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Statut de victime du terrorisme : Le parcours du combattant

mercredi 23 février 2005, par Hassiba

Au début de l’année 2004, quelques familles victimes du terrorisme, venant des quatre coins de la wilaya de Béjaïa, s’étaient réunies au siège de l’Union locale des femmes algériennes, à la cité Tobal, afin d’élire des représentants locaux de l’ANFVT pour « s’organiser, diagnostiquer [leurs] contraintes et défendre [leurs] intérêts, moraux et matériels, collectivement ».

L’assemblée « générale » se solda effectivement par la mise en place d’un bureau et la désignation de délégués à travers les communes concernées, mais l’initiative « tomba vite à l’eau », de l’aveu même de ses initiateurs.A défaut de permanence, aucune réunion n’a été tenue depuis, et l’association a été pratiquement mise en veilleuse aussitôt née. Dispersés, ses membres continuent d’œuvrer individuellement, et souvent dans la solitude et la difficulté, pour le recouvrement de leurs droits.De nombreux parents des éléments des forces de l’ordre assassinés, sans assistance aucune, peinent à constituer leurs dossiers d’ayants droit et éprouvent des difficultés à faire valoir leur cas auprès des pouvoirs publics. Les exemples sont légion et « la défaillance » de l’administration et des associations concernées n’est plus à établir.

Ayache (appelons-le ainsi), émigré retraité, a éprouvé toutes les peines du monde pour se faire délivrer une attestation de victime du terrorisme, exigée par la cinquième région militaire (Constantine) pour la constitution des dossiers de tous les ayants droit de la tragédie nationale.Le sexagénaire, qui a mis un terme définitif à son exil parisien suite à l’assassinat de son fils, fusilier marin, fin février 1997 à Texana (Jijel), a dû se démener comme un diable pour prouver, document à l’appui, que son « benjamin » a été effectivement assassiné par les terroristes alors qu’il accomplissait son devoir de représentant de l’Etat. L’homme a été dérouté par la bureaucratie et se dit, aujourd’hui encore, « sidéré par la démission des pouvoirs de l’époque et l’absence sur ce registre des associations dites de victimes du terrorisme ».

Un parcours du combattant, plein de rebondissements, qui résume à lui seul toute l’anarchie qui avait sévi une décennie durant sur l’ensemble du pays. Au niveau de la commune de naissance, d’abord, aucun indice sur l’origine de la mort du concerné, pourtant « biffé » sur les registres de l’état civil. Le préposé au guichet s’excuse et oriente notre homme vers le procureur de la République près le tribunal de Texana, où a eu lieu l’assassinat. Là encore, l’extrait de radiation du corps des fusiliers marins, portant en mention les circonstances de la mort, a été jugé « nul » pour absence du cas en question dans les archives de l’institution judiciaire.

Notre interlocuteur a été, encore une fois, dirigé sur la brigade locale de la gendarmerie qui devrait -en principe- disposer d’un P.-V. de constat circonstancié de l’attentat en question qui avait, pour rappel, coûté la vie à plus d’une dizaine d’éléments de la marine nationale.Peine perdue pour la troisième fois, puisque « apparemment, aucune enquête n’a été entreprise à ce niveau au lendemain de l’attentat », lâche-t-il en fronçant toujours les sourcils, très étonné. « L’officier de permanence, pour atténuer ma désillusion, me rappela la violence et la fréquence quasi quotidienne des attaques terroristes au moment des faits.

Il me dira textuellement que ses services étaient submergés par les enquêtes à mener et que tout le monde s’employait à s’auto-défendre, d’abord, devant la déferlante intégriste », se rappela-t-il avec une sympathie encore vivace pour « la franchise et la loyauté » du jeune officier. Perdu dans ce labyrinthe administratif, le vieil homme aurait abandonné sa quête sans la ténacité des collègues de son fils fauché à la fleur de l’âge, toujours de service, qui ont épluché toutes les archives de l’unité des jours durant avant de tomber sur un document attestant sans l’ombre d’un doute les circonstances de la mort du jeune marin. C’est seulement alors, après plus de deux semaines d’allées et venues, que le procureur de la République accepte de délivrer la fameuse attestation indispensable à la constitution du dossier d’ayant droit.

Un cas, parmi tant d’autres, qui témoigne des contraintes endurées par les familles victimes du terrorisme pour se faire reconnaître en tant que telles. S’il est vrai que toutes les associations caritatives, à commencer par le Croissant-Rouge algérien, se font toujours un devoir de venir en aide aux familles victimes en difficulté socio-économique, la situation est tout autre lorsqu’il s’agit de régulariser leur situation administrative. Pour de nombreuses familles éplorées qui se trouvent justement dans cette condition, les associations doivent d’abord être de leur côté à ce moment précis pour s’occuper ensuite de politique et des revendications morales et matérielles des victimes de la barbarie terroriste.

« Bien au-delà des enjeux politiques et de pouvoir, je me bats aujourd’hui pour honorer la mémoire et le juste combat de mon fils et de tous ceux qui ont eu la même fin tragique dans la sauvegarde des institutions de leur pays et la protection des faibles parmi leurs concitoyens dans les moments les plus sombres qu’ils aient connus », avoue Ayache, les yeux presque larmoyants. « L’idéal », selon lui, serait aujourd’hui de situer toutes les responsabilités, de souligner toutes les défaillances, et de dénoncer tous les dépassements pour repartir du bon pied, car, termine-t-il, « la nation a besoin d’une stabilité durable pour panser ses blessures et rattraper ensuite le temps perdu en offrant à tous les Algériens leur chance de contribuer au développement de leur pays. »

Par Kamel Amghar, La Tribune