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Les Islamistes dévoilent leurs divergences

L’ex-FIS se déchire

mercredi 24 mars 2004, par Hassiba

L’ex-FIS, qui ne sait plus à quel « saint » se vouer, subit une seconde dissolution, fruit de la réconciliation présidentielle.

Mourad D’hina, qui revendique le poste de président du bureau exécutif de l’ex-FIS, a rendu public hier un long et important communiqué dans lequel il annonce en filigrane son appel au boycott de la prochaine présidentielle. Immédiatement après, Rabah Kébir, autre ténor du parti-dissous, réfugié en Allemagne, a répondu par le biais d’un communiqué de soutien à la candidature de Bouteflika, sur la base de la réussite de son plan portant concorde nationale, et de la chance restant à saisir à propos de la fameuse réconciliation nationale.

Les deux hommes, qui ne se sont jamais aimés, se livrent à une guerre sourde depuis le fameux congrès « on-line », effectué en 2002 sous la protection de certains services secrets occidentaux et qui avait permis à D’hina de prendre la tête du parti-dissous et d’évincer Kébir. Ce dernier, élu député en décembre 1991, avait trouvé refuge à l’étranger, avant de se faire désigner président du groupe parlementaire (dont l’installation n’a jamais eu lieu) et d’être parachuté président de l’instance exécutive de l’ex-FIS basée à l’étranger.

Quatre courants pour un parti... dissous

La guerre est désormais ouverte entre les deux hommes. D’hina, dans sa lettre, décèle quelques points positifs à ce scrutin, puisque le stade des 99 % des voix et des candidats uniques a fini par être dépassé. Mais, la jubilation ne va pas plus loin. Tant s’en faut. D’hina, seul rescapé des théoriciens de la Djazâra, évoque cinq raisons qui le poussent à appeler à ignorer totalement ce scrutin. La première a trait à la neutralité de l’armée, qualifiée par lui de « fourberie ».
Outre le fait que beaucoup d’anciens chefs de gouvernement émettent de sérieux doutes, argumente D’hina, ce dernier rappelle que les mêmes professions de foi avaient été pratiquées en 1999 avec les résultats que l’on connaît.
La seconde raison, pendante de la première, rejoint également les propos tenus par certains candidats malheureux qui avaient eu à décréter que « les faiseurs de rois sont toujours en poste ». D’hina ajoute à ce qualificatif celui de « putschistes » puisque l’ex-FIS, tous courants confondus, ne digèrera jamais l’interruption du processus électoral de janvier 1992.

D’hina quitte les sentiers battus de la politique classique dans le troisième argument pour accuser l’ensemble des candidats en lice d’avoir « des fils à la patte ». Le choix de la terminologie dans le communiqué est nettement plus injurieuse. Aussi, nous gardons-nous de la reproduire dans ces colonnes. Tous les courants politiques, soit en lice soit hors course, passent à la critique virulente, mettant en avant la « responsabilité de la classe politique dans le drame que vit l’Algérie ». D’hina, qui met tout le monde dans le même pétrin, s’indigne que certains aient pu
en appeler à l’intervention de
l’armée afin d’imposer la même neutralité aux autres institutions de la République : « Le sens qu’il faut donner à leurs appels à l’intervention de l’armée et à leur critique de Bouteflika est qu’ils n’ont pas d’objection fondamentale au système de domination militaire sur l’Algérie. Ils ont seulement des objections sur le choix de la personne que le système (...) utilise pour exercer cette domination ».

Le quatrième argument, que beaucoup d’analystes et d’acteurs politiques semblent partager, a trait au fait que « les préoccupations immédiates des citoyens ne sont pas au centre de cette élection ». Des questions fondamentales, nécessitant de vrais débats, sont ainsi posées. D’hina, en s’exprimant de la sorte, fait montre d’une certaine mauvaise foi en plaçant tous les candidats sur un pied d’égalité.

