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Tizi Ouzou clochardisée

jeudi 7 octobre 2004, par Hassiba

C’est un paradoxe historique : la ville des Genêts est une cité relativement nouvelle si l’on fait une comparaison avec, par exemple, la capitale des Hammadites, mais qui nourrit quand même l’ambition d’être un jour la métropole de demain.

Tizi Ouzou était à vrai dire un village. Elle n’avait rien d’une ville ni à l’époque ottomane ni lors de la colonisation française. D’ailleurs jusqu’à une époque très récente, on appelait Tizi Ouzou “Lbiladj” (le village). Aujourd’hui, la ville des Genêts s’est métamorphosée, ayant connu un développement rapide et anarchique. Et pour cause, ce ne sont sans doute pas ces pachydermes en béton en guise de bâtiments qui peuvent donner des attributs “citadins” à un ancien village colonial.

Les programmes successifs de développement, s’ils ont permis à Tizi Ouzou de s’agrandir, certes, anarchiquement, n’ont pas pour autant donné à “lbiladj” les attributs d’une ville moderne. À telle enseigne que tout son foncier est actuellement squatté, et que si jamais elle a besoin de construire encore des édifices publics, il n’y aura plus d’assiettes de terrain pour ce faire. Même les rares espaces verts sont sacrifiés sur l’autel du béton. C’est que les autorités qui se sont succédé à la gestion de la cité n’ont pas eu le souci de préserver ces espaces verts et autres jardins publics, pourtant partie prenante du cadre de vie. Prenons l’exemple de la Nouvelle-Ville. C’est plutôt l’exemple type de l’anti-ville. En quoi des bâtiments en série formant une cité-dortoir peuvent-ils constituer une ville, encore moins une nouvelle ? Ces nouveaux pachydermes ont plutôt “ruralisé” la ville de Tizi qui commence à perdre un à un ses repères identitaire, culturel, social, urbanistique et autre architectural. C’est une clochardisation au pas de charge qui a contaminé la ville des Genêts. Même le ramassage des ordures ménagères semble problématique pour les autorités locales.

Les élus locaux au lieu de s’occuper des problèmes des citoyens sont entrés des mois durant dans une véritable guerre de tranchées pour le contrôle de l’APC. Ce qui n’a pas été sans conséquence sur le développement de la commune. Des quartiers vivent dans le dénuement total ; ils sont, certes, à quelques encablures de la ville de Tizi, mais à des années-lumière de la ville. Qu’a fait l’exécutif municipal pour ces quartiers laissés pour compte ? Au centre-ville, si les trois trémies ont un tant soit peu absorbé le trafic routier qui a tendance à asphyxier la ville, beaucoup reste à faire dans d’autres domaines. Le centre-ville est tout simplement livré à lui-même. On dirait qu’il n’y a plus d’autorités. Les élus de l’opposition se sont attelés à déboulonner le maire de son siège pendant que celui-ci manœuvre pour y rester. L’intérêt du citoyen peut attendre. L’espace public est squatté au détriment des citoyens ; les trottoirs sont achalandés de marchandises de toutes sortes, la chaussée est transformée par endroits en des parkings payants, les jardins publics ont perdu leur vocation première... Cela renseigne sur l’absence de l’autorité publique.

Ce qui a engendré un pourrissement qui a rendu invivable la ville de Tizi Ouzou. Mais l’on comprendra aisément que ce pourrissement a été entretenu délibérément, comme pour punir la population, “politiquement incorrecte” aux yeux du pouvoir central. De nouveaux fléaux sociaux ont fait leur apparition depuis que l’État s’est presque effacé. Le vol à la tire, la consommation de drogue, l’incivisme, les agressions sont devenus monnaie courante de nos jours. La situation est intenable.

Réorganiser les transports publics
Il a fallu l’implication du wali de Tizi Ouzou dans les affaires de la mairie pour voir les choses bouger finalement. Pourtant, la ville des Genêts a des policiers ; normal puisque les commissariats poussent comme des champignons dans tout Tizi. N’est-ce pas l’une des missions principales de la police que de préserver le cadre de vie ? C’est ainsi que la force publique réquisitionnée par la première autorité de wilaya n’a pas trouvé de difficultés à chasser tous les “marchands sans papiers”, qui squattent l’espace public impunément. Ce nettoyage a permis à la ville de respirer un peu.

Mais visiblement, le pouvoir ne recourt à la police que quand il s’agit de réprimer toute protestation politique. C’est du moins l’impression qu’il donne. Pour le reste, le pouvoir laisse faire, faisant oublier à l’Etat l’une de ses missions régaliennes. En plus des trabendistes qui squattent des boulevards entiers, les commerçants légaux étalent leurs marchandises à même les trottoirs, connus pour être très étroits. Ce qui rend la circulation piétonnière pratiquement impossible. Pourtant, occuper un espace public est censé être soumis à un impôt en sus d’une autorisation en bonne et due forme. Mais il n’y a pas que cela. Un autre problème pervertit la vocation citadine de Tizi Ouzou : la “fermeture” de la ville à 18 h, voire 17 h. C’est ce qui a inspiré cette réflexion à un observateur : “Entre nous, une ville qui ferme ses portes à 17 h comme une administration publique n’en est pas une.” Mais cet état de fait trouve son explication dans la désorganisation du transport public. Ce dernier connaît une grande anarchie qui ne semble pas inquiéter outre mesure les pouvoirs publics.

