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Que peut-on encore sauver Alger ?

lundi 18 avril 2005, par Stanislas

Alger a le privilège de posséder de nombreux monuments anciens datant de plusieurs siècles. Il s’agit en l’espèce de huit mosquées dont la plus âgée à neuf cents ans ainsi que d’une demi-douzaine de palais datant du XVIIIe siècle.

ous ces édifices se situent dans le centre historique de la capitale.

Palais Bastion à Alger.

La plupart d’entre eux ont changé, au fil des siècles, d’affectation et parfois même de main. Malgré cela et peut-être à cause de cela, ils sont d’irremplaçables lieux de mémoire. Il se trouve aussi que ces monuments historiques sont des œuvres architecturales de qualité. En dépit des lésions causées par la nature et des mutilations dues à l’homme, ils impressionnent encore par l’élégance de leur allure, la proportion des volumes et des formes, l’harmonie et la grâce de leurs décors. C’est ce passé et ses richesses que l’on va évoquer dans les lignes qui suivent, en signalant chaque fois que de besoin, tout ce qui laisse à désirer dans leur gestion ; on formulera parfois non pas des avis mais quelques souhaits tels que tout Algérois peut avoir.

Des Almoravides (XIe) aux Zyanides (XIIIe-XVIe) à l’État d’Alger (XVIe- XIXe)

La première étape de ce périple historicoculturel sera Djamaâ El Kabîr, mosquée construite en 1096 par Youssef Ibn Tashfin, berbère sanhadja du Sahara, souverain tout puissant de l’empire almoravide (1050-1160). C’est sous son règne que l’empire, parvenu à son apogée, s’étendait des confins sud de l’actuelle Mauritanie jusqu’à Alger ; il couvrait donc un territoire à peu près égal à la moitié de ce qu’on nomme de nos jours le Maghreb arabe uni. C’est à cette époque-là que Tashfin prenait le contrôle de la moitié sud de la péninsule ibérique que les rois des Talfas, divisés et décadents, étaient incapables de défendre. On sait que cette présence almoravide en Espagne a, par un juste retour des choses, ouvert l’Afrique du Nord à l’influence bénéfique de la civilisation andalouse. Au plan architectural, la mosquée Djamaâ El Kebir est de type maghrébin d’inspiration arabe. La salle de prière, sans coupole centrale, est hypostyle ; ses puissants piliers sont reliés par de grands arcs. Le mihrab est décoré de colonnes et de céramique. Le minaret refait par un sultan zyanide de Tlemcen en 1324 est de forme quadrangulaire ; il est surmonté d’un lanternon couvert d’une coupolette et d’une hampe que traversent trois boules de cuivre de grosseur décroissante.

La galerie extérieure n’est pas d’origine, elle a été ajoutée vers 1840 ; ses colonnes de marbre à chapiteaux décorés de motifs floraux proviennent de la mosquée Es Sayida qui s’élevait à la Jenina (place des Martyrs) et que « l’on s’empressa de jeter inutilement à bas en 1830 », écrit ch.André Julien dans son Histoire de l’Afrique du Nord. On remarque aussi à l’extrémité de la façade une longue plaque portant une inscription latine ; c’est un autre rajout. Mais c’est récemment que cette mosquée a subi sa plus grave atteinte. On a en effet recouvert les tuiles rouges de son toit de rouleaux d’étanchéité. La chape que l’on a posée sur la grande mosquée montre que la bêtise humaine peut être dévastatrice et que la régression culturelle est une menace réelle. Située en haut du quartier de La Casbah, Djamaâ Safir est la plus grande ancienne mosquée de l’ère othomane. Deux plaques en marbre scellées à son entrée indiquent l’une sa date de construction, l’autre sa date de rénovation. On apprend ainsi qu’elle a été édifiée par un certain Safir, officier proche de Kheïreddine, en 1534-1535 ; sur cette plaque Safir rend un vibrant hommage à Kheïreddine qu’il qualifie de « grand sultan, de seigneur auguste et respecté, et moudjahed... » L’autre plaque, nous apprend qu’elle a été rénovée par le dey Hussein en 1827. Etrange hasard et surprenante coïncidence que la présence côte à côte des noms de ces deux personnages si différents par leur destins respectifs, séparés par trois siècles d’histoire, que l’un a inaugurée avec panache et gloire, et que l’autre a clôturée dans la défaite et l’humiliation.

