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Refus de l’ouverture de l’audiovisuelle selon Bouteflika

“Jamais ! Voyez la presse écrite”

mercredi 17 mars 2004, par Hassiba

Dans le secteur de l’audiovisuel, qui reste un des ultimes bastions de la glaciation des “seventies”, l’ouverture, ce n’est pas pour demain la veille.
En tout cas, pas avec Bouteflika, dans le cas où il serait réélu.

Il l’a dit lundi soir à la télé et sur un ton qui en dit très long quant à l’amour particulier qu’il porte au pluralisme médiatique et aux desseins qu’il nourrit sur ce dossier. “Jamais ! Voyez ce qui se passe dans la presse écrite”, s’emporte-t-il face au confrère tombé des nues, qui a eu la mauvaise idée de le titiller sur ce sujet ô combien sensible.

Incurable nostalgique de la presse du parti unique qui éduque le bon peuple et tresse des éloges flatteurs aux “dirigeants éclairés” de la Révolution, Bouteflika voit d’un mauvais œil la pluralité des journaux qui s’offre aux Algériens et vit, la mort dans l’âme, leur existence. Pour lui, l’ouverture dans la presse écrite est assimilée à une sorte de dévergondage, voire une calamité contre laquelle il faut dresser des digues pour empêcher la contagion dans l’audiovisuel. Il l’a encore redit et avec la même acrimonie dans le propos : “Ce qui appartient à l’État doit rester à l’État.” En clair, il entend garder le monopole sur la télévision et la radio, car, croit-il, leur ouverture est porteuse des pires menaces sur l’unité nationale.

Drôle d’unité que celle qui serait sapée par des télévisions et des radios privées. L’argument est fort discutable, il rappelle les mêmes craintes et les mêmes réticences exprimées par ceux-là même qui étaient farouchement opposés au projet de Mouloud Hamrouche de donner, en 1990, la possibilité aux journalistes du secteur public de “tenter l’aventure intellectuelle”. L’unité nationale en est-elle pour autant mise à mal ? Dix années après, le bilan est positif. Force est de le reconnaître, en dépit des insuffisances multiples qui sont à mettre au débit de cette presse indépendante.

Dans ses pérégrinations à l’étranger, Bouteflika lui-même s’est toujours fait fort de décliner devant ses interlocuteurs, tel un gadget, la liberté de ton de la presse algérienne comme une preuve de l’ouverture démocratique dans le pays.

Mais tout porte à penser que l’opposition de Bouteflika à l’ouverture de l’audiovisuel, au-delà des arguties liées à l’unité nationale, obéit à des considérations d’ego.
Partant du principe que celui qui tient la télé tient le pouvoir, Bouteflika entend ainsi faire de l’Unique le miroir apprivoisé de sa personne. Quant à l’opposition, “elle n’a qu’à aller ailleurs”, comme il l’a encore dit lundi soir.

Mais dans le même temps, il tombe à bras raccourcis sur cette opposition qui, n’ayant pas d’autre choix, se rabat sur les chaînes satellitaires comme Beur TV, Berbère Télévision, K. News, Al Djazira, Al Arabia. Mais au-delà de ces calculs d’apothicaire, somme toute conjoncturels, Bouteflika peut-il ramer à contre-courant de la tendance universelle et maintenir le champ hertzien sous la coupe exclusive de l’État ? Quid de toutes les conventions signées avec les organismes internationaux ? Quid aussi de l’entrée prochaine de notre pays à l’OMC, laquelle exige des préalables en matière des droits de l’Homme et des libertés démocratiques, dont celle de la presse.
Cela, outre le paramètre sociologique qui fait de l’Algérie l’un des pays les plus parabolés. “Je pense que l’Algérie est mûre depuis longtemps pour l’ouverture du champ médiatique au privé, estime Abdou Bouziane, un des rares spécialistes algériens qui met en garde contre les velléités du futur Président qui viendrait nous dire qu’il faut une autre transition. Et d’ajouter : “Les Algériens ne sont pas prêts pour l’ouverture. Les Algériens ont prouvé le contraire, parce qu’ils ont fait de l’Algérie le pays le plus parabolé pour se faire une idée du monde. Cela veut dire qu’ils sont mûrs pour se faire une idée en regardant telle ou telle chaîne de télévision ou en écoutant telle ou telle radio.”

Question alors : Bouteflika ira-t-il jusqu’au bout de son jamais ?

N.S., Liberté