le traitement utilisé, I’influence rapide que j’aurais pu exercer sur leur esprit », témoigne la doctoresse Dorothée Cheller (Colon, 1990 : 110) à travers deux régions très représentatives de I’Algérie profonde, la Kabylie et les Aurès.

Indubitablement une avancée inespérée, une avancée considérable, intervenue précisément aux débuts de l’application des lois Jules Ferry relatives à la gratuité, à l’obligation et à la laïcité de l’enseignement. En fait, une scolarisation demeurant inaccessible, puisqu’au primaire l’on ne relève qu’une fille sur quatre garçons, au secondaire une sur 7 lycéens et au supérieur une étudiante sur 200 inscrits (G. Pervillé, 1997, 18-24). Aussi n’a-t-on compté, au terme de la période coloniale, en tout et pour tout que 3 dentistes, 4 pharmaciennes, 6 doctoresses, 23 enseignantes dans le secondaire et aucune dans le supérieur (D. Dj. Amarane - Mine 1994 :17)... La seule agrégée connue a vécu au sein de la communauté algérienne du Maroc ainsi qu’une des quatre pharmaciennes (Rager, 1950 : 38). En conséquence, la prise de conscience d’une exclusion sans limite et par- là même d’aliénation quasi généralisée a fini par s’imposer et interpeller vivement les un(e)s et les autres. Une soif d’apprendre bien perceptible à travers l’état d’esprit d’alors, les aspirations et attentes de ces enfants, garçons et filles, les bâtisseurs et artisans de l’école de l’Algérie indépendante.

La démocratisation d’accès à l’école comme à l’université
Rapidement, la démocratisation de l’enseignement s’est concrétisée même si elle a été confrontée à des problèmes complexes et qu’il n’ est question avant tout que d’une démocratisation quantitative au sens d’André Prost (1986) et de Pierre Merle (2002), précisément d’une démocratisation d’accès à l’école comme à l’université. D’emblée, avec une scolarisation d’un peu plus de 8 fillettes et de près et de 9 garçons sur 10 en âge de scolarisation (6 à 14 ans), la démocratisation quantitative est une réalité concrète. Globalement, les effectifs ont quadruplé de 1966 à 1987 et quintuplé de 1966 à1998, réduisant ainsi sensiblement au siècle finissant les écarts entre les deux sexes, voire leur élimination à terme, alors qu’en 1966 les fillettes ne représentaient qu’un peu plus du tiers (36,4 %) et en 1987, 7 sur 10 scolarisés (71,5%).

Minoritaires à l’école mais majoritaires et performantes au secondaire
Désormais, les lycéennes franchissent majoritairement et résolument les portes des établissements depuis une décennie, précisément depuis le milieu de la décennie 1990, soit au paroxysme des violences multiformes marquées par des agressions ayant ciblé notamment des scolarisé (e)s et enseignant (e)s à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements scolaires. Assurément, la supériorité des lycéennes est bien l’expression d’une prise de conscience, d’une détermination et d’un positionnement face à des phénomènes et réalités les ayant interpellées vivement en leur for intérieur durant ces années d’ horreur. Les nombreux sacrifices n’ont pas été vains, à l’instar de Katia Bengana, criblée de balles pour avoir refusé de porter le voile ; El Hadja Ménad, jeune comédienne d’un théâtre amateur de Mostaganem brûlée vive pour avoir voulu jouer une comédie ; de ces douze enseignantes se rendant à leurs établissements en zone rurale (zone forestière de Sfisef), un 27 septembre 1997...

Les performances au baccalauréat
En tout état de cause, la supériorité des lycéennes n’a pas tardé à s’imposer et à se renforcer. Significatifs sont les résultats enregistrés au baccalauréat à la suite d’une parité acquise dès 1995, et en passant de 51,6 à 58, 8 % de 1994 -1995 à 1998-1999 alors qu’à la session de juin 2001, on relève 60,7 %.

Une supériorité soutenue dans les disciplines et filières tant convoitées
Nombre de faits et d’observations dûment établis, de surcroît aisément appuyés par d’abondantes statistiques, rendent compte de la prééminence récente des étudiantes à travers les différentes structures du supérieur, particulièrement au niveau des filières et disciplines les moins accessibles. Si la parité date de l’année 1997- 1998 et commence à s’affirmer en accusant un taux de 52,5 % en 2000-2001 et 54 % en 2001-2002, elle est bien établie au niveau de l’université d’Alger avec un taux 61,15 % en 2001-2002. En effet, c’est durant l’année 1994 - 1995 qu’a été atteinte la parité avec un taux de 50,08%, contrairement aux écolières en ne représentent que 47% en 1999-2000.