A ceux qu’intéresserait la question des origines de l’Etat algérien, on rappellera ici ces trois anciens ouvrages Histoire du Royaume d’Alger et de l’état de son gouvernement de Laugier de Tassy (Amsterdam 1725), Nachrichten und Benerkungen über den Algierschen Staat de Rehbinder (Altona 1799- 1800), et Esquisse de l’Etat d’Alger de Shaler (Paris 1830). Dans sa conception et son architecture, la mosquée Safir s’inspire nettement des édifices religieux byzantins ; sa grande coupole centrale et son minaret à forme octogonale sont typiques du style byzantin ou anatolien. Malheureusement pour elle, cette mosquée est située dans un quartier d’accès difficile et profondément délabré ; éloignée du regard et hors de portée de la vue des « princes qui nous gouvernent », Djamaâ Safir est dans un état général lamentable. Cette mosquée doit être en toute urgence restaurée et rénovée. Il serait illusoire d’espérer quoi que ce soit du mouvement associatif qui est encombré d’individus dont la seule expertise est le captage des subventions publiques. Il n’y a que l’Etat qui peut prendre en charge une telle opération. Il en a les moyens. La mosquée Ali Bitshin, du nom de celui qui l’a fondée, date de 1620 ; son fondateur était officier de marine et membre influent de La Taïfa des Raïs qui était aux marins ce que l’Odjaq était aux janissaires.

Bitshin était un Européen converti à l’Islam. Cela apparemment n’avait déjà rien d’exceptionnel, puisque beaucoup de janissaires, de marins et même d’hommes du pouvoir étaient dans ce cas ; parmi eux, on peut citer Euldj Ali, Hassan Corso, Hassan Vénéziano, Safar et même Mami Arnaute. Ce sont eux que le moine bénédictin Haëdo traitait de « renégats » et de « Turcs de profession ». Ces expressions d’un subjectivisme évident ont cependant prospéré et de nombreux historiens les ont reprises à leur compte. Après 1830, la mosquée Bitshin fut utilisée comme dépôt par la troupe puis transformée en une église appelée Notre-Dame des Victoires. Avec sa coupole centrale et ses coupolettes, elle est d’inspiration byzantine. Par contre, son minaret à forme quadrangulaire est de type maghrébin ; il faut cependant préciser que ce minaret a été raccourci en 1860. Peu de temps après l’indépendance, cette mosquée revenait à sa destination première et récupérait son nom d’origine. Mais très vite, elle est tombée dans une incroyable déchéance. On y a récemment entrepris des travaux de rénovation. Mieux vaut tard que jamais. Il serait souhaitable cependant qu’on s’intéresse à l’environnement de cette mosquée qui doit impérativement être assaini, que l’on réexamine le statut des échoppes qui l’enlaidissent, que l’on s’inquiète de la construction qui est apparue à côté de la mosquée et où l’on a ouvert des toilettes publiques. La mosquée Djamaâ Djadid ou mosquée de la Pêcherie a été construite en 1660-1661, à l’initiative collective des janissaires.

