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Présidentielle 2004 : La bataille des images

lundi 5 avril 2004, par Hassiba

Jamais, dans le pays, une élection présidentielle n’avait donné lieu à une telle bataille des images.

Un téléphone portable collé à l’oreille, un autre dans la main, deux lignes fixes et un fax sur le bureau, Abdesslam Bouchouareb tente entre deux appels de gérer au mieux l’image du candidat Bouteflika. Installé à Hydra, quartier huppé d’Alger, le chargé de communication du président doit se tenir informé de tout ce qui se dit, s’écrit et se montre concernant son patron. Sa mission, commencée bien avant le coup d’envoi de la campagne électorale, le 18 mars dernier, l’a amené à établir un plan de communication inédit pour une élection algérienne.

« On a voulu envoyer des symboles forts à travers la couleur et la conception des affiches, mais aussi à travers l’agencement de la scène des différents meetings, explique Abdesslam Bouchouareb. C’est la première fois qu’on déploie de tels moyens en Algérie. C’est le côté américain de cette campagne. »

Les autres candidats ne sont pas en reste. Chez Ali Benflis comme chez Saïd Sadi ou Abdallah Djaballah, on a bien compris qu’il fallait être vu partout : sur les murs, les pylônes, les ponts de l’autoroute, les devantures des magasins... Tous les endroits sont permis. Au grand dam de la Commission politique nationale de surveillance de l’élection présidentielle (CPNSEP) qui crie à l’affichage sauvage, sans trop d’illusions. Car les commerçants participent eux aussi à l’anarchie ambiante en prêtant ou en louant leurs locaux pour qu’y apparaisse l’effigie des candidats. Le temps de la campagne, des centaines d’affiches tapissent ainsi les snacks, pizzerias et autres cafés-restaurants.

Omniprésents dans la capitale par portraits interposés, Bouteflika et Benflis ne sont jamais bien loin l’un de l’autre. Le premier se dresse sur fond bleu devant un soleil qui l’irradie, tandis que le second pose avec un franc sourire, sur un fond bleu lui aussi. Comme si le jeu consistait à voir plus grand que son concurrent, certains n’ont pas hésité à installer de gigantesques photos dans les principales artères de la capitale. Des pans entiers d’immeubles ont ainsi été « colonisés » par ces portraits que les habitants finissent par regarder sans les voir. Dans le centre-ville, on trouve également les affiches de Saïd Sadi, mais bien moins nombreuses qu’en Kabylie, où le candidat du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) peut compter sur de fervents colleurs d’affiches. À Tizi-Ouzou, par exemple, son portrait s’étale partout, à côté de ceux de ses rivaux... outrageusement déchirés. Quant à l’islamiste Abdallah Djaballah, sa photo apparaît souvent au détour d’une mosquée dans un quartier populaire. Pour sa part, Louisa Hanoune, peu concernée par l’affichage sauvage, figure fièrement sur les panneaux électoraux, coiffée de son immanquable chignon. Reste l’énigme Ali Faouzi Rebaïane, candidat nationaliste de AHD 54, dont beaucoup d’Algériens continuent d’ignorer le visage voire le nom.

À cette guerre des images s’ajoute la bataille des mots, par médias interposés. Chacun a son cheval de bataille. Pour l’un, il s’agit de défendre un bilan. Pour d’autres, comme le préconise Louisa Hanoune, il faut « sauver l’Algérie » et la protéger des ingérences étrangères, ou bien encore faire revenir « l’espoir », formule chère à Ali Benflis. En définitive, les thèmes de la campagne sont pour la plupart les mêmes. Emploi, logement, éducation sont autant de leitmotive. Les seules différences portent sur la politique de réconciliation nationale, l’officialisation de la langue berbère, mais aussi et surtout la presse. Invité à Baramidj, l’émission de l’ENTV, chaîne de télévision surnommée « l’Unique » par les Algériens, Abdelaziz Bouteflika a d’ores et déjà fait savoir qu’il n’ouvrirait pas le champ audiovisuel s’il était élu. Lors de ses meetings, arguant du fait que la plume aussi pouvait tuer, il n’a pas hésité à comparer la presse au terrorisme, soulevant un véritable tollé dans les journaux indépendants. Certains éditeurs de la presse privée ont d’ailleurs décidé de le poursuivre en justice pour propos calomnieux.

