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Virée nocturne avec la BMPJ de Tizi Ouzou

lundi 11 avril 2005, par Stanislas

Tizi Ouzou, la nuit, n’est qu’une immense agglomération aux caprices constamment changeants. Cette ville, qui peut aisément passer de la plus sage à la plus tumultueuse des cités, est d’une frivolité déconcertante.

Tizi Ouzou se fait un malin plaisir de changer d’humeur à chaque fois que la routine y devient pesante. Néanmoins, quand elle s’offre au sommeil et aux immoralités de la nuit, des hommes, anonymes, se font le devoir de gérer ses pulsions incroyablement inconstantes. Des hommes qui, chaque nuit que Dieu fait, héritent des ruelles sombres et incertaines de la ville pour y entretenir la rémission jusqu’à l’aube d’un nouveau jour.

Quoique il a été dit sur ce métier

Virée la BMPJ de Tizi Ouzou.

(en Kabylie ou ailleurs) la police compte bien dans ses rangs des éléments intègres et loyaux. Une nuit passée en leur compagnie nous a permis de le constater et, mieux, de battre en brèche certaines idées reçues. Pour réaliser ce reportage aucune formalité particulière ne nous a été imposée. Une courte entrevue avec le patron local de la PJ a suffit pour arrêter le jour et l’heure de la sortie. Tout a été conclu en un quart de tour. Le rendez-vous est pris pour le mercredi à 19h30.
Nous, c’est à 15 minutes de l’heure convenue que nous atterrissons au siège de sûreté de wilaya de Tizi Ouzou, Madjid-A, le commissaire wilayal de la police judiciaire nous attendait déjà dans le hall principal de l’immeuble. "Maintenant, je suis à vous !", lâche-t-il à notre endroit comme pour nous attester que sa journée était - comme toutes les autres d’ailleurs - longue et épuisante.

En fait, à deux piges de la quarantaine, l’officier Madjid est responsable de toutes les opérations menées par la PJ sur le territoire de la wilaya. C’est lui qui supervise, chapeaute et coordonne les activités de corps de sécurité. Aucune enquête, aucune intervention ne se fait sans sa présence, ou du moins, son aval. Et c’est peut être ce portrait qui a greffé en nous l’image d’un commissaire arrogant et exclusivement ordonnateur, comme la majorité de ceux que notre génération a connu. Ce préjugé, un peu prématuré certes (mais ô combien légitime pour les jeunes de la Kabylie) s’est finalement dissipé de lui-même. Quand nous rentrons au bureau de l’officier, où nous devions discuter de l’itinéraire de notre sortie, nous fûmes surpris - étonnés presque - par les rapports inhabituellement courtois que le commissaire entretenait avec ses subalternes. Ferme, mais respectueux et plein d’humilité, Madjid semble incarner la stature d’un vrai meneur d’hommes.

Les dix petites minutes passées en son bureau étaient édifiantes à ce propos : l’officier rassemble ses hommes, leur confie leurs missions, puis les invite, avec une politesse qu’on croyait révolue dans ce métier, à s’exécuter sur le champ. Il est presque 20 heures. Notre hôte nous fait rappeler - sur un ton d’ironie - que notre reportage devrait être réalisé dans la ville et ses périphéries et non dans les vestibules du commissariat. Il était donc l’heure de partir.

Un bouclier de fer

Sans trop divaguer, nous atteignons le parking et nous nous mettons à bord d’un véhicule banalisé mis à notre disposition. L’officier "Baghdad", notre deuxième accompagnateur, se saisit du volant. Destination le siège de la 1re sûreté urbaine, où nous devons récupérer l’officier Djamel, le chef de la Brigade criminelle. Le moment que nous avons tant attendu (et appréhendé surtout) est venu. La patrouille nocturne est bel et bien inaugurée.
Bien qu’il soit relativement jeune pour le poste qu’il occupe, le commissaire Madjid a déjà plus de 13 ans de service à son actif. Baghdad en a 10. Djamel, lui, c’est un vieux routier, cela fait vingt ans qu’il a intégré les rangs de la police nationale. On l’a tout de suite compris, il faudrait bien plus qu’une banale virée de nuit pour impressionner nos accompagnateurs. A eux trois, ils totalisent plus de 43 ans de bons et loyaux services. Et c’est d’ailleurs par cela que nous expliquons leur attitude extrêmement décontractée tout au long de la sortie. Nous, stressés et anxieux à la seule idée de savoir que nous devons quitter la ville à un moment donné, nous ne parvenons toujours pas à placer le moindre mot. Les officiers continuent de deviser tranquillement. Ils ont même été jusqu’à parler de la pluie et du beau temps. Aucun intérêt n’est accordé aux risques encourus par la patrouille.