On dit, par ailleurs, que le financement des travaux a été pris en charge par une fondation religieuse du culte hanafite. Le maître d’œuvre de cette très belle mosquée est selon l’inscription sur plâtre que l’on voit près du mihrab, un certain Hadj Habib. Du point de vue architectural, la mosquée n’est ni purement maghrébine ni purement byzantine. Elle est le résultat harmonieux du mariage entre ces deux styles spécifiques. La salle de prière a, en son centre, une grande coupole de forme ovoïde très originale ; cette coupole est ouverte de quatre fenêtres ; elle porte une hampe traversée de trois boules de cuivre traditionnelles et s’achève avec un croissant. Il y a 24 m entre le niveau du sol et la pointe de la coupole. Le minaret a une hauteur de 30 m ; il est décoré de céramique sur ses quatre faces ; au premier niveau, le décor en céramique a la forme d’une ellipse ; au deuxième niveau, il forme un rectangle encadrant l’horloge ; au troisième niveau, il prend la forme d’une frise. Le minaret s’achève par un élégant lanternon orné de céramique et coiffé d’une coupolette portant une hampe identique à celle de la coupole. A l’intérieur, les piliers, les colonnes, les arcs outrepassés, les balustrades, le mihrab richement décoré de céramique et de bandes épigraphiques sculptées donnent à la mosquée un cachet particulier. Le minbar en marbre, véritable chef-d’œuvre, provient de la mosquée Es Sayida détruite en 1830. Cette mosquée qui n’est assurément ni ordinaire ni banale devrait faire l’objet d’une maintenance méthodique.

Il est navrant que l’horloge reste en panne des jours entiers. Il faut en finir aussi avec ces lampions multicolores et guirlandes lumineuses de fêtes foraines ou de kermesses de quartier, avec lesquels on prétend décorer la mosquée. Celle-ci mérite d’être équipée d’une installation moderne d’éclairage et d’illumination. A Istanbul, par exemple, la Mosquée bleue devient chaque soir de l’été, grâce à des jeux de lumière, une véritable féerie ; mais n’allons pas aussi loin et contentons-nous de regarder Notre-Dame d’Afrique qui surplombe le quartier Bologhine ; cette cathédrale n’est affublée d’aucune guirlande ni lampion ; elle est chaque soir illuminée avec des projecteurs placés en contrebas. Quel mal y aurait-il à s’en inspirer ? La mosquée Sidi Abderrahmane a été construite en 1696-1697. Fait rare en terre d’Islam, elle contient un tombeau, celui d’un saint homme, Abderrahmane Thaâlibi. On trouve aussi dans un petit espace jouxtant cette « mosquée-mausolée », trois tombes où sont enterrés le dey Mustapha Pacha, le bey Ahmed de Constantine et une personne qui, dit la légende, aurait provoqué la furieuse tempête qui a accéléré la déroute de l’armada de l’empereur Charles-Quint venu pour prendre Alger (23 octobre - 3 novembre 1541). L’architecture de cette mosquée intègre les deux styles byzantin et maghrébin, de façon harmonieuse et équilibrée. La mosquée Sidi Abderrahmane est très populaire, son état général est cependant désolant ; seule une restauration générale peut lui rendre son lustre d’antan.

Édifices en ruine, mémoire amputée

La mosquée Ketshawa a été tellement remaniée tant à l’extérieur qu’à l’intérieur qu’elle n’a presque plus rien de commun avec celle qu’a construite le dey Hassan en 1795. On a, en effet, arasé son minaret, refaçonné sa façade, construit deux tours-clochers que certains prennent pour des minarets et réaménagé l’intérieur. La plaque commémorative qui date de 1795 et la grande porte, œuvre d’un ébéniste algérois renommé, ont été enlevées et déposées au musée des Antiquités, comme des morts dans la morgue. Pour nous faire une idée de ce qu’était Ketshawa, il ne nous reste plus que deux lithographies de 1833 et 1837 qu’on ne trouve que dans quelques livres spécialisés. Ces reproductions d’époque nous restituent l’intérieur de Ketshawa qui était un merveilleux et majestueux ensemble de colonnes et d’arcs. Aujourd’hui encore, rien n’est épargné à Ketshawa ; sa façade principale est envahie d’herbes folles et de branchages, les murs se craquellent. La boiserie des fenêtres, en particulier celle des tours, se détériore. L’environnement est un dépotoir que chaque jour une cohue invraisemblable laisse derrière elle. Tout cela se passe dans l’indifférence générale.