À l’inverse, tous les autres candidats ont prôné, à des degrés divers, la liberté des médias. Pour Abdallah Djaballah, les programmes doivent certes être libéralisés, mais sans heurter la sensibilité et la culture musulmane. Saïd Sadi, pour sa part, est partisan d’une liberté d’expression sans aucune limitation.

Jusque-là plutôt tranquille, la campagne a atteint en quelques jours des degrés de violence inquiétants. D’abord verbale, cette violence émanait des candidats eux-mêmes ou de leurs plus fidèles militants. C’est ainsi que le président Bouteflika a été traité de « Pharaon » par son ancien chef de gouvernement Ali Benflis, de nasf bounta (« moitié de mégot ») par son ex-ministre du Tourisme Lakhdar Dorbani, proche du même Benflis, tandis qu’il se voyait qualifié de « déserteur de l’ALN » (l’Armée de libération nationale) par le commandant Azzedine, l’une des figures de la lutte pour l’indépendance, qui ne fait pas mystère de son soutien au secrétaire général du FLN.

Pourtant, officiellement, ce genre de dérapage est réprimé par la loi électorale que s’applique à mettre en oeuvre la CPNSEP. Aucune sanction n’a pour l’instant été prise, le président de cette instance, Saïd Bouchaïr, reconnaissant laconiquement qu’il a été saisi du problème. Quant à l’entourage du président, il se veut ferme, mais serein. « C’est normal que la tension monte, explique Abdesslam Bouchouareb, parce qu’il y a un engouement nouveau pour une situation nouvelle. Dès le 18 mars, nous avons appelé à une campagne forte et propre. Je pense que cette violence verbale vient de ce que les autres candidats prennent conscience de l’engagement de nos sympathisants. Du coup, ils paniquent. »

La violence verbale est rapidement devenue physique, perturbant notamment les réunions. Ainsi à Illizi, dans le sud du pays, où Ali Benflis devait animer un meeting le 28 mars. Il n’a jamais eu lieu. « Quand nous sommes arrivés dans la salle, raconte l’un des témoins, des jeunes ont commencé à scander des slogans pro-Bouteflika en brandissant des pancartes. Très vite, il y a eu une bousculade, les chaises ont commencé à voler. Certains ont été touchés à la tête, et nous avons dû quitter les lieux en hâte. Tout ça n’est pas très rassurant quand on sait que nous avions déjà été attaqués à l’arme blanche à Aïn Temouchent, le fief du président-candidat. Des permanences de campagne ont été saccagées et d’autres brûlées à travers le pays. »

Mais c’est en Kabylie que se sont produits les incidents les plus spectaculaires. À Tizi-Ouzou, le 31 mars, le meeting de Bouteflika a été suivi de violents affrontements entre des manifestants hostiles au chef de l’État et les brigades antiémeutes.

Les colleurs d’affiches ne sont pas non plus à l’abri. Violemment agressé par neuf personnes pour avoir placardé des portraits de Bouteflika, un militant a ainsi été hospitalisé à la fin de mars. Mais qu’il s’agisse de Benflis, Djaballah ou Hanoune en passant par Rebaïane, aucun candidat n’a échappé à ces violences d’un genre nouveau. Actes isolés ou commandités ? La plupart des militants préfèrent prendre du recul, afin d’analyser froidement la situation. « C’est sûr que ça change par rapport aux autres élections où tout était joué d’avance, souligne Slimane. C’est le signe d’un vrai changement. Pour une fois, les jeux ne sont pas faits. Il faut peut-être en passer par là pour avoir des élections pluralistes dignes d’une démocratie. »

Bien malin qui pourrait en effet parier sur les résultats d’un scrutin que d’aucuns prévoient « transparent ». Et si la plupart des électeurs ont déjà fait leur choix, une grande inconnue demeure : l’abstention.

Aïda Touihri, Jeune Afrique