Madjid, impassible, jusque-là à notre silence, décide de nous associer aux débats. C’était moins pour dégeler l’atmosphère, que pour atténuer nos inquiétudes. Il entreprend alors de nous relater tout un foisonnement d’explicatifs. "Pour commencer, on va sillonner les artères de la ville pour que vous puissiez examiner de vous-mêmes, les réelles capacités de notre dispositif sécuritaire". Le dispositif dont parle l’officier c’est, tout d’abord ces dizaines de policiers qui investissement de nuit les quatre coins de la cité et dont la mission (la seule et l’unique) consiste à sécuriser le maximum de périmètres urbains ainsi que les faubourgs immédiats de la ville. Cette dernière est, par ailleurs, quasiment quadrillée par cinq points de contrôle permanents dressés sur toutes les sorties par les éléments des 7e et 11e unités républicaines. A l’intérieur de l’agglomération, pas moins de six unités mobiles se chargent d’y assurer l’ordre. Leurs misions de contrôle, de surveillance (et d’intervention si nécessaire) ne prennent fin qu’au lever d’un nouveau jour. D’autres unités prendront la relève et exécuteront la même tâche dès 7h du matin.

Ces petites brigades régentées dans leur fonctionnement par la PJ et la BMPJ sont d’une efficacité avérée. Elles sont plutôt "redoutées" pour leur déconcertante agilité en milieux urbains. Les barrages inopinés qu’ils y dressent y sont pour beaucoup. Ceci dit, et dans la finalité de mieux coordonner les mouvements de ces unités, ainsi que leurs liaisons radio, un service de permanence est quotidiennement assuré au siège de la sûreté de wilaya.
Outre sa mission de supervisation des opérations, ce service s’assigne comme tâche supplémentaire de recevoir les appels d’urgence émanant des citoyens ainsi que les dépôts de plaintes. Cet océan d’éléments explicatifs a fini par nous embrouiller. Il aura tout de même fallu trois gros quarts d’heures pour assimiler toutes ces dispositions. On décide dès lors de passer à autre chose.

Leurs misions de contrôle, de surveillance (et d’intervention si nécessaire) ne prennent fin qu’au lever d’un nouveau jour. D’autres unités prendront la relève et exécuteront la même tâche dès 7h du matin. Ces petites brigades régentées dans leur fonctionnement par la PJ et la BMPJ sont d’une efficacité avérée. Elles sont plutôt "redoutées" pour leur déconcertante agilité en milieu urbain. Les barrages inopinés qu’ils dressent y sont pour beaucoup.

On entame la 23e heure de la journée. Une franche intonation de morosité s’installe dans la voiture. D’abord parce que cela fait un bon moment qu’on parcours la ville en amont et en aval, et puis, et surtout, Tizi demeure terriblement calme. La nuit risque donc d’être longue et ennuyeuse. Pour l’heure, seuls les agaçants crépitements des talkies-walkies meublent l’atmosphère. la fraîcheur des premières minutes a failli céder le pas à la torpeur et la lassitude. De fait, nous entreprenons de proposer à nos accompagnateurs, devenus beaucoup moins bavards s’il était possible d’aller "explorer" certains quartiers réputés chauds de la ville. Toujours aussi aimable, l’officier Madjid demande au chauffeur de se diriger vers la Haute-ville. "Vous savez, cette cité n’est plus aussi agitée qu’elle a eu à l’être dans le passé. Présentement, le taux de la délinquance y a sensiblement baissé. Mieux, ce dernier a même fini par s’aligner sur la tendance générale de la criminalité de la ville", s’explique le commissaire comme pour nous signifier qu’il n’a accédé à notre petite requête que pour satisfaire notre curiosité. En chemin, nous constatons que les artères et les ruelles se sont définitivement vidées. Dégarnies et désertes, elles semblent comme avoir gagné en largeur. C’est ce même décor qu’offre les quartiers périphériques de la carrière et de la Haute ville.

Le voisinage n’y est pas forcément rassurant, mais le calme s’érige en maître incontesté des lieux. Il n’y a donc rien à glaner ici. Nous décidons de changer de périmètre. On va quitter la ville. Djamel, le chef de la brigade criminelle, se saisit de sa radio, littéralement scotchée à sa main, pour rappeler toutes les unités de service qu’il fallait localiser et intercepter une Clio blanche, trois portes, immatriculée en France. “Les occupants de ce véhicule sont suspectés de transporter une importante quantité de drogue. Nous sommes sur ses traces. Nos hommes lui ont déjà tendu des souricières partout en ville...”, nous disait spontanément l’officier Djamel, sans avoir à lui adresser le moindre questionnement. Les messages radio se suivent et se succèdent. Madjid, lui, continue de coordonner les opérations. La mystérieuse Clio blanche demeure toutefois insaissisable. Soudain, au carrefour de l’académie, sur la route menant vers Boukhalfa, une unité de la PJ en patrouille dans le coin, s’immobilise brusquement. C’est un barrage inopiné. Tous les véhicules empruntant ledit axe sont systématiquement contrôlés. La même patrouille reproduira le même procédé, plusieurs fois dans la même nuit. Les axes les plus sensibles de la ville sont prioritaires. Les contrôles de ce type y sont très fréquents.