Le panneau de signalisation routière planté au pied du parvis est un autre exemple de ce phénomène de banalisation de la médiocrité devant lequel on semble impuissant. Inapproprié au lieu, ce panneau n’est en plus d’aucune utilité, car il ne renseigne ni sur l’histoire de cette mosquée ni sur ses principales caractéristiques architecturales. Normalement, chaque monument devrait être pourvu d’une plaque portant le nom d’origine de l’édifice, sa date de construction, le nom du constructeur, au moins. Ces plaques quoique sommaires auront toujours quelque effet instructif et pourraient servir de moyen de sensibilisation sur l’importance de ces monuments, et par conséquent sur leur nécessaire préservation. On ne saurait cependant se contenter d’apposer ici et là des plaques. Il conviendrait, en attendant la mise en place d’une politique globale de promotion, diffusion et vulgarisation des monuments et sites historiques, de lancer l’impression de guides spécifiques. Cela est possible à réaliser ; on dispose en effet d’une abondante matière première ; les deux ouvrages de référence pourraient être le livre-thèse de Rachid Dokali, intitulé Les Mosquées de la période turque à Alger (SNED 1974) et le livre de Sid Ahmed Baghli intitulé Alger (ministère de l’Information, 2e édition, 1982).

Dans ce même ordre d’idées, il serait judicieux de susciter la création de deux « sociétés savantes » (pour reprendre une ancienne terminologie) qui seraient une société d’histoire et une société d’archéologie, propres à Alger, régies par la loi sur les associations et ayant pour objet la réalisation de travaux d’étude et de recherche, leur publication et l’organisation de conférences, colloques et séminaires sur les monuments, les sites et l’histoire d’Alger. La dernière étape de ce circuit conduit à la mosquée Ali Khodja et à celle appelée Djamaâ Barani. Elles ont été édifiées par le dey Ali Khodja en 1817-1818, l’une à l’intérieur de la forteresse de La Casbah, l’autre à l’extérieur. Ali Khodja venait en effet de transférer sa résidence et son divan du palais de la Jenina, où trop de coups d’Etat avaient eu lieu, vers la forteresse mieux protégée. La mosquée Ali Khodja est de type byzantin, celle de l’extérieur est de type maghrébin. La conception et la décoration de la première sont plus soignées et plus riches que la seconde. Elles cessèrent d’être des lieux du culte musulman le 5 juillet 1830, lorsque le général de Bourmont prit possession de la citadelle où fut perpétré l’un des plus graves « hold-up » de l’histoire des relations internationales que nous relatent deux livres-enquête, d’abord La vérité sur l’expédition d’Alger de Amar Hamdani (Paris 1985) puis Main basse sur Alger de Pierre Péan (Alger 2005).

La mosquée Ali Khodja servit, tour à tour, de dortoir puis de magasin, enfin de musée militaire. Djamaâ Barani fut utilisé comme casernement puis transformé en église. La mosquée Ali Khodja est en principe en cours de restauration, comme le Palais du dey et ses dépendances. Mais le chantier tire en longueur ; depuis son lancement, vingt ans ou presque se sont écoulés. En tout état de cause, quels que soient les motifs techniques que l’on pourrait invoquer pour expliquer tant de lenteur, la raison et le bon sens refusent d’admettre que la restauration qui se fait avec la technologie du XXe siècle, dure plus que sa construction elle-même qui ne disposait que des techniques de la fin du XVIIIe siècle. Quant à Djamaâ Barani, il n’est plus qu’une triste bâtisse avec sa façade de granito, ses gouttières en PVC, son étanchéité, ses haut-parleurs attachés avec du fil de fer. Même à la campagne, on ne voit pas de mosquée aussi mal entretenue.