La féminisation progressive du corps enseignant au supérieur
La féminisation du corps enseignant au primaire et au secondaire ne saurait surprendre. En revanche, pour ce qui est du supérieur, il y a lieu de tenir compte des séquelles du passé, l’algérianisation ayant été quasi nulle durant les débuts de l’indépendance. En tout état de cause, faute de données, l’approche se limite seulement à la plus ancienne université, l’université d’Alger, soit l’institution dont la féminisation doit être en avance par rapport aux autres. Incontestablement, avec un taux de 44, 03 % en 2001-2002, la féminisation a déjà franchi une étape décisive. La parité ne saurait tarder. En effet, hormis le minimum de 25,71 % relatif à certaines disciplines (sciences politiques et relations extérieures) n’attirant encore qu’une très faible proportion d’étudiant(e)s, les différentes moyennes sont assez proches de la médiane alors que langue et littérature arabes avec les langues vivantes la dépassent en atteignant 54,8%.

La féminisation spectaculaire du corps médical
C’est en 1995 que la parité a été réalisée sur l’ensemble du corps médical avec un taux de 52,2 %, alors que les pharmaciennes et chirurgiennes dentistes ont enregistré respectivement 59,8 % et 64, 1%. Rapidement à la fin de la décennie écoulée, les quatre corps séparés dépassent les 50 % avec une moyenne de 55 % en dépit de l’attrait du secteur privé. Cet attrait explique bien la baisse du nombre des pharmaciennes puis des chirurgiennes dentistes. Plus que jamais, à la suite des injonctions des institutions financières internationales, le secteur public risque d’en pâtir, particulièrement dans les centres hospitaliers de l’intérieur là où les déficits deviennent patents dès à présent.

En revanche, pour ce qui est de la médecine académique, elle est forcément en retard, du reste tout comme dans les pays développés. Or même avec un taux de 40 % en 2000, la performance est incontestable, la parité ne tardera pas à s’imposer. De telles résultats dépassent de loin ceux de la Tunisie, le pays arabe de référence en matière de condition féminine.En définitive, c’est paradoxalement au cours de la décennie écoulée, celle des années de larmes et de sang, que la féminisation du personnel enseignant et sanitaire s’est poursuivie sans relâche. C’est bien au cours de ces années-là que le socle social a pu résister grâce à la ferme détermination de tous, élèves et maîtres, les deux sexes confondus. La société tout entière ! Ainsi la société patriarcale n’a pu résister à ces transformations de fond en comble. Plus que jamais, et en premier lieu, la féminisation s’est imposée au prix de sacrifices illimités aussi bien pour l’affranchissement du joug colonial, hier, que des affres de l’horreur et du terrorisme durant la décennie écoulée et présentement.

Plus que jamais, durant ces années de larmes et de sang non encore totalement essuyées, une double résistance est menée simultanément sur le double front, celui d’agression physique multiforme rappelant des temps immémoriaux, et celui du savoir et du progrès, la seule voie possible pour la consolidation des acquis et le droit à une place au soleil dans ce village-monde. Autant d’efforts et de sacrifices en conformité avec les principes tant prônés depuis quinze siècles par l’Islam, la religion par excellence du qalam (sourate 96, verset 4) le symbole de l’écriture. Du savoir ! Des lumières ! L’obligation formelle de s’instruire s’adressant aussi bien aux croyants qu’aux croyantes, clef de leur affranchissement et d’épanouissement. Point d’infériorisation ! Point de minorisation de la moitié de la société par l’autre moitié. D’autant que la Constitution l’explicite clairement ! En conséquence, tout code, a fortiori le code de la famille, doit tenir compte impérativement des réalités sociohistoriques et culturelles.

Tout autre discours n’est qu’entrave à la marche du siècle, gesticulation et tapage médiatique allant à l’encontre des intérêts supérieurs de la nation, alors que fracture et séisme sociaux ne sont pas encore résorbés ! Symbolique du savoir et des lumières, l’Islam qui a condamné formellement l’enterrement des nouveaux-nées vivantes, s’oppose nécessairement à toute infériorisation de la moitié de toute société d’où qu’elle soit !

Par Djilali Sari, El Watan