A la rencontre de l’inconnu !

“Vous n’êtes décidément pas quelqu’un de chanceux ! Je sais que pour réussir votre reportage, vous aurez bien aimé assister à l’une de nos interventions. Mais Tizi est comme cela, versatile, elle ne peut obéir à une humeur constante. De fait, il y a fort à parier que pour cette nuit, ses pulsions vont plutôt se pencher vers la tranquillité. On ferai mieux de quitter les milieux urbains...”. Cette appréciation émanant de l’officier Madjid nous apparaît comme une sentence : c’est trop calme pour ce chevronné de la lutte anti-terroriste qui peut se vanter d’avoir passé plus de temps dans les opérations de terrain que dans les bureaux, qu’on sait confortables, des commissariats. On décide de se rendre dans la banlieue. Première mesure à prendre : signaler notre position au commandement wilayal de la BMPJ, sis à la sortie “est” de la ville, à proximité du lieu que les Tizi-Ouzéens appellent communément “la pompe Chaâbane”. L’utilité d’une telle démarche est toute simple : on ne peut s’aventurer dans la périphérie sans être escortés de près. D’ailleurs, à peine arrivés à hauteur de la caserne, une deuxième voiture banalisée était déjà là à nous attendre. A son bord, quatre jeunes policiers armés de kalachnikovs.

Après un court échange d’amabilités, nous empruntons la RN12 puis nous bifurquons vers la route de Tigzirt. L’ambiance devint tendue. La route est quasiment déserte. Les décors sont peu rassurants. L’obscurité accentue nos inquiétudes. Nos yeux n’arrivent plus à s’arracher du rétroviseur intérieur depuis lequel on pouvait s’assurer que notre escorte ne nous lâche pas d’une semelle. A chaque fois que celle-ci s’éloigne de nos regards, pour épouser les contours d’un virage ou pour se maintenir à une certaine distance de sécurité, on se mettait, bien malgré nous, à penser à un tas de scénarios catastrophe. De plus, Madjid toujours aussi à l’aise sur son siège avant, se permettait même des petites moqueries qui ont fini par nous inconforter encore davantage. “Vous savez, ici, on est nullement à l’abri d’une embuscade ! Plusieurs attaques terroristes ont eu lieu sur cette même route, et il n’est pas du tout évident que notre escorte puisse intervenir à temps pour repousser l’assaut. Eux, ils sont derrière, et en cas d’attaque, c’est nous qui serons ciblés en premier...!”, lança-t-il à notre endroit sur un air de rigolade, avant d’ajouter : “Comme ça au moins, vous seriez sûr d’avoir réussi un vrai scoop, mais encore faut-il avoir la vie sauve !...”. Les propos de l’officier, quoi qu’énoncés pour distraire l’atmosphère, nous laisse sans voix. La boutade était de mauvais goût certes, mais il fallait bien trahir nos appréhensions par un rire tout aussi moqueur. On a plus vraiment le choix, nous devons aller jusqu’au bout de l’aventure. Après tout, c’est nous qui avons voulu explorer le coin à une heure aussi tardive.

“Vous savez, ici, on est nullement à l’abri d’une embuscade ! Plusieurs attaques terroristes ont eu lieu sur cette même route, et il n’est pas du tout évident que notre escorte puisse intervenir à temps pour repousser l’assaut. Eux, ils sont derrière, et en cas d’attaque, c’est nous qui serons ciblés en premier...!”, lança-t-il à notre endroit sur un air de rigolade avant d’ajouter : “Comme ça au moins, vous seriez sûr d’avoir réussi un vrai scoop, mais encore faut-il avoir la vie sauve !...”.