Les six palais sont situés les uns à proximité des autres, en Basse Casbah. Ces palais : Dar Aziza, Dar Hassan, Dar Mustapha Pacha, Dar Es Souf, Dar Khedaoudj El Amia et Dar El Hamra. Ces noms auxquels on a tenté de substituer d’autres appellations n’ont jamais pu disparaître, la mémoire populaire les ayant précieusement conservés et préservés ; leur usage est de nos jours aussi courant que jadis.

Le palais Dar Aziza est un véritable chef-d’œuvre. Sa cour intérieure, ou patio, est d’une beauté saisissante, avec ses galeries, ses colonnes et leurs chapiteaux, ses balustrades en bois, le fer forgé des fenêtres, la pièce d’eau centrale, le marbre et la céramique. C’est à partir et autour de cette cour que tout le reste du palais s’ordonne et se développe. Situé près de la Jenina, ce palais servait de résidence aux hôtes de marque ; il devint propriété de la princesse Aziza qui était fille de dey et épouse de bey ; après 1830, il fut attribué à l’Evêché. Ce palais est aujourd’hui accessible au public et tout visiteur peut avec un peu d’imagination voir en son milieu : « Un patio andaluz con flores, fuentes, pajaros, huz y poesia. » Mais une fois à l’extérieur, le charme est brisé et tout se gâte ; sur les deux flancs du palais, plusieurs échoppes ont poussé comme des verrues. On ne sait qui a permis ce qu’il faut bien appeler des empiétements sur le domaine de l’Etat. Il y a ensuite ce toit en tôles ondulées et couvert de détritus, visible de la rue Ibn Badis.

Il y a aussi ces vitres de fenêtres, cassées ou dépareillées, ces fils électriques, anarchiques et cette antenne de TV qui apparaît sur la terrasse ! Il y a enfin derrière le palais cette courette avec une fontaine sans robinet ni eau, remplie de cartons d’emballage jetés. Dar Khedaoudj El Amia est un musée national, et en tant que tel il est ouvert au public ; ce palais qui aurait été construit au XVe siècle a été racheté et refait au XVIIIe siècle par un membre du divan qui en fit ensuite don à sa fille Khedaoudj. On a toujours dit de celle-ci qu’elle devint aveugle - d’où son surnom - à force de se contempler dans ses miroirs. Cette légende a tout l’air d’être l’adaptation algéroise du mythe grec de Narcisse. Le palais de Khedaoudj est comme celui de Aziza un véritable joyau ; tout y est élégance, harmonie et richesse. Pour celui qui a visité ce palais et le précédent, qui fort heureusement sont restés presque intacts, il ne saurait y avoir de doute qu’Alger était une cité policée et non une bourgade chaotique peuplée de forbans incultes. Les quatre autres palais qu’il reste à évoquer sont actuellement fermés pour cause de travaux. Mais aucun de ces chantiers n’affiche de renseignement ni sur le bureau d’études chargé de la maîtrise d’œuvre, ni sur l’entreprise de travaux, ni sur les délais contractuels de réalisation. Le palais Hassen est contigu à la mosquée ; comme celle-ci ; il a été construit par le Dey Hassan (1791 - 1797). Après 1830, il devint, sous l’appellation de Palais d’hiver, la résidence des gouverneurs généraux d’Algérie.

Dans les années 1950, il fut affecté à l’enseignement des études islamiques ; à l’indépendance, on y installa le ministère des Affaires religieuses puis le Conseil supérieur islamique. Ces changements de destination accompagnés d’occupation par des services administratifs ont bien évidemment laissé des traces tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ce palais qui fut sans doute très beau. On espère qu’il sera, une fois remis à neuf, ouvert au public. Les palais Dar Mustapha Pacha et Dar Es Souf, qui se trouvent à quelques pas l’un de l’autre, ont été construits par le Dey Mustapha (1798-1805). Le premier était sa propriété personnelle : en tant que dey, il résidait au palais des deys de la Jenina, et ne se rendait à sa propre demeure qu’en fin de semaine, du jeudi au vendredi. Ce qui singularise ce palais, c’est sa céramique dont chaque carreau représente un vaisseau, différent des autres, formant ainsi une imposante armada ; cette décoration témoigne de l’engouement d’une certaine classe sociale pour la mer et la marine. Appel au voyage et à la rêverie, cette céramique est d’une certaine manière aussi un rappel du rôle important que la marine algérienne a joué en Méditerranée et de la place privilégiée qu’elle occupait au sein des forces armées. Il n’est donc pas surprenant que les navires de guerre de notre actuelle marine portent les noms de quelques célèbres « raïs » de l’époque. Pour toutes ces raisons, Dar Mustapha Pacha pourrait, une fois rénovée, devenir le musée de la marine.

