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Les libertés syndicales menacées en Algérie

dimanche 27 février 2005, par Hassiba

Reconnue pourtant par la principale loi du pays, la pluralité syndicale est confisquée au nom d’une fausse interprétation de textes réglementaires.

Appartenir à un syndicat autre que l’UGTA, reconnue par le président Bouteflika comme le seul et unique partenaire social, serait en passe de devenir un grave délit passible de prison.

En consacrant l’activité syndicale comme un droit constitutionnel, les pouvoirs publics étaient probablement loin de penser que les travailleurs algériens seraient nombreux à vouloir user de ce droit. Les mutations économiques étaient pourtant un prélude à la contestation sociale et, par ricochet, à l’exercice syndical qui consacre un autre droit, celui de la grève.

L’avènement du pluralisme syndical au début des années 90 a donné lieu à la naissance de plusieurs organisations dans tous les secteurs d’activité. Le rôle politique attribué à l’UGTA a également une grande responsabilité dans le lancement de nouvelles organisations réclamant leur autonomie par rapport à la Centrale syndicale. À l’époque, les pouvoirs publics ne voyaient aucun inconvénient à octroyer les agréments à ce qu’ils pensaient être de simples entités sans poids aucun. Erreur. L’épreuve du terrain aura démontré que les syndicats autonomes allaient rafler l’essentiel de la contestation sociale. Les rentrées sociales deviennent alors une véritable hantise pour les autorités. Ilétait plus aisé pour les pouvoirs publics de “désactiver” la grogne des syndicats affiliés à l’UGTA, ce qui lui a valu le surnom de syndicat pompier, que de faire face à la contestation des organisations autonomes. Pour les pouvoirs publics, la stabilité sociale est importante et passe avant la première loi de la République. Le droit syndical sera de plus en plus bafoué et confisqué. Les pouvoirs publics se cachent derrière divers subterfuges pour entraver les actions syndicales : blocage des demandes d’agrément, persécution des cadres syndicaux, retrait sur salaire... autant de moyens de dissuasion auxquels recourt l’administration pour entraver le mouvement syndical.

À la fin de l’année écoulée, les autorités ont décidé de frapper fort. L’administration actionne la justice. Des responsables syndicaux sont poursuivis et d’autres carrément mis sous contrôle judiciaire. Le cas Redouane Osmane, secrétaire général du Conseil des lycées d’Alger (CLA), est édifiant. Ce professeur de français au lycée Émir-Abdelkader d’Alger ainsi que 22 autres enseignants du Cnapest et du CLA ont échappé de justesse à la prison. Motif : tenue d’un rassemblement devant le lycée El-Idrissi le 5 octobre 2003 et organisation d’un sit-in lors de la correction des épreuves du bac 2003 au lycée Hassiba-Ben-Bouali. Évidemment, les pouvoirs publics n’ont eu aucune difficulté à leur coller un délit plus solide : attroupement sur la voie publique. L’acquittement prononcé par le tribunal n’efface aucunement les atteintes au droit syndical.

“On veut des syndicats muets”
Entre les nombreuses dispositions de lois consacrant et protégeant même l’exercice syndical et la réalité du terrain, le fossé ne cesse de se creuser. “Reconnu en 1988, le pluralisme syndical a mis fin formellement au monopole. Cependant, la réalité était tout autre puisque dans la pratique, les syndicats ne sont reconnus que s’ils sont dans la poche du patronat”, affirme d’emblée M. Osmane du CLA. Selon lui, les nouveaux syndicats sont courtisés et dorlotés par les pouvoirs publics pour qu’ils se plient à leur démarche. Ceux qui abdiquent sont protégés et ceux qui refusent sont automatiquement dans le collimateur, des cibles à abattre. Le premier responsable du CLA souligne que “l’autonomie des syndicats est le nœud gordien des conflits qui éclatent en raison de l’hostilité affichée systématiquement envers les syndicats qui optent pour la grève”. M.Osmane pense que “les revendications des salariés vont à l’encontre des programmes des autorités et touchent à des niches d’intérêt, les conflits éclatent et les cadres syndicaux sont considérés comme des opposants politiques à un programme”. Et d’ajouter : “Les pouvoirs publics ne veulent pas de l’indépendance des organisations syndicales. Puisque, sur le terrain, ils refusent de dialoguer et vont jusqu’à violer les lois et les conventions internationales.”

Évoquant le recours de l’administration à la justice pour mater les syndicalistes, M. Osmane dira : “Ce n’est pas au juge de statuer sur le caractère légal ou non de la grève. Il dit la loi, mais ne la fait pas.” Et les textes sont clairs. Mais il semblerait que les lois de la République ne sont appliquées que lorsqu’elles vont dans le sens des intérêts officiels. Le harcèlement dont les syndicalistes du Snommar ont fait l’objet atteste, si besoin est, qu’on est en présence d’un pluralisme de façade. “Tant que nous ne dérangeons pas, tout va bien. Sinon les autorités vont jusqu’à jongler avec des lois pour nous casser”, estime le commandant Malki. Et d’expliquer que les pouvoirs publics se sont cachés derrière un vide juridique pour justifier l’acharnement.