Sur la route de Thala-Athmane, que nous parcourons depuis plusieurs minutes, les bars et les débits de boissons alcoolisés forment un enchaînement qui nous semble interminable. Leurs enseignes lumineuses, d’un gabarit parfois impressionnant, éclairent des tranches entières de bitume. A se fier au nombre de véhicules immobilisés dans ce qui semble être des parkings, l’on déduit, assez facilement, que les lieux ne désemplissent pas en clients. Cet afflux, très “normal” pour un début de week-end, on l’a également constaté à l”entrée de l’un des cabarets les plus prisés du patelin. Du coup, nos accompagnateurs décident d’y effectuer une descente. “Ca sera un simple contrôle de routine !”, rassure le commissaire qui vient, par la même de nous convier à prendre part à l’opération. Nos deux véhicules stationnent à proximité de la bâtisse qui vibre, de la façon la plus nonchalante sur des morceaux dansants diffusés à très hauts décibels. Seuls les officiers Madjid et Djamel y accèdent. Le reste de l’équipage se poste à l’entrée principale de l’établissement. Tact professionnel, réflexe de flics, ou simple mesure de sécurité on ne le saura jamais.Le cabaret n’est pas aussi grouillant qu’on le pensait.Juste quelques jeunes, amassés autour de tables presque dégarnies, ornent les décors, entortillés par l’alcool et les ravissantes silhouettes qui vadrouillent devant leur yeux hagards, une bonne partie des clients ne remarquent même pas notre présence : ils ne savent toujours pas qu’une patrouille de police inspecte les lieux. Pourtant, c’est bien devant eux qu’on traverse l’immense piste de danse bâtie au beau milieu de l’établissement. Les seules personnes à avoir l’esprit encore lucide ce sont les propriétaires des lieux.

Après avoir formellement reconnu leur “hôtes” ils s’empressent de courir à leur accueil. Mieux, ils font même l’effort de nous tenir compagnie et de nous envahir de complaisances jusqu’à notre sortie.Celle-ci interviendra une petite poignée de minutes plus tard. Le cabaret semble respecter toutes les normes requises, il n’y a donc rien à signaler. On décide de s’en aller. On grignote les premières heures du petit matin, la fatigue commence à se faire accablante. Mais Tizi Ouzou, est toujours calme et impassible. Madjid fait le point avec les unités de service pour confirmer, devant nous, cette franche inclinaison vers la sérénité. Nous retenons l’option de finir la patrouille en ville, puisque c’est là où nous nous avons le plus de chance d’assister à une probable intervention et c’est aussi la qu’on a envie de... finir notre nuit. Sur le chemin du retour, et alors qu’on longeait tranquillement le boulevard Krim Belkacem, nos regards sont attirés par un étrange rassemblement “familial” au bas d’un immeuble. Une dizaine d’hommes et de femmes échangent des conversations assez virulentes.

On ralentit, on inspecte les lieux de plus près, puis, Madjid, en policier habile et connaisseur, nous lance : “c’est un petit conflit de famille. On va régler cela dans l’immédiat”. Le commissaire a bien vu. Il s’agissait bel et bien d’une querelle entre frères. Il s’empressa immédiatement d’alerter une unité mobile de passage dans les lieux. Cette dernière, et dans l’impossibilité de régler le différend dans le calme, finira par embarquer tout ce beau monde au commissaire. Deux dépôts de plainte y seront enregistrés puis les policiers se chargent de raccompagner les deux parties-toutes deux plaignantes-chez-elles. Cela nous fait un peu de six heures qu’on pivote dans la ville. Une ville qui a finalement préféré se départir, l’espace d’une nuit, de tout signe d’agitation. Elle demeure incroyablement placide, comme elle a toujours su l’être quand ses démons se reposent. Nous, bien que déçus par cette inertie, nous jugeons toutefois que la trêve décidée par les démons est légitime et très compréhensible ; n’ont-t-ils pas instauré, trois ans durant, le tumulte et l’instabilité dans cette cité et toute le région ? N’ont t-ils pas fait d’elle l’une des agglomérations les plus dangereuses du pays ? Les séquelles de ces folles années de terrorisme et mécontentements populaires sont encore vivaces, mais Tizi s’en est finalement bien tirée. Une page est donc tournée sans l’ombre d’un remords. La ville réapprend a vivre, et elle le fait si bien.

Dans l’ombre, des hommes accompagnent discrètement la ville dans sa procession vers des lendemains forcément plus radieux. Des hommes humbles correctes et serviteurs dont le seul tort était de faire partie de ces gens qui ont protégé la région dans ses moments de doute et de flottements. Au péril de leur vie, des policiers comme Madjid et Djamel ont combattu le terrorisme et la délinquance des années durant, et si la Kabylie est encore sur ses pieds aujourd’hui, c’est un peu grâce à leur dévouement et celui de leur pairs. Dire le contraire serai du pur mépris. La région n’a jamais était oublieuse : Ce sont ses propres enfants qui ont veillé sur elle quand elle avait le plus besoin d’eux...

Par A.B, depechekabylie.com