Dar Es Souf a été attribuée aux janissaires par le Dey Ahmed (1805-1808) dès son avènement. A leur tour, les généraux français en firent un hôtel militaire. Elle devint plus tard siège d’un tribunal pénal. Pendant la Bataille d’Alger (1956-1957), elle servit de « centre d’interrogatoires ». Celle-ci paraît tout indiquée pour l’installation d’un musée et d’un centre de documentation sur la Bataille d’Alger. Dar El Hamra, notre ultime étape, se trouve à quelques pas de la mosquée Ali Betshin et du Bastion 23 que d’aucuns, il faut le rappeler, ont failli raser, et qui a été sauvé et restauré en un temps record. Elle appartenait au Dey Hussein qui l’a construite en 1800, alors qu’il était membre du Divan en qualité de khodja El Kheil. Reliée au quartier de la marine par une longue galerie à voûtes, elle formait un imposant ensemble. Hussein qui en tant que dey résidait au palais de la forteresse s’y replia,vaincu et déchu, le 5 juillet 1830 pour la quitter définitivement le 11 juillet 1830 et partir en exil. Depuis cette date, Dar El Hamra a subi d’importantes modifications. L’inconscience et la négligence de ceux qui l’ont successivement occupée depuis 1962, l’ont réduite à un pitoyable taudis qu’accentue son sordide environnement. Le souhait que l’on fait, c’est que Dar El Hamra devienne le siège des deux sociétés d’histoire et d’archéologie dont on a parlé ci-dessus.

Symbole et hommage

On terminera, en formulant ces derniers souhaits. Le premier est que l’on maîtrise au plus tôt cette immense cohue faite de commerçants ambulants, de vendeurs à l’étalage ou à la sauvette qui, chaque jour, déferle des deux côtés de la voie publique. Tant que ce quartier sera abandonné à cette anarchie, rien de sérieux ni de durable ne se fera pour la réhabilitation de l’environnement des monuments énumérés. Le second souhait est que la place des Martyrs qui s’est convertie en un terrain dégradé, avec un kiosque à musique où l’on ne voit jamais de musiciens, soit enfin aménagée en un espace vert fait de bosquets, de haies et de parterres fleuris, comme la très ancienne Jenina, et que l’on y érige la grande statue équestre de l’Emir Abdelkader, qu’un choix douteux a isolée sur un rond-point encaissé de la rue Ben M’hidi. Alors la place des Martyrs retrouvera son ancrage historique, son âme et de la dignité. Placée au centre des trois cercles concentriques formés par le Maghreb arabe, l’Afrique septentrionale et la Méditerranée occidentale, située en plus dans l’axe de cet ensemble politico-économique que ses concepteurs ont baptisé Le Grand Moyen-Orient, la ville d’Alger doit, si l’on tient à ce qu’elle y joue quelque rôle, sortir de sa torpeur provinciale et se moderniser au pas de charge. C’est à ce prix qu’elle pourra avoir un avenir. Son passé, cependant, ne devrait pas être réduit à la portion congrue. A Alger, on peut lire, comme sur une coupe géologique, toutes les strates civilisationnelles et les séquences historiques successives qui sont à l’origine de l’apparition dans ce pays-ci d’un Etat et d’une nation.

Par Zineddine Sekfali, elwatan.com