En effet, il a été reproché aux syndicalistes le fait de n’avoir pas appliqué une disposition de loi : tenue de l’AG sur les lieux habituels de travail, avant de lancer la grève. “Le lieu habituel de travail des marins est le navire. Chose impossible. L’AG a été donc tenue au siège du syndicat.” Abondant dans le même sens, le porte- parole du syndicat déclare : “Les autorités veulent un syndicat muet. Nos revendications ont été jugées légitimes à tous les niveaux. Il n’y a eu aucune fausse note dans nos démarches.” N’empêche, des syndicalistes entament leur neuvième mois de suspension. “La suspension qui n’a même pas été prononcée par une commission de discipline a dépassé la période légale de six mois, conformément au règlement intérieur de l’entreprise. Les trois correspondances de l’inspection du Travail à la DG précisant clairement que la suspension est illégale dans le fond et dans la forme sont restées lettre morte”, ajoute le porte-parole du Snommar.
En effet, la cour d’appel a levé le caractère illégal de la grève prononcée par le tribunal, motif sur lequel le P-DG s’est appuyé pour suspendre les syndicalistes. Mais, près de neuf mois après, c’est toujours le statu quo.

Un agrément qui s’éternise
L’article 8 de la loi 90-12 du 2 juin 90 relative aux modalités d’exercice du droit syndical, modifiée et complétée par la loi 91-30 et l’ordonnance 96-12 du 10 juin 96, est clair. Il précise que l’organisation syndicale est déclarée constituée après dépôt d’une déclaration de constitution auprès de l’autorité concernée et après délivrance d’un récépissé d’enregistrement de la déclaration de constitution délivrée au plus tard 30 jours après le dépôt du dossier. “Au plus tard trente jours” est donc le délai accordé à l’autorité concernée pour remettre aux fondateurs le récépissé d’enregistrement. La loi sus-citée parle d’enregistrement de la déclaration de constitution du syndicat et non d’un agrément. En effet, le délai de trente jours n’est jamais respecté. Le blocage des demandes d’enregistrement semble être le principal artifice utilisé par l’administration.

Les pouvoirs publics exigent aux syndicalistes un document dont ils sont les seuls détenteurs. Renvoyer aux calendes grecques la délivrance du récépissé d’enregistrement est la marge de manœuvre que s’accorde l’administration pour se prémunir des menaces de ces organisations et confisquer leurs libertés. Les syndicats activent au su et au vu des autorités qui ne leur réclament pas pourtant d’agrément même pour programmer une audience au plus haut niveau. Mais il suffit que les actions de protestation menacent la paix sociale pour que l’agrément soit subitement exigé comme condition sine qua non à toute activité syndicale. Autrement dit, le précieux agrément est un atout entre les mains des pouvoirs publics pour limiter la marge de manœuvre des syndicats lorsque ces derniers échappent au contrôle de l’État.

Les dossiers d’enregistrement du CLA et du Cnapest moisissent dans les tiroirs des autorités compétentes. “Je considère mon syndicat comme légal”, lance M. Osmane. Le CLA a déposé son dossier d’enregistrement le 16 juillet 2003. “Nous avons respecté toutes les démarches. Mais à ce jour aucune réponse.” Le CLA a même pris la précaution de déposer son dossier au niveau de deux autorités : le ministère du Travail et la wilaya d’Alger. M. Osmane raconte que le jour où les fondateurs du CLA se sont rapprochés des services concernés de la wilaya, ils ont essuyé un refus catégorique du préposé au bureau d’enregistrement. “Il est allé jusqu’à nous exiger un écrit du ministère du Travail pour accepter la demande”, se rappelle-t-il.

Le Cnapest est un autre syndicat autonome auquel l’enregistrement a été refusé sous prétexte de “non-conformité”. Une non-conformité en violation de la loi puisque ce qui a été reproché au Cnapest est l’énoncé “recours à la grève” dans son statut. Le remplacement du vocable grève par arrêt de travail lui a été proposé, voire imposé. D’autres organisations syndicales ont fini par disparaître dès leurs balbutiements. C’est le cas pour le Syndicat national des travailleurs algériens (Snata) et la Confédé-ration algérienne des syndicats autonomes (Casa) que le Snapap a tenté de lancer il y a quelques années. Les motifs ? Le respect de la loi qui interdit la création de syndicat non sectoriel et l’existence au sein de la Casa de syndicats du secteur économique.

Par Malika Ben , liberté-algérie.com