Des transporteurs publics qui mettent leurs véhicules à l’arrêt à 17 h, heure de pointe par excellence, commettent un manquement à la loi dès lors que leur cahier des charges n’est pas respecté. La direction des transports est ainsi interpellée pour mettre de l’ordre dans ce secteur aussi vital. “Ailleurs, les villes sont animées à partir de 17 h, chez nous c’est à ce moment-là que la ville commence à fermer”, constate le même observateur qui responsabilise les autorités publiques.

Car, c’est à celles-ci qu’incombe la gestion de la vie publique. À titre d’exemple, prolonger l’ouverture des magasins et l’activité du transport est une manière toute simple de maintenir la ville animée au-delà de l’horaire psychologique de 17h. Voir les fonctionnaires faire leurs courses après le boulot et les étudiants les vitrines après leurs cours de TD constitue une valeur de citadinité. Reste le problème de l’insécurité ; celui-ci peut être réglé par la présence en nombre des forces de l’ordre, le personnel de la police étant disponible numériquement. L’absence d’une vie citadine a donné naissance à de nouveaux comportements sociaux qui ont dévalué la vie en communauté. Cette perte de repères est à l’origine de la clochardisation sociale qui gangrène Tizi Ouzou, où les valeurs sont inversées. Pourtant tout n’est pas perdu pour peu que tout un chacun se ressaisisse. Et d’abord les autorités locales.

Métropole de demain ?
Réserver les trottoirs aux seuls piétons ou nettoyer les jardins publics transformés en points de vente de toutes sortes de drogue, ne constitue pas en principe, une mission impossible aux autorités censées être au service du citoyen. Mais bon. Telle l’autruche, les pouvoirs publics font semblant de pas voir ; entre-temps, la consommation de la drogue s’est socialisée au moment où le cadre de vie s’est clochardisé et l’environnement dégradé. La récession économique y est également pour beaucoup dans cette perversion des repères de la vie citadine. Normal à partir du moment où le pouvoir ne peut rien offrir aux jeunes que des horizons bouchés, faits de misère sociale et de chômage endémique. Alors quelles perspectives pour une ville déstructurée comme Tizi Ouzou ? Une ville qui a pourtant l’ambition d’être la métropole de demain. Le tout nouveau maire de Tizi Ouzou, Chérif Aït Ahmed en l’occurrence, aura-t-il les coudées franches pour redorer le blason d’une ville qui ne l’est plus ? A plus forte raison que la municipalité, dont la population avoisine aujourd’hui 200 habitants, a connu trois semestres de mauvaise gestion, plutôt de non-gestion du fait de la guerre des élus pour le contrôle de l’APC. L’édile FFS, installé la semaine dernière, a promis de “collégialiser” la gestion de l’assemblée, histoire “d’éviter de tomber dans les erreurs qui ont conduit par le passé à la paralysie de son fonctionnement”.

Le premier responsable de la wilaya, qui s’est impliqué un moment dans la gestion de la commune suite au blocage induit par la procédure de destitution de l’ex-président d’APC, Omar Cherrak pour ne pas le nommer, aura sans doute l’œil rivé sur le travail que le nouvel exécutif aura accompli dans les prochains jours. “Cette APC dispose de suffisamment de moyens matériels et humains pour assurer un cadre de vie agréable aux citoyens ; seulement nous avons constaté beaucoup de mauvaises volontés parmi ses effectifs (...) Je n’ai pas du tout l’intention de permettre à quiconque de continuer de mépriser les citoyens”, a assené le wali lors d’une réunion avec les membres de l’APC qu’il a promis de soumettre à une évaluation hebdomadaire. Des instructions fermes ont été données par le wali pour mobiliser tous les moyens dont dispose la commune en vue de rendre propres les boulevards de la ville.
La réhabilitation de la ville en tant qu’entité sociale moderne semble être l’une des priorités de la nouvelle équipe aux commandes de la municipalité. Et d’abord nettoyer les rues de la ville des Genêts qui “produit” quotidiennement plus de 150 tonnes de déchets ménagers, à telle enseigne que le sobriquet de “Petite Suisse” collé à Tizi Ouzou est désormais un souvenir lointain, très lointain.

Maintenant, si Aït Ahmed et son équipe ont peut-être les moyens de régler un certain nombre de problèmes que la ville traîne comme des boulets, il restera pour la ville des Genêts l’ambition historique et stratégique pour ainsi dire de devenir la métropole incontournable de toute la Kabylie. Tizi a-t-elle vraiment les moyens et surtout le profil pour être la métropole de demain ?

Par Yahia Arkat , Liberté