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Scènes de la vie pastorale à Tiaret

lundi 18 octobre 2004, par Hassiba

Quelque 160 kilomètres séparent Tiaret d’Aflou. À peine dépassée la commune de Aïn-D’hab que le paysage steppique réapparaît, avec ses étendues d’alfa et d’armoise...

60 kilomètres avant d’arriver à Aflou, nous faisons une halte à hauteur d’un puits traditionnel. Le puits est une véritable pièce de musée. Jadis fonctionnant à la force éolienne pour pomper l’eau, aujourd’hui, que du vent : le pylône à pales est en panne depuis bien longtemps, et pour puiser l’eau, les habitants du coin ont recours à un procédé pour le moins pittoresque : un jeune dispose une guerta pendue à une corde et la fait descendre à 60 mètres dans le puits asséché, moyennant une poulie.

Pour faire remonter l’eau, un vieux canasson fatigué est mis à contribution pour tirer sur la corde. Il recule ainsi à chaque fois d’une cinquantaine de mètres, monté par le jeune Zerrouk, son “jockey”. L’eau est déversée dans une douve où les bêtes viennent se désaltérer avec appétit. Ameutées autour de l’abreuvoir, les bêtes se jettent goulûment sur le liquide saumâtre. Des brebis, des chèvres, des boucs, des bugles, des vaches, des ânes, des chevaux. Tout un parc animalier à dominante ruminante. Les bêtes sont assommées par le soleil cuisant. Le tableau a quelque chose de primitif. On se croirait volontiers à l’époque française, et cela va jusqu’à l’accoutrement de ces pauvres gens qui nous invitent à un voyage dans le temps, aux fins fonds de la nuit coloniale.

Les exclus de l’Indépendance
De fait, ces bergers se sentent exclus par l’Indépendance. “Hadja ma cheinaha me doula”, peste Abed Chekla, 28 ans, berger de longue lignée. Avec ses trois frères, il garde les troupeaux de plusieurs douars réunis, soit plusieurs centaines de têtes. “Il y a 50 ovins et 1 000 caprins dans nos douars”, confie-t-il.

Ici, nous sommes au lieu-dit El-Qoriba, dans la commune de Naïma, aux confins de la wilaya de Tiaret. Le paysage est franchement saharien. Il y a même quelques monticules de sable ocre qui moutonnent par-ci, par-là. Mais pas de trace d’une quelconque kheïma. “Les tentes sont un peu plus loin. Il y en a une bonne quarantaine. Nous habitons tous dans des tentes, et ce, depuis toujours”, dit Abed. Même s’ils logent sous une kheïma et qu’ils gagnent leur pain exclusivement du pacage, Abed et les autres ne sont pas des nomades sous le strict critère de la mobilité transhumante. Cela dit, tout dans leur humus et leur habitus reflète l’austérité et la beauté de la vie pastorale.Sur une charrette tirée par un beau cheval blanc, un cheval manifestement épuisé et trottant clopin-clopant, un homme s’affaire à remplir une guerba en caoutchouc, confectionnée à base de pneumatique. Pneumatique. Chambre à air. Encore une histoire d’air. Encore une histoire de vent. “Ma kayen ghir errih”, semble crier la carcasse de l’éolienne, abandonnée aux quatre vents. La sécheresse se lit sur ces objets d’un autre âge. La misère surtout. “Nous n’avons pas d’eau. La sécheresse a décimé la région. L’eau est infecte et bouillante. Mais nous n’avons pas le choix : nous sommes obligés de nous approvisionner dans ce puits pourri, au même titre que les bêtes”, fait remarquer Abed sur une pointe de fureur.

“Nous n’avons ni eau, ni électricité, ni gaz, ni rien. Nous vivons dans un autre âge. Pour nous éclairer la nuit, nous utilisons encore des lampes à pétrole et des quinquets. Pour nous déplacer, nous le faisons à dos de baudet. Nous sommes coupés de tout. Il n’y a ni routes, ni transport, ni rien chez nous. Pour te rendre en ville, tu dois poireauter pendant des heures sur la route, au soleil, dans l’espoir que quel qu’un s’arrête. Et souvent tu rentres bredouille. Il y a un mois (juillet 2004, ndlr), une femme est morte d’une morsure de scorpion. Elle n’a pu être évacuée à l’hôpital. Il n’y a pas de dispensaire dans nos douars, pourtant, nous sommes environ 40 kheimas.”

Détresse pastorale
Abed a le cœur gros et sa rage le rend loquace. Pourtant, il n’a nullement besoin de parler : la détresse de cette population est éloquente.
Les jeunes pasteurs tentent de tremper leur mal-être dans le travail. Les vicissitudes de la vie rustique ont au moins ceci de réconfortant qu’elles ne s’accordent pas avec le chômage, plaie exclusivement urbaine. Il y a toujours quelque chose à faire dans la campagne. Abed garde ainsi les troupeaux de la tribu avec ses trois frères. “Je gagne 6 000 DA, c’est tout. Que faire avec 6 000 malheureux dinars ?”, lâche Abed Chakla. “Nous devons acheter un sac de semoule pour la famille et un sac pour nourrir le cheval. Les chevaux sont fatigués. Ils font 5 km maximum. On ne sait pas si on doit nourrir les nôtres ou bien les bêtes. Parfois, les bêtes passent avant les hommes !” Abed aurait volontiers changé de métier. Mais il doit s’occuper de sa famille. “Allah Ghaleb, rana m’qabline echouabine”, confie-t-il. Il va de soi qu’il n’a jamais été à l’école. Ses frères non plus. Même le tout dernier, 7-8 ans, n’ira pas à l’école. Pieds nus, en haillons, son avenir est d’emblée bouché : il sera berger comme ses frères.

Par Mustapha Benfodil, El Watan