Louisa Hanoune, pour ne citer que cette dame, prône le règlement politique de la crise sécuritaire que vit le pays. Elle souhaite des débats autour de presque toutes les questions que se pose D’hina. Elle va jusqu’à prôner la convocation d’un congrès national algérien, sans exclusion aucune, dans le but d’aller vers des solutions concertées, transparentes et qui fassent en quelque sorte l’unanimité.
La cinquième raison, enfin, consiste simplement à dire, comme l’a déjà constaté le groupe des dix, que « ces élections ne seront pas et ne pourront pas être impartiales ».

Loin de partager les mêmes visions, Rabah Kébir, connu pour être très proche de l’AIS (aile armée de l’ex-FIS), prône au contraire la « nécessité » d’arrêter l’effusion de sang. A ce propos, il ne va pas par quatre chemins pour considérer que « la prochaine élection présidentielle prévue le 8 avril prochain constitue une étape importante qui peut contribuer à faire avancer le pays vers la réalisation de ses objectifs ».

Ceux-ci, explique le communiqué rendu public par Kébir hier, et dont une copie nous est parvenue, rejoignent en grande partie la démarche du président. Que l’on en juge. « Nous constatons, après avoir étudié et analysé la situation en profondeur, que ce qui a été réalisé durant le premier mandat du président Abdelaziz Bouteflika, à travers son adoption de la concorde civile (...), à travers ses appels continus à la réconciliation nationale et à la nécessité de la mener à son objectif assigné... ». Le communiqué va encore plus loin en mettant en exergue au passage les avancées économiques, quoique jugées modestes, mais aussi le retour de l’Algérie sur le devant de la scène internationale. Cette somme de « réalisations », retenues à l’actif du candidat-président pousse Rabah Kébir à décréter que « le meilleur (prétendant) qui soit apte à promouvoir la réconciliation nationale globale est celui à qui le peuple algérien a confié l’application de la concorde civile ». Cet appel est clairement lancé « aux fils du FIS et au peuple algérien pour voter massivement en faveur du président-candidat Abdelaziz Bouteflika ».

Un joker nommé Benhadj

Cette sortie, venue en réponse à celle de D’hina, met à nu les graves déchirements qui touchent les rangs de l’ex-FIS. Abassi Madani, toujours en « soins » à l’étranger, continue de rejeter la présidentielle et à revendiquer une constituante telle que prônée par Aït-Ahmed. Il a récemment poussé plus loin sa démarche en développant des critiques acerbes à l’adresse du président. Celui qui a le pouvoir de rassembler tout ce beau monde, et que suit ce qui reste de la base du parti dissous n’est autre que Benhadj. Or, ce dernier, toujours interdit d’expression par les autorités algériennes, a clairement fait savoir qu’il voulait se présenter personnellement, prenant même le soin de rendre public son programme.

Ce n’est pas pour rien que D’hina dans son communiqué, fait un appel du pied à Benhadj en remuant cruellement le couteau dans la plaie politique algérienne : « L’exclusion de candidats capables de centrer le débat national sur les causes réelles de la crise qui déchire le pays, sans complexe et sans se sentir comptable devant les faiseurs de président, consacre la partialité du scrutin et viole le principe du traitement équitable des candidats par le gouvernement. (Exemple est cité) le cas de Benhadj chassé manu militari du siège du gouvernement alors qu’il s’y était présenté pour faire valoir sa candidature ».
Face à ces déchirements et conflits de chapelle, appelés à s’aggraver à mesure que la campagne progresse dans le temps, les anciens dirigeants, résidant en Algérie, auteurs du fameux communiqué des six, semblent réserver leur jugement.

Reste à se poser également la question sur ce que représente véritablement ce qui reste de l’électorat de l’ex-FIS dont les déchirements, contrariant le plan présidentiel, pourraient profiter à Djaballah, seul candidat islamiste et réconciliateur ouvertement déclaré.

Mohamed Abdou, L’Expression